Je n'avais pas vu les précédents films historiques du cinéaste, et si j'en juge par cette oeuvre, je n'ai pas l'impression que ce soit l'espace ou il est le plus spécialement à l'aise. L'Idée de se baser sur des points de vue particuliers est attrayante, mais le résultat est extrèmement démonstratif. Certains ont accusé Rohmer de penchants royalistes avec le film, mais on est au contraire alourdit par les poids symboliques des différents personnages. Grace Eliott et Orléans incarnent deux visions biens schématiques de l'avenir de la Révolution, avec entre eux en guise d'équilibristes nombre de personnages censés incarner un dégradé de vision du problème (des serviteurs aux autres compagnons et amis de Grace). De fait, les dialogues sont plus explicatifs qu'autre chose…
Les mots ne nourrissent pas grand chose, mais illustrent. Le registre rohmerien s'exerce donc ici dans une variation beaucoup plus plate. On se croirait presque dans un feuilleton radiophonique, mais le pari assez raté des décors numériques renverrait plutôt limite à "Alain Decault raconte". Plus que la picturalité naturelle que le cinéaste parvient à capter dans ses oeuvres contemporaines, les toiles font, dans "L'Anglaise et le Duc", très manuels scolaires et sont étalées plus comme des cartes à jouer. C'est moins agressif que le "Vidocq" de Pitof, mais on a toujours l'impression d'être plus devant un CD Rom qu'autre chose.
Pour le reste, Rohmer sait suffisemment bien mener son récit pour qu'on ne s'ennuie pas trop, mis à part une longue scène d'évasion dans Paris, très peu dynamique. Il fait appel à des ficelles de suspense hitchcockien encore efficaces pour traduire la tension et la peur de la Terreur. Il n'empèche que ce classicisme d'inspiration, s'il dirige parfaitement le cinéaste pour composer les mises en scène de ses oeuvres contemporaines, est ici, au sein d'un univers extrèmement artificiel, assez rigide. Bref, "L'Anglaise et le Duc" est aussi inoffensif et novateur qu'un article d'Historia destiné à distraire quelques retraités… Dommage, car les comédiens sont excellents, l'éclatante Lucy Russel en premier lieu, puis un Jean Claude Dreyfus assez épatant en Duc d'Orléans. Il se fondent dans la diction rohmérienne sans aucun problème… Une diction qui, malgré la grosse déception du film, reste toujours extraordinairement source de plaisir.
Si ce film présente quelques menus défauts (un rythme un peu lent au démarrage, les décors extérieurs numériques ne sont pas vraiment convaincants), il n'en est pas moins globalement un film remarquable !
L'anglaise et le duc met en effet en lumière les ressorts psychologiques et politiques qui ont alimenté la Révolution française, ainsi que les effets de cette Révolution sur la vie publique et privée des citoyens de cette époque. Le récit, qui se déroule sur plusieurs années, met en évidence le caractère chaotique, trouble et paranoïaque de cette période, au cours de laquelle les rapports politiques, instables, conduisent par le jeu du hasard et des alliances, soit au pouvoir soit à la guillotine… Cette période met aussi à nu les failles et les ressources psychologiques des individus, lesquelles amènent les uns à commettre des actes de résistances, les autres des actes inquisiteurs, tant individuels que collectifs. Certains agissent alors de façon contraire aux principes dont ils se réclament.
Ce film constitue aussi une belle illustration de la façon dont se développe une révolution, quelle que soit celle-ci. Elle éclaire le déroulement par exemple de la révolution culturelle de Mao.
L'anglaise et le duc est donc à découvrir ! Outre son propos, il repose sur un récit bien construit autour d'un suspens solide. L'interprétation est excellente, les dialogues sonnent justes et correspondent sans doute bien à la psychologie de l'époque. Il est enfin formellement réussi (décors intérieurs, costumes).
Il s'agit néanmoins d'une oeuvre ambitieuse et intellectuelle, qui fait remuer les méninges du spectateur, et qui se mérite !
Ce film constitue au final une brillante réflexion sur la façon dont se développent les révolutions, et éclaire des événements tragiques de notre siècle, similaires à la Révolution française (révolution culturelle de Mao,…)
Oh le joli grand écart, Vincent! Même paul_xxl n'aurait pas osé celui-là : beaucoup trop risqué. Voila qui me sort de ma tanière hivernale.
Qualifié la Révolution francaise par évenements tragiques est réducteur (sans parler de sa similarité avec la révolution culturelle de Mao. sic) Chaque vie est une tragedie par sa finalité. Nous devons tous mourir mais s'il fallait étiqueter evenement tragique pour toutes les vies humaines ca serait bien réducteur non ?
