Pandora fait partie des films des années 50 axés sur des personnages de femmes fortes et impressionnantes. Le film se situe dans cette lignée où l'on retrouve La Comtesse aux Pieds Nus ou bien encore Gilda. Toutefois rarement portrait de femme n'aura été aussi noir et terrible. Rarement un film n'aura été si loin (dans cette époque et à Hollywood du moins) dans l'épuration. L'ambiance du film, ce brin de fantastique dans lequel il baigne et surtout Ava Gardner au sommet de sa gloire en ont fait un chef d'oeuvre qu'il faut découvrir.
Ava Gardner avait interprêté Venus (Aphrodite), la déesse de l'Amour dans Un caprice de Venus (One touch of Venus). Ses formes sculpturales, sa force de caractère, son hypersensibilité, ce mélange d'un corps animal voluptueux et d'une âme toujours en quête d'absolu la destinaient à d'autres rôles emblématiques.
La voici en 1951, femme fatale, portant le nom de Pandore ou Pandora, l'Eve des légendes grecques, dont le geste – l'ouverture de la boîte fatale – avait répandu malheurs et souffrances sur le monde, ne laissant pour l'Homme au fond de la boîte que l'Espérance.
Ava / Pandora, chanteuse de charme sur la côte espagnole des années 30 provoque par sa beauté et son indifférence les souffrances des hommes, dont certains se perdent ou se tuent pour elle… Mais le village côtier où la belle envoûte une jet-set sortie tout droit de l'univers de Fitzgerald s'appelle aussi Esperanza…
Et là, sur la plage, au milieu des statues antiques brisées d'anciens mythes ensablés, elle aperçoit au loin dans la baie un étrange navire… Celui du Hollandais Volant (James Mason), capitaine maudit condamné à errer pour l'éternité sur les mers jusqu'à ce qu'une femme lui apprenne la valeur de l'amour en acceptant de mourir pour lui.
Film magnifique et inclassable, à la fois histoire d'amour et d'aventure, chronique mondaine, film fantastique, rêverie éveillée… L'esthète Albert Lewin nous raconte cette légende de toujours et d'aujourd'hui en multipliant les références littéraires et artistiques : quatrain sur la force du Destin tiré des « Robbayats » d'Omar Kayam (ainsi que dans Le portrait de Dorian Gray), images inspirées de peintres surréalistes, photos, peintures et objets de Man Ray, Mythologie grecque, légende nordique, mais aussi course de voiture, corridas, soirée dansante jazz sur la plage au milieu des statues antiques… L'ensemble pourrait sembler indigeste mais se fond dans une ambiance fantastique… et on se laisse prendre au charme du conte en suivant les pas d'Ava Gardner, nageant, nue, vers le yacht d'un ténébreux capitaine…
Femme fatale, certes, mais pas si ténébreuse que cela. Car, loin de ces femmes qui tuent et/ou se tuent par cruauté, arrivisme ou déséquilibre (Un si doux visage, La dame de Shanghaï, Pêché mortel), Ava / Pandora apprendra à aimer et donnera sa vie par amour, car « L'Amour se mesure à ce qu'on accepte de lui sacrifier ».
