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Forum : La Chienne

Sujet : Critique


De dumbledore, le 20 novembre 2003 à 18:29
Note du film : 6/6

Le film commence sur un théâtre de guignol. Une marionnette déclame que nous allons voir un « drame social dans lequel le vice est toujours puni ». Une autre marionnette lui coupe la parole pour annoncer au contraire « une comédie à tendance morale ». Guignol arrive, bastonne ces deux bavards pour annoncer que ce ne sera ni une comédie ni un drame, sans moral ni message, juste l'histoire de trois personnes « comme moi, comme vous ».

Oui, il faut reconnaître que La chienne ne peut être mis dans aucune catégorie habituelle de l'époque. Ni une comédie avec ses grands rires et ses gags, ni le mélodrame avec ses renversements de situations et ses clichés. La chienne fait figure d'ovni et on ne peut pas vraiment s'étonner que le public ai été dérouté avant, enfin, (grâce à un propriétaire d'une salle qui a gardé le film 4 semaines, faisant un forcing qui intrigua) de trouver son public.

La force de La chienne est de raconter une histoire terrible avec des personnages qui sont finalement porteurs de comédie. Le personnage le plus évident est le pire des personnages, Dédé, le maquereau, celui qui finalement écrit le destin terrible de Maurice Legrand. On peut avoir l'impression qu'il surjoue, qu'il en fait des tonnes – ce qui est effectivement le cas – mais cela permet de construire un personnage risible, drôle tellement il est dans le mensonge (se mentant à lui-même en premier lieu). On prend ensuite plaisir à le voir en tentant de deviner quelles énormités il va encore oser sortir.

Et puis, il y a Michel Simon évidemment qui construit un personnage d'une rare complexité. On le croit faible, stupide, un peu demeuré, fermant sa gueule devant ses collègues, devant sa femme. Seulement, quand il parle, il est fulgurant d'intelligence et quand sa femme lui dit de jeter ses toiles et son équipement de peintre, il se met à peindre, se moquant d'elle. Il n'est pas en-dessous des autres, écrasé par cette petite bourgeoisie mesquine. Non, il est au-delà. Trop haut pour être atteint. A croire qu'il déconnecte son cerveau quand il doit vivre avec eux pour ne se reconnecter que lorsqu'il peint, ou qu'il rencontre la beauté…
Et tant pis, si cette beauté s'appelle Lucienne et qu'elle est mortifère. Michel Simon réussit un personnage qui évite ainsi d'être pathétique pour acquérir une grandeur réelle et on peut sourire et rire avec lui car on le sait au-dessus de ce nid de vipères. Quant à Lucienne la chienne, elle incarne un personnage très vite touchant, grâce notamment à la scène avec son amie à qui elle fait visiter son appartement « moderne ». C'est une jeune femme qui veut vivre la tête au-dessus de l'eau après l'avoir eu trop souvent en-dessous. A cet égard, elle ressemble à Maurice. Ses maladresses, ses mensonges font alors son charme. Elle n'est pas méchante, juste paumée, et quand elle condamne Maurice, c'est presque involontairement, sans se rendre compte du mal qu'elle créé.

Personnages touchants, sympathiques ou drôles, dans une histoire terrible puisque par amour, Maurice Legrand va abandonner son travail qu'il n'aime pas, sa femme qu'il n'apprécie plus et se lancer dans la vie de ses rêves (amour, peinture)… et que ses rêves vont devenir cauchemars (trahison et vol).

Il va lui-même se damner par folie et haine pour ne devenir plus qu'un clochard. Non pas un clochard triste, mais un clochard finalement serein. Ayant fait le tour des choses, de la vie (qu'il n'avait pas vécu avant sa merveilleuse et terrible aventure avec Lucienne) il aura découvert que tout de même, « la vie est belle ».

Des personnages qui ne peuvent être réduits à leur fonction, mais qui possède des facettes contradictoires et pourtant compréhensible. Une histoire terrible sans qu'on puisse isoler un « méchant » d'un « gentil ». La chienne aura réussi à être un des premiers films à représenter la complexité humaine et sociale comme on ne l'avait jamais fait jusque là. Cinéma adulte, cinéma social. Jean Renoir un des plus grands réalisateurs du Cinéma, vient de naître.


