…on oublie souvent de citer ce film parmi les grands documentaires de l'histoire du cinéma. J'ai eu la chance de voir ce court film (30 minutes) au défunt Cinéma Parallèle, à Montréal. La salle était pleine de fans de Bunuel et certains de mes voisins immédiats semblaient perplexes. On peut les comprendre, car ce film est tout à fait atypique : c'est l'oeuvre d'un anthropologue, d'un authentique documentariste, qui regarde vivre ces déshérités de la région la plus misérable d'Espagne, en se gardant de commentaires intempestifs, avec un sens très sûr du détail révélateur. D'autres s'étonneront que le propos soit si peu politique : après tout, cela se passe en 1930, sous la dictature (pas encore celle de Franco mais de José Antonio Primo de Rivera). Mais c'est que ce problème n'est pas affaire de régime politique : que ce soit sous la monarchie, sous la République ou sous la botte du fascisme, la vie de cette Terre sans pain, isolée et désolée, ne change à peu près pas (un peu comme la misère des paysans du Sud italien dépeinte dans Le Christ s'est arrêté à Eboli).

Arca1943

Cela laisse rêveur quand on regarde la société de consommation à outrance d'aujourd'hui… Il faut rappeler que Bunuel arrange quelque peu la réalité, n'hésitant pas à tuer un oiseau avec une arme à feu, pour faire du spectacle. On le lui a bien reproché.

Hum, les amis, je relève des erreurs dans vos messages ! Non pas dans la qualification de haute qualité du film, dont la sécheresse, l'absence de ton polémique, la force des images réunissent nos suffrages et notre admiration.

Mais, Arca, Terre sans pain n'a pas été tourné sous le régime autoritaire de Primo de Rivera, qui a quitté le pouvoir tranquillement en janvier 1930, à la demande du Roi (ah ! si tous les dictateurs étaient aussi respectueux des institutions !!!). Le film a été réalisé en avril/mai 1932, sous la seconde République espagnole, parvenue au pouvoir le 14 avril 1931, à la suite des élections municipales du 12, où les Républicains n'avaient pourtant obtenu que 40% des voix…

Le film a été sonorisé en 1937 et une version longue d'une cinquantaine de minutes a été présentée en 1965. Version que ni vous ni moi n'avons vue, semble-t-il, ce qui ne nous empêche pas d'apprécier le film, mais doit nous donner des regrets.

Et, Vincentp, ce n'est pas un oiseau que Bunuel a abattu d'un coup de carabine, mais une chèvre…. Ce qui change tout. Le cinéaste montrait l'extrême escarpement de la région, indique que les habitants ne mangent jamais que de la viande de porc… sauf lorsqu'une chèvre se tue en tombant dans l'abîme. Et, aucune des deux chèvres filmées n'ayant le pied incertain, il fallait bien, pour la commodité de la démonstration et la beauté de la chute dans l'abîme, qu'on aidât un peu la réalité.

C'est à ça qu'on voit les artistes : ils courbent le réel à leur volonté.

« Mais, Arca, Terre sans pain n'a pas été tourné sous le régime autoritaire de Primo de Rivera (…) (mais) sous la seconde République espagnole, parvenue au pouvoir le 14 avril 1931. »

Eh bien comme vous dites en France, pan sur le bec !