Un bon tiers du marché, ce sont d'excellents chiffres. Qu'il y ait une petite baisse de ce pourcentage ne change rien d'essentiel.

Le gouvernement de mon pays (le Canada), tout comme le gouvernement français, sert à toutes les sauces l'expression "exception culturelle", pour s'opposer au quasi-monopole des Américains sur le marché mondial du cinéma. Nos ministres de la Culture respectifs ont à la fois raison et tort.

Ils ont raison, parce que l'effondrement des cultures nationales produit «un monde plus pauvre, plus gris, plus petit» (Carlo Sforza). Mais ils ont tort, aussi, parce que pour s'opposer à ce monopole ils ne conçoivent d'initiatives QUE VIS-À-VIS DE LEUR PROPRE PAYS. Ce qui fournit aux Américains, sur un plateau d'argent, cet argument qu'ils martèlent sans cesse: celui du chauvinisme et du repli sur soi des méchants européens, des méchants canadiens.

Lors de son passage au Festival des films du monde de Montréal, il y a 2 ou 3 ans, la comédienne Sophia Loren avait parfaitement résumé le problème. C'est que, montrait-elle chiffres à l'appui, au cours des 15-20 dernières années, il y a eu de moins en moins de films français qui sortaient en Italie et de moins en moins de films italiens qui sortaient en France.

Tout est là. Et il faut ajouter: et ainsi de suite à l'échelle du monde.

Afin de réussir à casser le monopole d'Hollywood et à réduire davantage sa part du marché français, il est donc essentiel de favoriser L'IMPORTATION, le DOUBLAGE et la DISTRIBUTION en France du plus grand nombre possible de films étrangers AUTRES QU'AMÉRICAINS. Le quasi-monopole mondial du cinéma américain est un problème d'abord et avant tout parce qu'il bloque l'interpénétration des autres cinématographies nationales : du cinéma français au Japon, du cinéma japonais en Italie, du cinéma italien au Canada, et ainsi de suite. Si bien que sous le slogan souriant de la soi-disant "Mondialisation", c'est le contraire exact qui se produit: au lieu de se multiplier, les liens entre les peuples SE DISLOQUENT. C'est l'internationalisation d'UNE culture et la désinternationalisation de toutes les autres. Pour rester avec l'exemple de Mme Loren, Français et Italiens aujourd'hui se connaissent et se comprennent moins bien aujourd'hui qu'il y a quinze ou vingt ans, construction européenne ou pas, parce que leurs productions culturelles respectives S'INTERPÉNÈTRENT DE MOINS EN MOINS.

Ce qui, à court terme, peut sembler une concurrence accrue pour le cinéma français ne peut, à moyen terme, que le servir puissamment, car il contribue à ramener Hollywood à de justes proportions, c'est-à-dire à celles d'une cinématographie nationale PARMI D'AUTRES. Mais aussi parce qu'une culture pour rester vivante, pour ne pas s'effondrer, doit constamment être vivifiée par PLUSIEURS influences étrangères – et non par une seule.

L'objectif reste une affaire de chiffres: ce qui compte, c'est de gruger la part RELATIVE du cinéma américain en France. Or, dans ce fameux enjeu de la diversité culturelle, ce qui compte ce n'est pas France, mais le monde. Oui, oui, c'est bien le monde qui est en danger quand la diversité des peuples et des civilisations ne parvient plus à franchir les frontières. Autrement dit, il faut cesser de penser à la part de marché du seul cinéma français, et penser plutôt à la part de marché en France de tous les films qui se sont pas américains – films français inclus, bien sûr, au premier chef. Selon moi, cette façon de penser le problème ne peut qu'améliorer la pénétration à l'étranger du cinéma français: réciprocité oblige.

Au cours des années 70, un grand monsieur de la distribution française, M. Simon Mizrahi, s'est battu bec et ongles pour assurer une pénétration accrue du cinéma italien en France. Et l'opération, financièrement parlant, fut aussi des plus rentablesIl faut que de nouveaux Simon Mizrahi se lèvent – et qu'on leur en donne les moyens.

Arca1943