On oublie souvent que le réalisateur de La ronde et de Lola Montes
a eu une carrière américaine. Caught
est un des films peu connus, du réalisateur. Il faut dire que le film a été plus vendu sur son casting que sur le nom du réalisateur. On retrouve en effet James Mason
qui fait là son premier film hollywoodien et qui incarne avec naturel un médecin idéaliste et parfaitement gentil. A l'opposé, se trouve le monstre Robert Ryan,
acteur génial, l'incarnation même sans doute du personnage de film noir, bien plus qu'un Bogart.
Entre les deux, Barbara Bel Geddes,
actrice montante à l'époque avant d'être l'amoureuse sans avenir de James Stewart
dans Vertigo
ou encore la matriarche de Dallas (feuilleton TV).
Le film possède deux forces flagrantes : les comédiens formidables et très convaincants, et la mise en scène sublime de Max Ophuls (étrangement crédité Max Opuls au générique). Celle-ci cultive moins les plans-séquences dont on affuble un peu trop rapidement Ophuls qu'un sens impressionnant du cadre, et de la perspective. Il est aidé par des décors tout en profondeur, aussi bien celui de notre héroïne au tout début du film que le manoir, ou encore que le bureau des médecins. Il met "en cadre" ses personnages, renforçant l'idée d'enfermement, d'emprisonnement. L'autre force de Max Ophuls dans ce film réside dans les choix des positions de caméras (et du montage – de Robert Parrish –
qui en découle). La caméra n'est jamais là où on l'attend dans un film hollywoodien, c'est-à-dire sur les personnages, mais toujours positionnée par rapport aux décors et aux mouvements des personnages à l'intérieur de ceux-ci. La seule scène réunissant les trois personnages est remarquable à cet égard. On a le personnage féminin au milieu du décor et ses deux hommes à égale distance d'elle. Quand l'un bouge dans un sens, l'autre compense, comme pour maintenir, le temps du dialogue, un équilibre qui va se rompre quand va se rompre le dialogue.
Malheureusement, cette mise en scène brillante et novatrice n'est pas aidée par un scénario cliché. C'est celui de Rebecca, de Dragonwyck
et de dizaines d'autres films, la représentation, finalement, du mythe de Barberousse (une femme se marie avec un homme qui se révèle être un danger pour elle car il a un passé trouble). La construction du scénario n'est pas non plus très fine. La construction des deux sphères Robert Ryan/richesse/inhumanité et James Mason/pauvreté/humanisme manque un peu de nuances. On peut déplorer également la grossesse comme une recette un peu lourde de scénario, qu'il n'arrive finalement même pas à exploiter. La fin est d'ailleurs très limite dans ce sens…
Film intéressant donc, mais pas un grand film.
Pour qui tient Lettre d'une inconnue, et davantage encore Le plaisir
et, au sommet, Madame de
pour des émotions cinématographiques majeures et Max Ophuls
pour un magnifique artiste, Caught
est évidemment deux ou trois tons au dessous, du fait de la faiblesse et de la banalité du scénario.
Et de la même façon, comment le docteur Quinada (James Mason) qui aime et est aimé de Léonora parvient-il si facilement à la retrouver, lorsqu'elle l'a quitté, enceinte, pour retrouver son mari Smith Ohlring ? Il ne me semble pas (ou j'ai mal entendu à un moment ?) qu'elle ait jamais parlé à Quinada de son mariage et moins encore ait donné son nom d'épouse…
Puis, est-ce que qu'il n'y a pas une lourde, trop lourde insistance sur les aspects psychanalytiques, sur les crises cardiaques qui saisissent périodiquement Smith dès que quelque chose ou quelqu'un lui résiste ? On avait compris déjà l'immaturité du bonhomme, cher Max Ophuls, ce n'était pas la peine d'en rajouter !
Dans l'édition que je possède, une bonne surprise : un supplément de 52 minutes, l'émission Cinéastes de notre temps, série critique mythique s'il en fût, que Michel Mitrani consacrait en 1965 à Ophuls avec de multiples et merveilleux témoignages…
Excellent long-métrage réalisé par Max Ophuls en 1949, respectant les codes du film noir des années 1940 : ambiances nocturnes, personnages faillibles, relations heurtées, vengeance, engrenage fatal… La mise en scène de Ophüls est de toute beauté, portant tel ou tel aspect du récit. 65° minute : un mouvement de caméra spectaculaire souligne en début puis fin de séquence l'absence de l'héroïne de sa chaise située entre les deux personnages masculins, qui s'en inquiètent. 55° minute : la caméra, accordée à une douce musique, illustre la grâce associée à ce personnage féminin qui franchit une porte imaginaire puis introduit de la lumière tamisée dans le bureau.
Le fond de cette oeuvre est également réussi : les personnages sont crédibles, leurs relations conflictuelles à des degrés divers parfaitement évoquées par des péripéties franchissant la barrière de l'académisme pour installer des éléments non-conventionnels surprenants (les névroses du magnat, par exemple). L'arrière-plan social est bien construit, dans le cabinet médical, les lieux de détente, le manoir. Décors, photographie (Lee Garmes), interprétation sont de grande qualité. Aucun doute : il s'agit d'une oeuvre majeure, qui témoigne de l’énorme savoir-faire de son équipe de tournage, et de son réalisateur en particulier.
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