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De Impétueux, le 28 janvier 2012 à 18:33
Note du film : 4/6

La qualité du message du bien regretté Dumbledore doit être relevée : je partage très largement cet avis sur un film déjà bien dans la manière du Renoir de La règle du jeu : Tout le monde a ses raisons !

Et c'est ce qui est le plus frappant, le plus intéressant, ce que préfigure et détermine la séquence d'introduction où Guignol assomme les moralistes et assène que le film ne prouvera rien du tout : et de fait il faut un bien grand talent pour, sur le fil d'un apparent mélodrame et sur une trame aussi invraisemblable que tragique, parvenir à ne pas trop ridiculiser le comptable falot, à ne pas mépriser la fille facile et, même, à rendre presque attachant, sur ses derniers moments, le barbeau qui n'aime personne.

C'est bien cela, tout le monde a ses raisons, tout le monde a sa logique et son histoire et son sauve-qui-peut. C'est le parti humaniste de Renoir : ne pas prendre trop au sérieux les apparences des choses et les vastes indignations.

La chienne est un très bon film, mais je ne le place tout de même pas au rang du chef-d'œuvre, ni même du film majeur. Les balbutiements des tout débuts du cinéma parlant sont moins gênants qu'attendrissants (les cartons intercalaires, la présentation des personnages : on voit que le public, encore peu familier avec le son, a besoin de retrouver ses codes), mais surtout les acteurs ne sont pas bons, conservant encore beaucoup les mimiques théâtralisées, outrancières, de l'époque antérieure.

À ce jeu-là, Lulu, l'héroïne (Janie Marèse) remporte le pompon. J'allais écrire qu'il était bien normal que sa brève carrière se soit terminée avec le film de Jean Renoir lorsque j'ai découvert qu'elle était morte quelques semaines après la fin du tournage, à la suite d'un accident de voiture provoqué par Georges Flamant, son partenaire le voyou Dédé à qui, dans le film on coupe, par erreur, la tête. En voilà une ironie du sort assez macabre !… On n'échappe pas à certains destins et la Mort vous attend toujours à Samarcande.

Les acteurs sont mauvais, à nos yeux d'aujourd'hui, mais, naturellement, Michel Simon est aussi remarquable que d'habitude, qui entre toujours dans la stature de ses personnages en y étant parfaitement reconnaissable, et pourtant en ciselant d'un trait, d'un regard, d'un grognement de gorge un individu à part.

Grandissime acteur, virtuose Protée, capable d'inquiéter, d'émouvoir, d'attendrir, d'amuser, d'exaspérer, il ouvre en 1931 une carrière où les vingt années qui suivent seront magnifiquement ponctuées (Boudu, L'Atalante, Drôle de drame, Les disparus de St-Agil, Quai des brumes, Fric-frac, La fin du jour, Panique), avant une fin de parcours de moindre niveau. Dans La chienne tour à tour retenu, indifférent, passionné, pitoyable, indigné, criminel, habile, réconcilié il offre une palette de jeu d'une intense qualité. Et on songe que juste auparavant, il a tourné la farce plaisante On purge Bébé, où il est irrésistible…

Elle est toujours sincère, elle ment tout le temps : c'est ainsi que le narrateur initial présente la pauvre Lulu… C'est une autre façon de dire que Tout le monde a ses raisons


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De Frydman Charles, le 7 novembre 2014 à 10:19

Il doit être dangereux de lire au lit…Vers 55 mn la femme de Legrand (Michel Simon) lit un livre dont je ne suis pas arriver à décrypter le titre: "Le Ch…" ? de (un nom en deux partie ? Ar.. ?) ,J' ai pensé au livre éponyme du titre du film , mais ce n'est pas ça. Bref, Legrand s'énerve de voir sa femme lire plutôt que de s'intéresser à lui ! vers 1 h 09 mn c'est Lulu, la maîtresse, qui découpe un livre au lit avec un couteau, en négligeant Michel Simon et lui avouant qu'elle ne l'aime pas mais qu'elle s'intéressait uniquement à ses tableaux : "tu t'es regardé dans une glace"…Legrand l'assassine avec le couteau qui lui a servi à découper les pages !

Le livre lu par la femme de Maurice Legrand est peut-être "le chemin de Buenos aires" d'Albert Londres…


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