C'était le début des films "prise de tête" de Corneau, ce qui n'enlève rien à son talent, mais a privé le polar d'un défenseur acharné. Il est clair qu'après sa période Montand, il semblait avoir perdu sa verve policière et ce ne sont certes pas Chabat ou Timsit qui ont su remplacer les anciens, mais ça reste dommage. En creusant son sillon au lieu de s'éparpiller comme il le fait depuis des années, Corneau aurait pu se bâtir une filmo cohérente à la Melville. Au lieu de ça, on doit se contenter de Stupeur et tremblements !

Ah bon, Stupeur et tremblements, ce n'est pas bien ? Il y a quelque temps que je me pose la question.

Si le but de la manoeuvre est de susciter une sainte (ou saine ?) horreur du Pays du matin Calme, Stupeur et tremblements est aussi réussi que Lost in translation…

Sinon…

Ah? Relents xénophobes, alors?

Sans doute pas volontaire, mais effectivement, les Japonais apparaissent comme des aliens à moitié cinglés, vaguement sadiques. Le snobisme entourant les bouquins d'Amélie Nothomb a probablement empêché qu'on soulève réellement le problème. C'était tout de même moins marqué chez Sofia Coppola (à part dans sa description du réalisateur de pub ou de l'animateur télé, monstrueuses caricatures), mais Stupeur et tremblements n'est pas un film sympathique et laisse un drôle d'arrière-goût. Le fait de n'avoir tourné que quelques rares extérieurs au Japon et la totalité du film en studio, n'aide pas non plus à une juste vision du pays… Corneau peut (et doit !) faire mieux.

Cher Arca, si j'écris qu'il est tout de même autrement difficile de saisir pleinement la pensée, de réaliser une certaine connivence, d'avoir de l'empathie pour l'Extrême-Orient japonais, me taxerez-vous de xénophobie ou de racisme ?

Je crois qu'il y a là des particularités très singulières de civilisations jadis et naguère très éloignées de la nôtre et que la massification et la mondialisation n'ont pas tout à fait éliminées ! C'est d'ailleurs, dans une large mesure, totalement rassurant…

Qu'on le veuille ou non, un Français aura toujours plus de facilité à saisir la pensée profonde d'un Italien ou…d'un Québécois que d'un Japonais ; où est le mal, d'ailleurs ?

Et c'est cette étrangeté que captent (bien) Sofia Coppola ou (moins bien) Alain Corneau…

« Cher Arca, si j'écris qu'il est tout de même autrement difficile de saisir pleinement la pensée, de réaliser une certaine connivence, d'avoir de l'empathie pour l'Extrême-Orient japonais, me taxerez-vous de xénophobie ou de racisme ? »

Mais non ! D'autant moins que l'inverse est logiquement tout aussi vrai ! Je parle de la bizarrerie déroutante de la France à des yeux japonais. Si deux cultures sont plus éloignées l'une de l'autre pour des raisons géo-politico-historiques évidentes, alors cela requiert un plus grand effort de l'esprit. (C'est Simone Weil qui introduit cette notion d'effort dans les rapports entre les peuples dans «L'Enracinement», 1943). Cela dit, il arrive qu'on ait des surprises. Vous avez de la chance que je sois au bureau, car je vous sortirais une citation de mon mentor, le comte Sforza, selon laquelle le pays qui ressemble le plus à l'Italie, c'est la Chine…

Mais pour en revenir au film, disons qu'à lire le résumé, on peut en effet avoir des craintes, non ? La question revient toujours à savoir, en somme, ce que les auteurs connaissent ou pas du Japon.

On ne va pas poursuivre au delà de ses limites le débat (d'autant qu'il figure sur le fil d'un Nocturne indien qui n'a rien à voir avec ça !), mais la pensée du comte Sforza sur les complicités entre l'Italie et la Chine ne me désarçonne pas ; beaucoup des meilleurs analystes géopolitiques actuels estiment qu'une certaine identité de vue s'établit entre la France et la Chine, aussi. La Chine, pas le Japon.

Je suis pour ma part absolument fermé à toute fasination asiatique, alors que j'ai une attirance, une amitié, une fascination entière pour l'Afrique, ce qui m'empêche de confirmer ou d'infirmer ce point de vue…mais ce que je voulais dire, et que vous avez parfaitement compris, c'est qu'il n'est pas illégitime de se poser des questions devant le comportement de "l'autre" fût-ce pour en être séduit !

Je suis bien loin d'avoir de la morgue ou du mépris pour le Japon, sa civilisation, son histoire, les multiples splendeurs de ses aventures artistiques…mais pour rien au monde je ne voudrais y vivre….

Intéressante rencontre de deux cultures, de belles images, un récit toutefois un peu obscur et une fin difficile à interpréter.