Pialat peint dans ce film les émotions et les sentiments de plusieurs personnages, dans un style qui atteint ici l'épure artistique la plus totale : aucune intrigue, aucun fil conducteur, si ce n'est l'émotion du moment portée par les personnages, pour un ensemble néanmoins cohérent.
Mais Le garçu a aussi pour ambition manifeste de dépeindre le cadre de vie dans lequel évoluent ces personnages.
Par le biais d'images et de sons. A la place du village (des images évoquent Matisse), et ses habitants, simples et ouverts, succède le grand magasin parisien, temple du consumérisme, avec en faction deux CRS. Les chants simples des deux religieuses sont encadrés par de la dance musique, du reggae, et du rock (Björk). Pialat filme une France plurielle et diverse, dont les différents éléments constitutifs se téléscopent, dans le registre de la comédie (Gégé et Géraldine se moquent des bonnes soeurs) ou du drame (les mêmes personnages pleurent le père et beau-père un peu oublié dans sa campagne). La vie urbaine est mise à nue alors que la vie rurale est évoquée avec une grande pudeur.
Tout cela serait très bien, grâce à la faculté de filmer vraiment la vie que détient Maurice Pialat, grâce à sa violence, son agressivité, son aigreur, si le film ne partait dans tous les sens sans jamais donner au spectateur le moindre repère. Je veux bien qu'on multiplie les ellipses, qu'on fasse appel à tout moment à l'intelligence et à la subtilité de celui qui ne demande pas mieux que d'accompagner le cinéaste dans la mise en scène de ses souvenirs, mais enfin il y a des limites, sauf à partir dans l'onirisme, ce qui n'est évidemment pas le genre de Pialat.
On est donc assez vite perdu dans un récit qui n'est pas une histoire, où se succèdent des séquences sans rapports évidents les unes avec les autres, où, malgré des acteurs magnifiques et bien dirigés, on bouge, on hésite, on ne comprend pas. Oui, sans doute, le réalisateur, incarné par un Gérard Depardieu superbe, erre lui aussi dans les multiples histoires qu'il vit et que, d'une certaine façon, il subit, dévoré, mangé par ce qu'il est : odieux, infantile, attachant, exaspérant, irritant, séduisant, naïf, en tous cas incapable d'être père. Comme il a été incapable d'être fils ; et sans doute les meilleures images du Garçu sont celles qui se passent dans le pauvre minable village de Cunlhat, dans le Puy de Dôme où Gérard vient assister aux derniers instants de son père, où Pialat est né et où son père, marchand de bois douteux, que son, fils surnommait ‘’Le garçu’’ meurt dans la grande solitude.Pialat n’était satisfait d’aucun de ses films et de celui-ci encore moins que d’autres ; disons qu’il n’avait pas toujours tort.
Ah ? C'est certes un film fragmenté, mais la qualité cinématographique de cette oeuvre est élevée, très rarement rencontrée dans le cinéma français de l'époque en question (1995). A mon avis, il s'agit d'un des meilleurs films français contemporains.
Je ne dis pas que c'est mauvais ; mais ce n'est pas à la hauteur de Maurice Pialat, que j'ai mis du temps à apprécier, de fait. C'est toujours par rapport à une échelle interne que je juge un film. Et là, ça ne tient pas le niveau d'un autre film autobiographique, Nous ne vieillirons pas ensemble, ou de l'impeccable Sous le soleil de Satan.
Les suppléments du DVD sont assez éclairants : la femme du réalisateur, Sylvie, son monteur habituel, Yann Dedet et même Géraldine Pailhas et Dominique Rocheteau disent plus ou moins explicitement que Pialat n'était pas du tout content de son film : je crois qu'il a été dépassé par la présence à l'écran de son petit miracle de fils.
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