Si c'est la réflexion qu'amenes ce film, alors on peux le jetter à la poubelle et ouvrir deux ou trois livres d'histoire écrit par d'excelent historien specialiste de la révolution francaise ou chinoise.
Vive la lecture !
Vincentp a parfaitement raison : il n'a pas été besoin d'attendre François Furet pour savoir que la Révolution française a été la matrice des plus épouvantables totalitarismes…
Mais bon ! On ne va pas ouvrir ici ce débat-là, amplement tranché.
On ne va pas ouvrir ici ce débat-là, amplement tranché.
tranché est effectivement le mot juste :D mais quoi, par qui et dans quel but ?
Tout ca est bien réducteur comme si je décrivais De Gaulle comme celui qui a permis les effroyables tests nucléaires en surface dans les îles du pacifique en disant devant le champignon nucléaire : "C'est magnifique !" De Gaulle est il la matrice de la proliferation nucléaire (militaire) dans le monde ?
La Révolution française est aussi la matrice des droits de l'homme et de la démocratie. Elle a démarré à cause de la faim du peuple français avec de mauvaises récoltes. Ensuite ils ont mis fin à l'odieux totalitarisme aristocratique. Ce mouvement populaire a été récupéré par la bourgeoisie qui a vu un moyen pour mettre fin aux privileges de l'aristocratie. Vers la fin cela a effectivement dégeneré avec Robespierre qui a éliminé progressivement les autres courants politiques pour finir avec la Terreur et l'être supreme. Ce dernier volet a pu inspirer en effet des dictateurs modernes mais Robespierre a fini guillotiné c'est à dire avec son cou tranché.
Vous avez raison : aujourd'hui, plus personne n'a faim ; mon fils, bénévole aux "Restos du cœur" doit me raconter des salades quand il va – prétend-il – distribuer de la bouffe à des files de plus en plus nombreuses ; et j'ai dû me faire rouler, hier, en faisant mes courses au supermarché lorsque j'ai été sollicité, à l'entrée, par les volontaires de la Banque alimentaire et par le brave type qui me vend le "Réverbère" à la sortie.
D'ailleurs les clivages sociaux, culturels, dans l'habitat, le boulot, le fric ont pratiquement disparu. Je dois mal regarder autour de moi.
Un petit point historique, néanmoins ; vous écrivez "Vers la fin cela a effectivement dégénéré avec Robespierre" ; le massacre des Suisses, aux Tuileries, c'est le 10 août 1792, à peine trois ans après le 14 juillet. Et la Terreur n'a pas encore commencé.
C'est un moment très délicat de l'Histoire de l'Humanité.
Vous avez raison : aujourd'hui, plus personne n'a faim
Ou avez vous lu une telle affirmation de ma part ? J'ai écrit plutôt le contraire dans Les glaneurs d'Agnes Varda. Il faut regarder les volumes et les pourcentages. De nos jours, c'est davantage une petite minorité qui peu compter sur des organismes dont les Resto du Coeur. En passant, je félicite le bénévolat de votre fils qui me rappelle un ami lycéen/étudiant qui le faisait également. Ca n'empeche pas qu'il peut y avoir des embrasements ponctuels. Comme l'hiver 2005 où ces nombreuse voitures brulés en France ont indiqué clairement au reste du monde une situation sociale française tendue. Qui peut prévoir ce qui se passera si ca continue à se dégrader ainsi ?
Sinon j'ai pas trouvé de chiffres sur la famine suite aux mauvaises récoltes.
Lien: Causes de la Révolution française
L accroissement des dépenses de l État, en particulier militaires avec la participation à la guerre de l Indépendance américaine (1776-1783), a alourdi la dette publique au point que la monarchie parvient à peine à payer les intérets.
Les solutions envisagées par des ministres éclairés et résolus de Louis XVI (Jacques Turgot, Jacques Necker, Calonne) impliquent toutes la fin des privileges fiscaux et donc une forte contribution des classes exemptées. Tous se heurtent à la resistance de l aristocratie, fortement attachée à ses privileges.
En août 1774, Louis XVI nomme l économiste libéral Jacques Turgot contrôleur général des Finances. Il tente d unifier le système des impôts et de libéraliser le commerce. La plupart de ses réformes sont annulées, et Turgot est acculé à la démission en 1776 par la faction la plus conservatrice de la noblesse et du clergé, soutenue par la reine Marie-Antoinette. Son successeur, le financier Jacques Necker, n a guère le temps de mettre en oeuvre son programme d économie budgétaire et d élargissement de l assiette fiscale avant sa chute, en 1781. Il acquiert néanmoins une certaine popularité en publiant un rapport sur les finances royales, qui révèle le coût élevé des privilèges.
