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Sujet : Un beau film dérangeant


De Impétueux, le 11 août 2006 à 15:40
Note du film : 5/6

Notre site favori, DVDToile, pour une fois pris en défaut, ne signale pas encore, à la date du 10 août 2006 que le DVD du Bonheur est sorti (depuis quelques bonnes semaines, d'ailleurs), dans une lumineuse édition dont est coutumière Agnès Varda coproductrice du DVD, comme elle l'a été de Cléo et de Sans toit ni loi, ses deux chefs-d'œuvre. Et quand j'écris lumineuse édition, c'est, bien entendu parce que l'image a fait l'objet d'une restauration complète (ce qui n'a pas été facile, comme l'apprend un des suppléments), mais aussi, peut-être surtout, parce que le film est précisément entouré de suppléments (des boni, comme dit Varda, car "c'est plus français et c'est plus joli" que des bonus). tous plus intéressants et pertinents les uns que les autres.

J'avoue que, dans mon souvenir, je n'avais guère accroché jadis à ce Bonheur, vu sans doute quelques brèves années après sa sortie, à une époque où j'étais bien trop jeune. J'ai bien révisé mon point de vue en le revoyant.

Le film avait été un scandale, lors de sa sortie, et avait été interdit aux moins de 18 ans ; et sûrement pas pour les seins nus à peine entrevus de Marie-France Boyer et de Claire Drouot, mais bien plutôt pour son propos radicalement a-moral : François (Jean-Claude Drouot), menuisier de la banlieue parisienne, est marié avec Thérèse, qui est couturière (Claire Drouot, sa propre femme) ; il ont deux jeunes enfants, pique-niquent chaque dimanche à la campagne, s'aiment très sereinement ; par hasard, François rencontre Émilie (Marie-France Boyer), qui est employée des Postes ; c'est le coup de foudre.

Ce qui serait un adultère bien banal, c'est que François quitte Thérèse pour Émilie ; ou même que, voulant tout avoir et surtout ne rien perdre, il dissimule à Thérèse qu'il aime Émilie.

Mais ce qui est subversif, c'est qu'aimant Émilie, il n'en aime pas moins Thérèse : il agit par addition et ne comprendrait pas qu'il faille choisir. D'ailleurs sa bonne foi est si entière qu'il parle à Émilie de Thérèse, mais surtout à Thérèse d'Emilie, lors d'un de leurs dimanches à la campagne.

Thérèse paraît accepter et comprendre ; mais quand François s'éveille de sa sieste, Thérèse n'est plus là : elle est noyée. Suicide ? Accident ? A chacun de choisir.

Et ce n'est pas fini, puisque, les formalités du deuil accomplies, François épouse Émilie, qui accepte les deux enfants ; et la dernière scène, c'est un nouveau pique-nique ; Émilie a remplacé Thérèse ; mais dans l'esprit de François, Thérèse aurait pu aussi être là.

On voit bien comme ce scénario dérange, combien le fabuleux égoïsme de François, son inconscience, son aveuglement est en rupture totale avec les habitudes morales – ou immorales -.

C'est donc une fable, un conte cruel comme le définit un des intervenants d'un des suppléments du DVD.

Mais c'est aussi un superbe livre d'images, un des films où Agnès Varda, photographe d'origine a laissé le plus la bride sur le cou à son goût et à son talent de la composition de l'écran. Enchantement des couleurs, d'une nature très proche, des petits bonheurs calmes et paisibles de la vie. Jusqu'au bout, jusqu'après le drame qui n'a pas plus laissé de trace qu'une pierre jetée dans l'eau lorsque la surface s'est apaisée…

Le même intervenant du même supplément cite, très justement le mot qui figure à la fin du Plaisir, un des plus beaux films de Max Ophuls : Le bonheur n'est pas gai. C'est grave. Et c'est profond.


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De Antoine Constantin C, le 9 février 2009 à 04:15
Note du film : 6/6

Eh bien, je trouve les deux précédentes critiques très justes et bien écrites. Ce sont deux excellentes analyses, appréciant véritablement la qualité et l'originalité de ce film.

Je dirais en ce sens que pour moi ce qui est vraiment extraordinaire, c'est la manière peut-être unique dont la poésie du quotidien et la poésie champêtre de ce film éblouissent en même temps que monte un sentiment de trouble vis-à-vis du problème moral que pose l'histoire. Il me semble que c'est la première fois que la musique de Mozart crée en moi un tel sentiment de malaise.

Le problème moral est celui-ci, je pense : peut-on encore être en harmonie avec la vie si l'on mène une double-vie qui risque de blesser la personne avec laquelle on a construit une vie commune ? une disharmonie montante ne risque-t-elle pas de s'emparer de tout jusqu'à faire des choses les plus simples et les plus douces des choses infiniment amères ?

Et la réponse semble être celle-ci : pour certaines personnes peut-être une telle disharmonie ne se fait pas sentir et les choses retrouvent leur ordre, même après le plus grand des bouleversements…

Mais, quel bonheur que le cinéma français ait créé de telles merveilles !


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