Ce n'est pas l'histoire d'une chute, mais celle d'une double rédemption, un message d'amour et d'espoir par delà le temps, la vie et la mort, une œuvre formellement étrange pour un message universel d'espoir propre à consoler les souffrances des âmes errantes… un message que l'on aimerait bien plus fréquent. Mais sa rareté fait aussi sa valeur…
Que dire encore ? Qu'on y entend Ava Gardner chanter de sa vraie voix (ainsi que dans Les Tueurs et Mogambo, alors qu'elle est – hélas – doublée dans Show Boat)… Que la belle tomba amoureuse de l'Espagne, où elle s'installa ensuite pendant des années, fuyant la superficialité d'Hollywood pour la vieille Europe et sa culture millénaire…
Ava continua d'explorer son rôle de femme fatale sensuelle en quête d'idéal dans ses autres films, et notamment en 1954 dans La comtesse aux pieds nus. La même année, James Mason reprit un rôle de marin ténébreux et maudit en interprétant le capitaine Nemo dans Vingt mille lieues sous les mers…
Aujourd'hui encore, à Tossa de Mar, lieu de tournage de Pandora, au nord de Barcelone, une statue de bronze d'Ava Gardner, pieds nus, cheveux au vent, contemple la mer pour l'éternité, dans l'attente d'une nef fantôme…
Les boîtes de Pandore qu'ouvre DelaNuit sont décidément toujours aussi intéressantes…
Anecdotes de tournage de Pandora à lire sur le fil de Narcisse Noir à l'occasion du décès de Jack Cardiff, qui sut si bien photographier la belle…
Pandora est une femme fatale inaccessible… et son amoureux le Hollandais volant a erré sur les mers pendant des siècles pour la trouver… Vous participez à votre manière à cette quête éternelle ! Pandora, il faut la chercher, la quêter, la mériter… Ne cessez pas pour autant de rêver au jour futur où, sur une petite plage au clair de lune d'un village perdu nommé Esperenza, elle s'offrira à vous…
Disons sans ambages que James Mason est nettement plus présentable ; que les soupirants de Pandora ne sont pas non plus négligeables, qu'ils soient le poète suicidé par désespoir Reggie Demarest (Marius Goring) ou le champion automobile Stephen Cameron (Nigel Patrick) ou même l'ombrageux torero Juan Montalvo (Mario Cabré). Mais toutes ces personnalités manquent largement de substance et d'épaisseur. Pandora/Gardner n'a pas vraiment besoin d'irradier cette personnalité : par son animale fascinante beauté, elle n'a aucun besoin de se mettre plus avant en exposition ; le plus bel animal du monde suffit à fasciner les désirs.
Mais les soupirants de la panthère ont bien peu de structure, bien peu d'intérêt : des histrions assez insignifiants (le poète alcoolisé et plutôt ridicule, le coureur automobile puéril) et le regard sombre du Hollandais volant/Mason à qui, brusquement, violemment, Pandora déclare sa flamme…Allez, avouons-le : le scénario de Pandora est d'une insigne bêtise ; on ne croit pas une seconde à l'histoire, alors que dans L'aventure de Mme Muir on pouvait, grâce à Mankiewicz, suivre Gene Tierney jusqu'au bout de son fantasme et on parvenait à entrer dans sa rêverie. C'est tout plein de jolies scènes, plein de belles images, mais c'est bien trop pictural pour être vrai.
Et lorsque le cinéma se fossilise de cette façon, on le regarde sans antipathie, mais sans enthousiasme non plus.
Les critiques de Pandora ont toujours été très partagées entre admiration et rejet. J’ai toutefois un peu de mal à concevoir ce que la question de la crédibilité vient faire quand on regarde un conte… S’étonne-ton que les personnages en soient des archétypes ? Se demande-t-on s’il est réaliste qu’une reine se transforme en sorcière, la sorcière en dragon, qu’elle endorme la princesse pendant cent ans avant d’être éveillée par le baiser d’un prince ?
Et puis, une fossilisation ? On peut la constater devant un dogme religieux autant immuable qu’irrationnel perdurant sur des siècles avec ses rigidités, ses contradictions et ses intolérances d’un autre âge, incapable d’adapter son discours à un monde qui change. Mais à l’inverse, quand des mythes et légendes (qui ne sont nullement des dogmes) précédemment sans lien (tels Pandora et le Hollandais volant) évoluent l’un vers l’autre et s’adaptent à un nouveau contexte historique qui n’était pas le leur, croisant au passage d’autres références de diverses cultures, on assiste à une vie de l’esprit. Qui plait ou déplait, que l’on est libre de trouver, selon son goût, sa sensibilité et ses propres références, inspirante, kitsch ou inepte, mais justement pas fossilisée.
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