Aux difficultés économiques et financières s ajoute une crise agricole provoquée par une série de mauvaises récoltes. Après les rigueurs de l hiver 1788, le pays connaît une pénurie de blé. En outre, la crise industrielle provoquée par l arrêt des importations espagnoles de laine et de drap, ainsi que par l ouverture du marché français aux produits anglais, en 1786, entraîne la fermeture de nombreuses manufactures. La misère populaire augmente, tandis que le nombre croissant de vagabonds génère un climat d insécurité dans les campagnes, les « peurs ».
C'est que l'auteur, bien qu'il ait raté l'entrée à Normale supérieure, puis l'agrégation de Lettres était certainement un des cinéastes les plus frottés de culture classique et ne prenait jamais les spectateurs pour des mangeurs de pop-corn décérébrés. Je conçois bien sûr qu'on puisse être irrité ou indifférent par ses films d'amour et de hasard, ses marivaudages et ses raffinements, mais on ne peut lui méconnaître une place tout à fait à part dans le paysage.
Rohmer adapte les mémoires de Grace Elliott, ancienne maîtresse et toujours amie de Philipe d'Orléans – Philippe Égalité -, arrière petit-fils du Régent (Que la fête commence) et père du Roi des Français Louis-Philippe. Grace s'est établie depuis quelques années à Paris où elle partage son séjour entre sa maison de la rue de Miromesnil, à proximité des Champs-Élysées et sa propriété de Meudon. Elle n'est pas hostile aux premières manifestations de la révolution, comme beaucoup d'esprits éclairés qui voulaient y voir notamment l'accomplissement des réformes fiscales de Louis XV et de son ministre Maupéou, sottement remisées lors de l'accession au Trône de Louis XVI en 1774. Mais, comme à peu près tout le monde, elle voue à la personne du Roi et de la Reine à la fois respect et affection. Tout cela dure à peu près jusqu'à la Fête de la Fédération, le 14 juillet 1790. Et tout commence à se dégrader d'une façon de plus en plus irréversible jusqu'à aboutir en quelques mois à l'horreur des dénonciations, des visites domiciliaires, des procès faits sans raison, de la Loi des suspects… Enfin à une ambiance qui fait irrésistiblement songer, en pire, à celle qui devait régner en Union soviétique lors des Procès de Moscou entre 1936 et 1938. Pour qui voudrait me chercher des noises, je dis évidemment que ce qui s'est passé en Allemagne entre 1933 et 1945 n'était pas plus glorieux : mais les massacres n'étaient pas commis au nom de valeurs démocratiques. Le film de Rohmer est, comme toujours, une merveille d'intelligence et de distinction ; on peut le juger toutefois un peu froid, peut-être à cause du parti-pris esthétique, des décors numérisés, du refus de montrer les flots de sang qui jaillissent place de la Concorde par l'action du rasoir national, comme on appelait élégamment la guillotine. Et pourtant on sent parfaitement la tension monter dès que la fureur populacière augmente. Massacre des Suisses aux Tuileries, en août 1792, massacres de septembre contre les prêtres quelques semaines plus tard, procès et mort du Roi, avec le vote inimaginable de son cousin Égalité, puis le déferlement de l'arbitraire qui ne prendra fin qu'après la chute et l'exécution de Robespierre le 28 juillet 1794 (date qu'on devrait célébrer dans les écoles). Par rapport aux films à vocation historique (par exemple l'excellente et démythifiante Révolution française de Robert Enrico et Richard T. Heffron, L'Anglaise et le Duc présente le grand intérêt d'offrir un tableau très vivant de ce que pouvait être la vie quotidienne à Paris durant la période, celle, il est vrai d'aristocrates fortunés ; ceux qui, souvent, ont joué et qui s'aperçoivent qu'ils vont perdre. Vous croyez mener la Révolution et c'est elle qui vous mène, dit l'Anglaise au Duc qui ne peut que lui répondre Je suis dans le torrent et il m'emporte irrésistiblement.Saluons la performance exceptionnelle de Jean-Claude Dreyfus, souvent vu en gugusse talentueux mais assez veule, et qui met énormément de profondeur à interpréter Philippe d'Orléans. Et regrettons que Lucy Russell n'ait pas eu la carrière que son talent lui aurait permis d'avoir (je n'ai trouvé sa trace que dans Angel de François Ozon).
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