Ce qui pouvait paraître comme une gageure,c'est-à-dire rendre hommage au film noir des années 1940,est devenu une totale réussite et le seul polar contemporain à pouvoir rivaliser avec Le faucon maltais, Le grand sommeil,
etc. Et de fait, Polanski
a réuni tous les ingrédients du genre : femme fatale, sale affaire, privé solitaire et désabusé, ville inquiétante, atmosphère très chandlerienne en somme. Toutefois,le film n'est pas une simple reconstitution figée, quand bien même l'aspect historique et esthétique de ce long-métrage est très réussi, dans une nostalgie stérile, mais un grand film d'auteur où Polanski
poursuit sa réflexion sur l'emprise du mal.
Tout commence ici par une histoire banale qui ne paraît pas au premier abord susceptible de captiver le spectateur : un trafic d'eau à Los Angeles. Puis jusqu'à une fin qui refuse le happy end, c'est un voyage au bout de l'enfer qui nous attend : corruption, inceste, souffrance physique et passage à tabac, mensonges et crimes.
Tout le monde sort perdant de cette sale affaire – rarement l'adjectif sale aura été aussi justifié -.
Comme à la même époque Le Conformiste et Le Parrain,
le classicisme somptueux et le plaisir plastique prodigués par le film contrastent avec une description des perversions et abominations diverses.
Quels éléments retenir de ce film ? La réussite du film semble vertigineuse tant tout est éclatant : le scénario,la mise en scène, les décors, l'interprétation aussi : Nicholson en privé (quelle période pour celui-ci entre les films de Rafelson,
Vol au-dessus d'un nid de coucou
et Profession : reporter)
, Faye Dunaway
en femme fatale (dans une prestation autrement réussie que son apparition décorative à la même époque dans La tour infernale)
, Polanski
lui même en petit tueur sadique qui coupe le nez de Nicholson
et l'oblige à porter un sparadrap sur le nez pendant tout le reste du film ou Huston
en figure patriarcale inquiétante .
La musique de Jerry Goldsmith parachève la réussite entre citation et originalité profonde.
En somme, Chinatown est non seulement l'un des plus beaux Polanski –
on peut y mettre aussi Cul-de-sac,
Rosemary's baby,
Le locataire
et Le pianiste
mais l'un des meilleurs polars jamais réalisés.
Je partage pleinement cette opinion. "Chinatown" est des rares films postérieurs aux années 1950 à pouvoir se targuer de rivaliser directement avec les sommets de Hawks et autres Huston. A ce titre, le récent Dahlia noir de Brian de Palma apparaît au contraire comme un cuisant échec: il ne suffit pas d'une belle photographie, d'acteurs méritants et d'un scénario alambiqué pour faire un bon film. Il est également intéressant de noter comment Polanski réutilise les règles & les recettes du film noir classique américain des années 1930-1940 pour mieux les détourner : c'est ce que je me propose d'analyser à l'adresse suivante :
http://cheminloin.blogspot.com/2007/06/pour-une-dconstruction-du-film-de-genre.html
Chinatown est le seul polar contemporain à pouvoir rivaliser avec Le faucon maltais,
Le grand sommeil,
etc. dit excellemment Verdun dans le message bien argumenté et admiratif qui inaugure ce fil…
C'est précisément là où le bât me blesse ! J'avais déjà écrit, à propos du Faucon maltais, mes réticences pour ce genre de films à intrigue compliquée et même tortueuse, où les aberrations et les révélations s'accumulent, où les faux-semblant s'additionnent : Chinatown,
à mes yeux, est un exercice de style bien plus brillant – virtuose, même – que convaincant, où le spectateur demeure absolument extérieur aux protagonistes, les regarde s'agiter avec intérêt, mais sans chaleur empathique.
Bien sûr, Jack Nicholson est parfait, aussi à l'aise quand il est emporté par les flots torrentueux que lorsqu'il séduit une Faye Dunaway
absolument craquante. Et John Huston
(hommage indirect au Faucon maltais,
justement ?) donne à son personnage de Noah Cross, pourri jusqu'à la moelle, une lourdeur, une épaisseur malsaine qui sont une grande réussite du film. Polanski
lui-même, dans son rôle de manieur de couteau n'est pas mal du tout, la lumière est très belle, Los Angelès photogénique à souhait, l'atmosphère d'avant-guerre impeccablement rendue.
Mais, pourtant fort amateur de Roman Polanski je n'accroche pas vraiment : il y a plus de tension dans Cul-de-sac,
plus d'angoisse dans Le couteau dans l'eau,
plus de trouble dans Répulsion,
plus de méchanceté sardonique dans Le bal des vampires,
plus de mystère dans Rosemary's baby
…
Mais c'est tout de même bien au dessus du banal…
Pour l'anecdote, le premier musicien prévu pour ce film avait fait un pastiche de musique chinoise ! ;) (alors que le quartier de Chinatown n'est presque jamais évoqué, sauf à la toute fin), il a été remplacé au dernier moment par Jerry Goldsmith qui a réussi l'exploit d'écrire en moins de 15 jours un véritable chef d'oeuvre oscillant entre le jazzy et la musique atonale essentiellement pour percussions et cordes pincées (dont plusieurs pianos il me semble) et cette fois sans le moindre rapport avec la musique asiatique.
La patte de Polanski est peut-être plus sensible, quand on compare Chinatown
avec sa sequel The two Jakes.
Le second est bien fait, par des gens de talent, et croyant à leur projet, mais il manque de toute évidence quelque chose, une griffe, une atmosphère, une noirceur, bien présentes dans l'original, et qui sont indéniablement la signature du réalisateur.
Malgré Nicholson devant et derrière la caméra, sans Polanski,
Gittes n'est plus tout à fait Gittes.
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