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Forum : Derrière la façade

Sujet : Comment faisait-on ?


De Impétueux, le 21 septembre 2006 à 12:57
Note du film : 4/6

Oui, comment faisait-on pour réunir, dans une œuvrette tirée d'une pièce de boulevard à succès d'Yves Mirande une distribution pareille ? Sans doute les acteurs, moins grassement payés qu'aujourd'hui, lorsqu'ils n'étaient pas des stars mythiques, étaient-ils bien contraints, pour gagner leur vie de multiplier les apparitions, brèves mais significatives, dans ces films produits à la chaîne (et pourtant très honnêtement tournés) mais tout de même !

Oui, tout de même, on en avait pour son argent, et on assistait à de bons, à d'excellents numéros, à des morceaux de bravoure où certains réendossaient à chaque fois le même costume (Jules Berry en séduisante fripouille aimée des femmes, Erich von Stroheim en brute interlope, Michel Simon en anarchiste atrabilaire, Elvire Popesco en fofolle bohème, Julien Carette en tourlourou parigot), et où d'autres s'amusaient à interpréter des contre-emploi, comme Andrex, si souvent marlou méridional qui campe là un bon jeune homme amoureux qui puise dans la caisse de la banque où il est employé pour sauver de la misère et de l'expulsion la jeune fille dont il est épris, ou Gaby Morlay, habituel parangon de vertu, modèle des épouses bourgeoises dignes et des dévouements généreux, ici représentée en femme entretenue qui trompe son ami sérieux avec un gigolo).

Il ne faut naturellement pas attendre de ce genre de films autre chose que le plaisir de revoir ces visages connus, tous morts désormais, mais si présents au cœur et aux yeux des amateurs que nous sommes… Une mention spéciale pour une actrice pour qui j'ai un vrai faible, la trop rare Betty Stockfeld qui joue toujours les Anglaises un peu délurées, dans ce Derrière la façade comme dans les excellents Ils étaient neuf célibataires, de Sacha Guitry ou Édouard et Caroline de Jacques Becker.


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De vincentp, le 21 septembre 2006 à 13:40

Impétueux, pourriez-vous nous éclairer, svp, sur la signification des mots suivants : toutlourou et atrabilaire ? Merci, signé, un merlou.


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De Impétueux, le 21 septembre 2006 à 13:51
Note du film : 4/6

Un tourlourou, mon cher Vincentp, comme vous le savez sûrement et faites mine de l'ignorer est un comique troupier, Polin ou Ouvrard, par exemple, un de ces bidasses qui ont suscité une riche littérature (Le train de 8h47 de Georges Courteline) et une non moins riche filmographie (du type Les dégourdis de la 11ème).

Atrabilaire (à la bile noire, en latin) est un individu coléreux et ronchonnant. je suis sûr que personne n'ignore, ici, que Molière a donné pour sous-titre au Misanthrope, L'atrabilaire amoureux, désignant ainsi mon vieux camarade Alceste.

Vous auriez également pu me demander de vous éclairer sur interlope ou parangon ; je les laisse deviner à votre sagacité (ou à une prochaine leçon de vocabulaire pré-Mai 68).


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De vincentp, le 21 septembre 2006 à 14:00

Tourlourou : c'est aussi le nom donné à un crabe des antilles, et à un antillais venu mourir dans les tranchées. Interlope : je connais de nom, de réputation, mais je ne fréquente pas ce milieu. Parangon : sans doute un habitant de Patagonie. On apprend du bon vocabulaire à placer en conversation en vous lisant, Impétueux.

Seriez-vous Derrière la façade de votre pseudonyme ripailleur, le fameux Georges Dandin, dont Molière nous a chanté les exploits ?


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De Impétueux, le 21 septembre 2006 à 15:37
Note du film : 4/6

C'est vrai ! J'avais déjà lancé, sur ce site, avec quelque succès, Camarilla et Thuriféraire ; j'envisage de consacrer une chronique à Procrastination et à Coquecigrue, peut-être aussi à Brindezingue, à Cosy-corner, à Harangue et à Vernaculaire (sans doute aussi à Dithyrambe, pendant que j'y suis).

Par ailleurs, la charmante Gaby Morlay n'a vraiment aucune accointance avec les rivages d'Ushuïa ; cherchez mieux !


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De Impétueux, le 27 septembre 2017 à 14:14
Note du film : 4/6

Revu ce charmant film qui date de juste avant la guerre et séduit à nouveau par cette légèreté intelligente qui faisait cohabiter des tas d'acteurs connus dont tous n'étaient pas de second plan (Jules Berry, Erich von Stroheim, Gaby Morlay, Elvire Popesco) au milieu d'une intrigue insignifiante,mais habile et en tout cas très propice à délivrer des scènes typiques et des numéros brillants.

