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Sujet : Trahison de Nabokov ? Et alors ?


De Impétueux, le 26 février 2007 à 18:47
Note du film : 6/6

Il paraît que Nabokov qui avait eu les pires difficultés du monde à faire publier son roman scandaleux, beaucoup plus clairement pédophile que ne l'est le film, avait été très alléché par le projet d'adaptation cinématographique que lui proposait Kubrick et fut même engagé comme consultant. Kubrick n'était pourtant pas encore alors une étoile de première magnitude, même si Les sentiers de la gloire et le succès de Spartacus lui donnaient une renommée déjà intéressante. Mais rien à voir à ce qu'il advint après 2001 où chacune de ses réalisations fut attendue avec fébrilité par la masse de plus en plus grande de ses admirateurs passionnés (au rang de qui je me classe, si vous ne l'aviez deviné !).

Donc Nabokov était à la fois sceptique et intrigué par le projet qui lui était présenté ; il n'avait sans doute pas tort. Parce qu'il est douteux qu'une création qui passait par le cerveau enchanté de Kubrick soit jamais sortie indemne de la confrontation avec cet immense créateur qui, pourtant, avait besoin d'une base conçue par un autre que lui pour donner à son génie son rythme et sa capacité d'expansion.

À ma courte honte, j'avoue n'avoir lu – mais après avoir vu le film, et à cause du film – que le roman de Burgess – Orange mécanique – et la nouvelle de Schnitzler Traumnovelle qui a inspiré Eyes wide shut ; l'un et l'autre récit se retrouvent, non pas trahis, mais très interprétés…

Mais mon ignorance est totale des oeuvres de Howard Fast, Thackeray et Stephen King qui ont respectivement inspiré Spartacus, Barry Lyndon et Shining… Il paraît qu'il y aurait à redire, en matière de fidélité, et que King était furieux… mais qu'importe ?

Et si j'ai lu jadis Nabokov, sûrement trop jeune, parce que c'est un écrivain majeur, je crois bien qu'il ne me reste guère de son récit que des souvenirs tenaces mais flous, alors que, d'un autre côté, il me serait bien difficile, si je le relisais, de ne pas placer sur les noms d'Humbert Humbert, Charlotte Haze, Clare Quilty et Lolita les visages de James Mason, Shelley Winters, Peter Sellers et Sue Lyon

Seulement, c'est assez sensiblement différent : alors qu'Humbert Humbert est, dans le livre, un être subtil et pervers, un Européen raffiné, dont la pédophilie pourrait être due à un sens de l'esthétique poussé à l'extrême, le personnage du film est un homme sérieux qui s'englue dans une passion imbécile mais tellement compréhensible pour une Lolita crispante, ravissante et tentante.

Dans le livre, Lolita a douze ans ; dans le film, Sue Lyon semble en avoir au moins seize (et, née en 1946, avait effectivement cet âge) et apparaît d'évidence comme une allumeuse, ou, si l'on préfère, une ingénue libertine (à preuve la scène où elle fait du houla-hop, geste clairement sexuel devant Humbert) ; de ce fait, l'obsession charnelle d'Humbert, qui le rend d'abord répugnant de cynisme (avec Charlotte, la mère de Lolita) et dégoulinant d'avidité et de veulerie (devant Lolita) s'explique davantage comme une de ces passions fulgurantes et dégradantes dont l'histoire littéraire est pleine que comme une perversion clinique revendiquée, ce qui est bien pourtant ce que décrit Nabokov.

Puis le rôle de Clare Quilty, sublimement joué par un Peter Sellers – qui est à mon sens encore meilleur là que dans Dr. Folamour , parce que son rôle est encore plus décadent et moins excessif -, le rôle de Quilty, donc, est considérablement accentué par Kubrick, qui en fait le démiurge, l'organisateur infernal des débauches et des dérives, le manipulateur génial qu'Humbert retrouvera partout sur son chemin dès qu'il s'agira de le berner. Entre autres scènes extraordinaires qui témoignent du détachement de Quilty, de sa désinvolture et de son absolu goût du jeu, il y a son attitude au bal de Ramsdale, moment où Quilty apparaît pour la première fois : il y a un jeu de scène, une danse avec sa compagne Vivian Darkbloom, qui ressemble à Cruella (Marianne Stone) qui montre absolument qui dirige les choses et qui est maître du terrain.

Dès lors, l'enfouissement d'Humbert dans les faux-semblants et les supercheries ne connaîtra plus de limites jusqu'aux scènes finales, celle où il retrouve une Lolita enceinte, mariée avec un garçon sourd qui ignore tout de ce qui s'est passé – elle revient, finalement à une sorte de normalité un peu décalée – et celle qui, à la fois ouvre et ferme le film, de l'assassinat de Quilty.

