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Forum : L'Idiot

Sujet : Critique


De dumbledore, le 19 octobre 2005 à 21:29
Note du film : 6/6

La rencontre Kurosawa et Dostoievski a de quoi ravir, tant la filiation entre les deux est intéressante. Même si l'exagération slave ne peut guère rentrer en résonnance avec la retenue nippone, la construction des personnages et la noirceur lyrique du russe ne pouvait laisser indifférent cet héritier shakespearien qu'est Kurosawa.

Pourtant cette rencontre n'a pas l'air bien naturel quand on voit le début du film. On sent une narration hachée, recourrant à des intertitres, présentant (trop) rapidement les personnages, à un tel point d'ailleurs qu'on est perdu pendant une bonne vingtaine de minutes. On a l'impression que Kurosawa s'est fait submergé par Dostoievski.

Seulement voilà, la version actuelle est celle de 166 minutes, version européenne qui ne vaut pas celle de la sortie japonaise (180mn) et qui ne vaut sans doute pas la version "réalisateur" de 265 minutes. Le mauvais rythme du début trouve sans doute là son explication. Car par la suite, tout va bien mieux et même très bien. Le rythme devient de croisière avec une lenteur nécessaire et une efficacité redoutable. L'idiot trouve alors toute son intelligence.

Mais cette intelligence n'est pas forcément – précisons le – fait pour ravir les fans et les puritains de l'ouvrage. L'idiot filmé par Kurosawa reste un film de Kurosawa et accessoirement – et vraiment accessoirement – de Dostoievski.

L'histoire pourtant n'en est pas très loin : Akama et Kameda se rencontrent dans un train et se lient d'amitié, Akama étant touché par Kameda qui est d'un esprit simple et chaleureux, un peu "idiot". Akama confie à son ami qu'il fut amoureux de l'envoûtante Taeko Masu qu'il n'a pu épouser. La jeune femme est devenue la maîtresse d'un riche homme qui aujourd'hui souhaite s'en séparer. Akama aimerait l'épouser. Mais voilà que – apercevant son portrait – Kameda sombre sous le charme de la jeune femme, touché non pas par amour mais par pitié. La jeune femme hésite entre les deux et quoiqu'amoureuse de Kameda, elle va tenter de pousser celui-ci dans les bras de la vertueuse Ayako… Mais celle-ci refuse d'accepter l'union sans avoir rencontrer Taeko…

Le traitement de l'Idiotie par Kurosawa est ici assez loin de celle de Dostoievski. Il relie l'état de Kameda à une péripétie de sa vie : condamné à mort, il fut épargné à la dernière seconde. Ayant eu le loisir (sic) de vivre ces quelques instants avec le regard d'un futur mort, il en a été traumatisé au point de changer son propre regard sur le monde : incapable de mentir, incapable de jouer la dissimulation, le personnage est évidemment touchant mais plus réducteur que le Prince Mychkine…

L'Idiot est un film de Kurosawa, et un de ses grands films avec une mise en scène très soignée, offrant des scènes sublimes. C'est le cas du final où les deux amis Akama et Kameda passent une soirée alors que Taeko gît morte, dans une pièce à côté, ou bien l'anniversaire de cette même Taeko, longue scène passant par des étonnants et nombreux retournements, etc…

Mais de nouveau et comme toujours la grande force de Kurosawa réside dans ses personnages magnifiquement construit et merveilleusement joué. La tragédie se passe ici entre 4 personnages sur lesquels on pourrait écrire des pages et des pages tellement ils sont riches. Tâchons d'être économe.

Côté féminin, deux personnages que tout oppose, mais qui au fond se complète. Taeko Masu la jeune femme de mauvaise vie et Ayako jeune femme vertueuse. Les deux personnages sont construits avec richesse. Taeko est à la fois violente, dure, mais possède une souffrance qui touche justement Kameda.

Son abnegation envers Kameda est une bonté qui étonne dans le personnage mais qui la rend complexe. Pareil pour Ayako mais inversement. Douce, gentille, elle se révèle étonnamment cruel envers Kameda quand elle joue le chaud et froid avec lui, aboutissant même à un sommet de narcissisme consistant à vouloir "confronter sa rivale". Alors que Taeko avoue que Ayako incarne tout ce qu'elle aurait aimé être… on découvre qu'en réalité elle est peut-être bien moins bonne et généreuse qu'elle !

Deux hommes tournent autour de la sulfureuse Taeko. Le premier est Akama et comme il le dit lui-même, il l'aime autant qu'il la haît. Elle est surtout sa drogue qui le perdra, dans une relation fusionnelle, terrible et au fond pathétique. Personnage macho, ou du moins viril, il n'a que sa violence à offrir à celle qui réduit à zéro sa virilité. De son amour, on ne sent que l'obsession et surtout la souffrance. Du coup, son rapport avec Kameda en devient encore plus touchant. Kameda est son ami mais également son rival, un rival qu'il ne peut haïr que lorsqu'il n'est pas là.