Un petit télégraphiste découvre, assassinée dans l'ascenseur, la propriétaire d'un immeuble de rapport. Il ne fait pas de doute, d'emblée, que le meurtrier ne peut être qu'un des locataires ou un familier des lieux. Dès lors, les policiers chargés d'élucider l'affaire vont devoir se transporter dans les milieux très différents qui composent le petit monde de la maison et y traquer les intrigues, les secrets, les anomalies qui sont derrière la façade.

Notons d'abord que les commissaires de police sont deux et sont concurrents : il y a, premier parvenu sur les lieux, le commissaire Boucheron (Lucien Baroux), qui est un commissaire de quartier rattaché à la Préfecture de police ; puis le commissaire Lambert (Jacques Baumer) qui est membre de la Sûreté nationale et dépend directement du ministère de l'Intérieur. Ces distinctions apparaissent aujourd'hui insignifiantes, comme une sorte de simple concurrence des polices, mais il faut les replacer dans le contexte, c'est-à-dire la véritable animosité qui existait entre la PP, alors indépendante (et qui le sera jusqu'en 1966) et la rue des Saussaies, siège du ministère, ouvertement méprisée par les aristocrates parisiens, mieux payés et plus prestigieux. Les deux hommes sont de tempérament opposé, ce qui donnera lieu à quelques passes d'armes, mais finiront par collaborer efficacement pour découvrir le coupable ; toujours dans le contexte précité, c'est presque un exploit.

Puis, et surtout, le procédé permet d'aller voir ici et là ce qui se passe dans l'immeuble. D'abord une observation sociologique. De nos jours, la distanciation sociale est géographique et les populations à faible niveau de revenu sont progressivement reléguées hors des centres urbains pour être entassées de plus en plus lointainement Au 19ème siècle, la régulation sociale est topologique, les classes laborieuses s'entassant sous les combles et l'immeuble se présentant comme une sorte de mille-feuilles où les étages sont d'autant plus nobles qu'ils sont bas (puisque il n'y a pas encore d'ascenseur) – voir Pot-Bouille à ce sujet. Dans Derrière la façade, il y a, en quelque sorte, une sorte de synthèse entre les deux pratiques, comme on en trouve encore beaucoup de nos jours à Paris : la partie de l'immeuble qui est de plain pied sur la rue réunit les familles les plus aisées et des cours séparent la partie noble de la maison de constructions de plus en plus modestes : escalier B, escalier C, etc.

Dans cette optique, les humanités explorées par les deux policiers sont naturellement très différentes ;humanités qui se croisent sans se connaître, presque sans se regarder et où il faut une sorte de miracle pour qu'un habitant du A puisse frayer avec un du C. On comprend, dès lors, combien, au gré de rebondissements convenus mais habilement montés, les deux commissaires vont parcourir toute l'orbite sociale. Cela va du président Bernier (Aimé Clariond), magistrat important, qui au grand dam de ses fils, trompe allègrement sa femme (Gabrielle Dorziat) avec une chanteuse (Simone Berriau), jusqu'à la petite bonne (Lise Courbet) échauffée par le soldat permissionnaire Julien (Carette).

Mais en passant on aura vu la séduction canaille d'un aventurier, Alfredo (Jules Berry) bousculer la fragile vertu de la femme (Elvire Popesco) d'un important industriel, une femme légère Gaby Valrose (Gaby Morlay) rouler son monsieur sérieux, un homme politique (Marcel Simon) pour s'envoyer son gigolo (Claude Sainval), le drôle de jeu à trois entre Durand (Jacques Dumesnil), sa compagne anglaise (Betty Stockfeld) dont l'amant est un douteux douteux personnage interlope, Allemand fraîchement naturalisé (Erich von Stroheim). On aura vu un jeune employé de banque André Laurent (Andrex) puiser imprudemment dans la caisse pour payer le loyer en retard de la jeune Madeleine (Gaby Sylvia), dont il est amoureux et qui vit avec son vieux père aveugle (Jean Joffre) en lui dissimulant habilement qu'ils sont, elle et lui, dans une misère noire…

Et puis si j'ajoute Michel Simon en lanceur de couteaux irascible, André Lefaur en kleptomane grognon, Marguerite Moreno en tenancière de maison close discrète, on aura une idée de la distrayante et délicieuse variété des saynètes ainsi proposées à qui aime les acteurs… Comme je l'ai écrit sur le message qui inaugure ce film, comment faisait-on pour réunir dans un même film tant de noms de valeur ?

Autre époque, assurément… et d'ailleurs qui, à part les dinosaures de mon âge ou les ethnologues spécialisés, qui pourrait comprendre ce qu'étaient le concierge à qui on laissait sa clef et qui touchait les termes, les chambres de bonne habitées par des bonnes, les escaliers de service, les télégraphistes, les képis et les pèlerines des gardiens de la paix, les chiens de commissaire, les pardessus croisés, les vestes en peau des conducteurs de taxis, les chemises de nuit en pilou, l'habit à revers de soie qu'on revêtait pour sortir… ? Finalement, tout ça est bien instructif… Et en tout cas bien charmant.


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