Si j'ai bien compté, il y a, durant les 90 minutes de ce film, pas moins de douze assassinats, ce qui nous place dans une honnête moyenne, d'autant qu'à part deux d'entre eux, les meurtres ne sont pas "collectifs", si je puis dire, mais ont tous leur individualité et – on peut l'écrire ! – leur charme particulier.
Je note qu'un des seuls qui fait exception ne manque d'ailleurs pas de ce charme baroque, puisqu'il concerne deux amants en train de prendre du bon temps, simultanément transpercés par une sagaie sur le lit de leurs ébats, tels de singuliers insectes par un savant entomologiste !
Cela dit, si l'intrigue est niaise – une absurde histoire de spéculation immobilière – la mise en scène très rythmée de Mario Bava est excellente et son sens de l'esthétique horrifique sait en mettre plein les yeux : on n'oublie pas si facilement que ça l'image du cadavre qui sort de l'eau le visage recouvert d'une pieuvre gluante…
Chose que j'avais remarquée, lors de mes premières visions, il y a trente-cinq ans, et qui m'étonne encore aujourd'hui : la baie, objet de toutes les convoitises, loin d'être un de ces petits paradis que recèlent les côtes italiennes, est plutôt médiocre et crasseuse, sans charme aucun, pleine de souches pourries et de fourrés maigrelets. Il est vrai que l'histoire se passe au début du printemps, avant la reprise de la végétation, sous un soleil qui devient rapidement bas ; comme dans Le projet Blair witch – qui se déroule, je pense, à la fin de l'automne, ces lumières rases sont plutôt propices à l'installation d'un malaise diffus.
L'état d'esprit – jeunes fous, liberté sexuelle, fumettes diverses – est très caractéristique des années Soixante-dix et on ricanera bien aussi devant les pattes d'eph des pantalons, les vestes afghanes et tout le toutim ; ce qui rend d'autant plus heureusement glaçante l'image de la serpe qui fend brusquement en deux un visage.
On l'aura compris, c'est un film à ne pas réserver aux âmes sensibles, mais à ceux qui ont eu la belle révélation de la frimousse clouée de Barbara Steele dans l'immortel Masque du démon du même Bava.
La baie sanglante est une grande farce macabre de Mario Bava. De nombreuses idées contenues dans ce film ont pillées sans vergogne par la suite. Ainsi, la scène incroyable où un couple en train de faire l'amour se fait empaler par une sagaie a été reprise telle quelle dans Vendredi 13.
Le réjouissant jeu de massacre auquel le spectateur assiste est transcendé par la mise en scène du maestro. Cinquante ans après, le film n'a rien perdu de sa cruauté.Si l'aspect "années 70" des costumes et de certains décors paraît un peu kitsch de nos jours, La baie sanglante n'en demeure pas moins l'une des oeuvres essentielles de l'un des plus grands innovateurs du cinéma d'épouvante.
L'enchaînement des meurtres, à la façon d'une "réaction en chaîne" surnaturelle, est d'une grande originalité, tout comme la façon dont le message écologique est exprimé: la baie du titre, convoitée par les promoteurs, apparaît comme un personnage à part entière qui semble se venger les humains qui veulent la défigurer.
Néanmoins j'avoue préférer le Bava de la décennie précédente, période marquée par le gothique et le baroque, notamment Le masque du démon, mais surtout les films en couleur où le cinéaste peut déployer son goût pour la démesure et les nuances chromatiques: Les trois visages de la peur, Le corps et le fouet et surtout le fondamental Six femmes pour l'assassin, acte de naissance du "giallo".
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