Ces quatre personnages riches, troubles, complémentaires et perdus permettent à Kurosawa de construire une tragédie d'une rare beauté.


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De Cormega, le 9 novembre 2005 à 10:08
Note du film : 6/6

Décidement Kurosawa n'en finit pas de m'étonner. Chaque nouveau film que je vois de lui surpasse le précédent et lorsque je revois le précédent il surpasse le nouveau. Impossible de sortir un film du lot tant ils sont tous des chefs d'oeuvres (au moins pour ceux que j'ai vus, une quinzaine environ). L'Idiot est surêment l'un de ses plus beaux films, et surtout un film très personnel. Ici, comme vous le dites dans la critique, il y a deux personnages féminins d'une profondeur incroyable. C'est ce qui change un peu, car d'habitude les films de Kurosawa baignent dans un univers très masculin.

Dans le cinéma de Kurosawa, les scènes intimistes atteignent des niveaux d'émotion boulversants. Barberousse et Dode's Kaden m'ont atomisé, et c'est le cas également de l'Idiot. En fait, je ne sais pas trop quoi en dire si ce n'est qu'il faut absolument voir ce film magnifique.


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De Citizen Dave, le 22 août 2006 à 21:05
Note du film : 6/6

Dans L'Idiot de Kurosawa, on retrouve un peu me semble-til de la dramaturgie du cinéma allemand (Munrau ou Lang).

Ainsi, à la fin de la première partie, l'idiot a échangé les talismans avec Toshiro Mifune. Mais celui-ci qui a emmené avec lui l'égérie qu'ils ont en commun se trouble et lui dit que la femme lui appartient, puisqu'elle aime l'idiot de coeur. Toshiro Mifune est pris d'accès de rage et de folie. On comprend qu'il a échangé le talisman par une naissante amitié qu'il ignore, mais qu'en même temps, dans sa conscience, il s'agit d'un geste de préservation pour ne pas être poussé au meurtre. En échangeant les talismans, il s'est engagé moralement à veiller sur l'idiot. La stratégie dont il a conscience prend mal. Toshiro Mifune s'écrie: il ne peut plus rien nous arriver, maintenant qu'on a échangé les talismans. Il s'enfuit derrière sa porte et regarde l'idiot partir à travers le judas. Le regard de Toshiro est hallucinant et se surimpose aux images suivantes.

L'idiot part dans la neige, un peu transi et affolé. Tout monte alors en crescendo. Cela démarre avec un effet de bruitage exceptionnel. Les chevaux qui dépassent l'idiot sont chargés de clochettes. Les clochettes signifient la montée d'angoisse obsessionnelle chez quelqu'un que nous savons idiot par traumatisme cauchemardesques. L'agression sonore relaie le plan des yeux de Toshiro, puis se voit accentué par les images (gros plans sur les clochettes, images qui tremblent, successions rapides de plans différents, jeu d'acteur qui se bouche les oreilles et par-delà symbolique de la conscience blessée, agressée, enfin jeu de défilement des chevaux très accentué sur la droite de l'écran, dépassement à gauche pour l'idiot.

Du grand art.

Ensuite, l'idiot va se retrouver dans la musique réconfortante et gaie d'un café. Il boit un thé je crois et voit quelqu'un surgir dans la glace de la vitrine. Mais l'image nous donne le reflet seul de la table. Effrayé, l'idiot s'enfuit. Dans le reflet de la table, nous avons vu Toshiro.

Le jeu continue en se fondant sur le blanc de la neige, le noir de la silhouette de Toshiro, de la nuit, etc. Ou bien nous avons les ruptures chaotiques de lk'errement et course dans les rues.

Enfin, nnous avons la scène du couteau. Nous sommes à l'intérieur de la vitrine, l'idiot face à nous qui appuie son doigt à la vitrine pour toucher la point de l'un des nombreux couteux agressifs. Il croit se couper et part en criant.

Dans la pension Kayama, devant l'entrée, la porte se referme. C'est le dur Toshiro. Mais là un grand moment de cinéma avec la crise de l'idiot.


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De vincentp, le 25 juillet 2008 à 23:13
Note du film : 6/6

Je suis un peu moins admiratif que notre ami Cormega, mais oui, c'est un beau film, avec un bémol concernant le scénario, un peu alambiqué. Quant à Setsuko Hara, qui n'a pas trouvé sa place chez Kurosawa (les deux artistes n'étant pas visiblement complémentaires), signalons qu'elle vient de fêter le 17 juin dernier ses 88 ans, ayant arrêté le cinéma depuis maintenant près d'un demi-siècle. Un des derniers témoins encore en vie de la glorieuse période du cinéma japonais d'après-guerre, et une étonnante destinée.


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