Je ne sais si l'on gagnerait à davantage montrer – ou démontrer – la passion charnelle qui anime Humbert et le ravage ; déjà l'étreinte passionnée de Charlotte devant la photo de Lolita est d'une rare clarté. Le puritain Kubrick (Quoi, vous osez écrire cela après Eyes wide shut ? J'écris cela à cause, notamment d'Eyes wide shut !), le puritain Kubrick met en scène admirablement une déchéance perverse autant que fade…


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De droudrou, le 28 février 2007 à 11:44
Note du film : 6/6

Titillés par l'intervention de mon ami Impétueux, mon épouse et moi avons regardé le Lolita de Stanley Kubrick, histoire pour elle de le découvrir et pour moi de le revoir.

D'emblée, le personnage de Humbert a déplu à Annick. Son approche du film s'est faite à partir de la Lolita de Kubrick et non de Nabokov, ce qui fait que nous sommes en contradiction par rapport aux réactions suscitées par le personnage. Il est bien clair que Kubrick ne pouvait réellement mettre une gamine de 12/13 ans, très perverse, dans son film.

Pour quelqu'un qui est contre la civilisation américaine (il y a là un préjugé ancestral au niveau de sa famille…) j'ai été surpris par son approche du personnage de la mère où, pourtant, tout est dicté par cette appartenance à la société américaine "bourgeoise" de ces mêmes années. La relation ambigüe qui s'établit avec le couple ami où la proposition d'échangisme est évoquée par le biais de dire que chez eux on est "très large d'esprit" n'a pas été relevée. Par contre elle a bien noté le cadre de l'accident de voiture qui m'apparaît très typique d'une mentalité bien particulière issue de cette même époque, sans accuser, pour autant, le fait que l'accident arrange bien les visées de Humbert Humbert.

Dans l'ambiguïté qui caractérise les relations possibles de Lolita avec Guilty, Annick aurait tendance à "blanchir" ce dernier tout en finissant par reconnaître qu'il n'y a personne de net dans cette histoire où Nabokov ciblait pourtant bien particulièrement la société et les moeurs américaines.

Quelles ont été ses relations durant tout me film et ces quelques années qui sont évoquées et que nous ne voyons pas : elles ne sont pas nettes du tout.

Comme pour "Docteur Strangelove" on est chez Kubrick sur un registre très particulier où son adaptation ferait quelque peu grincer des dents. J'en prendrai pour exemple, mais directement issu du livre de Nabokov, "Guilty" qui, en anglais, veut dire "coupable". Le DVD est par ailleurs très bien fait puisque la musique qui accompagne la page de paramètrages du film reprend le "Cha-cha-cha", donnant immédiatement le ton sur lequel il va falloir aborder la réalisation. J'ai trouvé cela très fort.

Il est bien clair que passant devant un jury, Humbert Humbert est condamné d'office. Un avocat de la défense ne pourra jamais atténuer l'impression de ce qui ressort de ses relations perverses avec la gamine qui, vraisemblablement, sera interrogée pour les besoins de l'enquête et que l'on retrouvera au tribunal.

Même s'il n'y a eu coucherie entre la gamine et Guilty, l'attitude de ce dernier était condamnable. Ses métamorphoses ne sont pas nettes du tout surtout dans le cadre où elles interviennent. Par contre, à mourir (!) de rire, la scène du bal où la mère de Lolita vient se rappeler au bon souvenir de Guilty.

Si le film est en noir et blanc, en revanche, on ne peut qu'applaudir au "générique", à l'entrée en matière où le break Ford traverse le brouillard (préfigurant déjà "Shining"), au "château" de Guilty et surtout l'intérieur que nous découvrons avec ces meubles anciens qu'affectionnait Kubrick, très caractéristiques des décors dans lesquels baignent les personnages de ses diverses oeuvres et très annonciateur de "Barry Lindon". Le premier contact que le film nous donne entre Humbert Humbert et Guilty : "I'm Spartacus !" d'autant que "Lolita" a été tourné après "Spartacus". Ce n'est pas mal du tout et c'est bien pour tout cela qu'il est difficile de rejeter l'oeuvre d'adaptation qui a été celle de Kubrick dans la grande majorité de ses films.

Remarque : mon ami Impétueux m'a fait observer que c'est Quilty et non Guilty… C'est bien dommage parce que ça m'arrangeait presque, votre honneur !… Les copains : à vos plumes !… ou plutôt : à vos ordis ! Impétueux et moi attendons vos réactions !


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De PM Jarriq, le 28 février 2007 à 12:35

Pour une version à la fois plus proche du bouquin, et bizarrement moins sulfureuse que celle de Kubrick, je vous conseille de voir le remake de Adrian Lyne, avec Jeremy Irons. Là, évidemment, on n'est pas dans la même catégorie, mais la comparaison est intéressante. Et puis Lolita a VRAIMENT l'âge du rôle.


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De PM Jarriq, le 1er mars 2007 à 15:49

Les deux comédiennes sont également trop âgées pour jouer Lolita. Mais Swain faisait plus gamine que Sue Lyon, ou du moins était filmée comme telle. Apparemment, le vrai remake reste à faire, donc !


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