L'invitation à rentrer dans le rang imposé par la reine lors la vision de son dixième premier ministre est claire. Tout est ancestral et doit le rester, le protocole le démontre, Tony Blair doit s'y plier.

En parallèle de ces rituels contraignants, une petite princesse est en bout de courses comme le montre de manière prémonitoire cette photo de villégiature maritime. Tout va basculer un Samedi soir d'été.

L'évènement est considérable, la réaction royale est procédurière véhiculée par des phrases bateaux masquant un désintérêt flagrant, la reine se positionne comme chef de clan glanant ça et la des conseils captés mollement.

Le peuple ne l'entend pas de cette oreille, il réagit, montre sa tristesse, Tony Blair saisit immédiatement l'aubaine de faire vaciller tous ces principes féodaux subordonnés à l'adoration de la nature et des animaux.

Elisabeth est avare, s'extasie devant l'apparition d'un cerf, le prince Charles est un froussard vivant dans la peur perpétuelle de l'attentat, la reine mère ne prononce que des paroles d'archives, Philip d'Edimbourg brille le fusil à la main en motivant son « petit lapin » de bâcler la paperasse avant que le thé ne refroidisse.

Le clan parle de chasse en regardant évasivement les actualités retraçant la fin tragique de la princesse, tout n'est qu'une définition égoïste au mépris total de la masse considérée uniquement comme servile.

Le spectre de la république se positionne au loin, Tony Blair à l'aide de la température populaire grandit, s'exprime, révolutionne les mentalités de cette tour d'ivoire impose des directives au secrétariat royal, la reine cède sous la pression. C'est une belle leçon de survie comme le dit si bien un premier ministre en état de grâce.

Helen Mirren est d'une ressemblance percutante, elle ne joue pas Elisabeth elle est Elisabeth au détriment des autres membres de la famille royale dont les ressemblances sont moins crédibles. C'est un acte fusionnel, une alchimie fantastique entre une comédienne qui adopte au geste près les comportements de son personnage, l'impact est foudroyant.

C'est la reine que nous voyons dans tous ses états : Radine, solitaire, évasive, bâcleuse d'entrevues minutées à l'avance, fragile, enclavée dans un monde forestier sans humains hormis le clan et la valetaille, n'ayant des mots plus ou moins chaleureux que pour ses chiens.

Pressée de toutes parts elle se rompt de l'intérieur en lâchant devant un Tony Blair conquérant quelques confidences sur sa froideur « C'est tout ce qu'on m'a appris, c'est tout ce que je sais faire ». La communication passe enfin entre une gestion féodale et un besoin populaire.

L'émanation d'une chaleur humaine voit le jour, le courant passe, le peuple sera peut-être enfin considéré comme pensant et non comme un adorateur perpétuel privé de récompenses.

« Tout est ancestral et doit le rester. »

C'est bien dit, hélas : ancestral, et non pas historique. Combien, en Angleterre et dans les ex-Dominion (celui d'où je vous cause, par exemple) croient encore qu'Elizabeth a ce qu'on appelle « un maintien de reine » non parce qu'elle a reçu une éducation royale, mais parce qu'elle est de sang (sic) royal et que ce maintien chez elle est inné, un peu comme les canards savent nager dès qu'on les fout à l'eau ? Le moins possible, espérons-le…

Cela dit, j'ai bien hâte de retrouver l'impériale Helen Mirren !

Ce film laisse supposer que la monarchie britannique, qui repose désormais sur les épaules d'une seule personne, habile, fine politique, est aujourd'hui en sursis, car déphasée par rapport à son époque, et de plus, a un énorme handicap de circonstance : une relève possible qui n'est pas à la hauteur. C'est le vestige d'une époque révolue, selon S Frears, qui coûte cher à entretenir (comme le fait remarquer la femme de Tony Blair), et qui est surtout minée par le mode de vie moderne.

Celui-ci tend en effet à décloisonner les classes sociales, à amener des personnes d'origine, et de culture différente à se fréquenter par centre d'intérêt (c'est le monde global, symbolisé par internet). Frears montre, à contrario, le mode de vie isolé et retiré de ces monarques (à Balmoral), repliés sur leurs valeurs ancestrales (une chasse barbare), s'appuyant sur des domestiques soumis. Un mode de vie dépassé et reposant sur des valeurs, tout sauf démocratiques, et qui sont en décallage par rapport à notre époque. La scène de la panne de la voiture de la Reine au milieu de la rivière, très symbolique, montre également l'impuissance du souverain par rapport à son environnement, qu'il subit, comme le quidam subit les avatars des transports en commun.

De plus, la vie moderne est orchestrée par les médias, dont le travail d'investigation tend à désacraliser et à démystifier la monarchie (exemple : le mode de vie de Diana, mis en lumière par les paparazzi).

Tout ceci contribue à saper les fondements de la monarchie.

Retournez le problème dans tous les sens et vous verrez que ce pays ne peut faire l'économie, à plus ou moins long terme, d'une réforme constitutionnelle. Il est clair que The queen qui est plus près de l'univers sombre, barbare et démystificateur de Delivrance que de celui de"Gala" et de son cadre de midinette, contribue à éveiller les consciences dans ce sens.

Un film politique et moderne d'une envergure considérable, à mettre en parallèle avec des films récents comme Marie Antoinette et L'anglaise et le duc.

Peut-être un coffret pour Noël préfacé par notre collègue Dumbledore ?

Vous avez remarqué l'attitude antinomique de Tony Blair soumis puis prédateur selon les circonstances.

Bonjour Arca1943. Elle est superbe, completement diluée dans le personnage, franchement ce n'est pas Helen Mirren c'est la reine même dans les plans éloignés avec sa silhouette tassée et ses foulards démentiels. Les téchniciens ont certainement travaillés sur des documents filmés, le résultat est incroyable, ce n'est plus un film,nous sommes vraiment des voyeurs privilégiés, c'est un cadeau royal.

Droudrou on s'en tire bien on ne voit pas la princesse Anne, dans le cas contraire j'abdique sur le champ.

Ce que je te prédis et qui est déjà, c'est une monarchie républicaine anglaise ! Remarque, nous, nous sommes partis vers une république royale… La "queen", de fait, elle ne gouverne pas ! Et dans tout cela, Tony Blair peut ou ne pas faire figure d'un enfant de choeur… Mais ce qui me tracasse très fort dans tout ce que nous sommes amenés à dire c'est que nous avons connu, nous, une "pseudo république" qui a été immédiatement suivie d'un empire avant de repasser en état monarchique pour rebasculer en empire et enfin arriver à une succession de républiques aux images les plus diverses… Cette notion d'accession au pouvoir (et quel pouvoir ?) est une révélation particulièrement spécifique qui caractérise notre vie depuis la révolution. Précédemment, c'était un pouvoir de famille. Aujourd'hui, je serai presque tenté de dire que n'importe quel imbécile venu peut prétendre à la présidence et de là parvenir à tout ce qu'il souhaite devenir. La notion de dictat fait toujours partie de "notre" idéal d'idée. Et profiter du dictat peut engendrer la tyranie…