Négligé à l'époque de sa sortie, à cause d'une bête polémique sur l'aspect "histoire vraie" du récit, Sleepers a sombré corps et biens, sans marquer les mémoires. S'il est clair que le scénario semble bien invraisemblable et romanesque et manque de la dimension picaresque des grands films de gangsters, Sleepers n'en demeure pas moins un des plus brillants accomplissements de Levinson, qui retrouve l'esprit des classiques de la Warner, sur une facture soignée évoquant Le parrain ou Il était une fois en Amérique.
Avant toute chose, c'est le cast qui fait la force de Sleepers, jusqu'au plus petit rôle. Chacun à son "bout de gras" à défendre : Hoffman en avocaillon ringard, De Niro en prêtre trop beau pour être vrai, Gassman superbe en caïd et surtout Bacon abject comme lui seul sait l'être, en maton violeur et répugnant. Pitt et Patric semblent un peu fades en comparaison, mais remplissent bien leur fonction de jeunes premiers, tout comme les plus effacés mais aussi plus intéressants Ron Eldard et Billy Crudup formant un tandem de tueurs étrangement attachant.
Bien structuré, parfois poignant (les séquences de viol dans la maison de redressement, pudiquement filmées, mais très éprouvantes), parfois trop mélodramatique avec çà et là des vignettes d'un grand réalisme (le personnage du père de Shakes, joué par Bruno Kirby), Sleepers mérite d'être redécouvert et réévalué, car c'est une oeuvre maîtrisée, brutale et n'ayant pas peur des effets en tous genrês, même les plus excessifs, frôlant le ridicule. Qu'il soit tiré de faits réels, franchement, est le cadet de nos soucis. Agréable surprise.
Et puis, au hasard d'une soirée, les deux tueurs John et Tommy aperçoivent dans un restaurant le chef de leur tortionnaires de jadis, le plus cruel, le plus pervers, Sean Nokes (Kevin Bacon). Très réussi moment de jouissance où les deux tueurs entourent et massacrent leur persécuteur. Il y a du sang, du bruit. Les deux voyous sont inculpés.
Là commence la troisième partie du film : la façon dont les deux types qui ont mal tourné vont être sauvés par leurs amis de toujours. Ce n’est pas le meilleur du film, ça s’étire de façon démesurément longue et ça présente tous les tics des innombrables films de procès étasuniens, l’audition des témoins, la lutte entre le Procureur et l’Avocat, les Objection, votre Honneur qui ponctuent les séances. Voilà que ça devient tordu, hasardeux et, si on ose écrire miraculeux.Et on est tout de même un peu gêné devant la balourdise finale (ou presque) : le cas de conscience que doit affronter le Père Carillo /De Niro et qu'il résout avec une certaine habileté. Cela dit, le spectateur est une des pièces du puzzle présenté, il admire la virtuosité du joueur qui le place là où il faut, mais il est à peine dupe.
J'ai écrit à peine, parce que Barry Levinson connaît son affaire et dispose d'assez de roublardes qualités pour ne jamais trop faire retomber la tension. Distribution éclatante, réussie, de haut niveau : Dustin Hoffman, Brad Pitt, Kevin Bacon, Robert De Niro, Vittorio Gassman, c'est tout de même assez bluffant, non ? D'autant que chacun des interprètes réussit sa prestation. Trop long, mais très bien. Heureusement dur : la conclusion montre un champ de ruines : c'est à peu près l'image des vies gâchées.Page générée en 0.0028 s. - 5 requêtes effectuées
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