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Sujet : Critique


De dumbledore, le 2 juin 2005 à 16:30

Voilà sans nul doute un des films les plus noirs, les plus désespérés et les plus tragiques de Alfred Hitchcock. Sabotage est une adaptation d'un roman génial de Joseph Conrad, "Agent Secret" qui montre la vie quotidienne d'un espion un peu endormi, pas vraiment convaincu par la cause (dont on ne sait rien au demeurant) et qui doit faire un acte fort : poser une bombe, faire un attentat. Il demande au jeune frère de sa femme de déposer la bombe. Arrivé en retard, l'enfant meurt dans l'explosion.

Alfred Hitchcock a sans doute trouvé dans cette histoire un bon moyen de faire du suspens : le passage de l'enfant portant une bombe qui peut exploser d'une minute à l'autre est une évidence pour lui. Toutefois, cette scène il la construit avec intelligence et force de procédés durant tout le film. D'abord en travaillant le personnage de l'enfant montré comme maladroit, incapable de réussir la moindre tâche qu'on lui confie. Du coup dès qu'arrive la scène dans laquelle Verloc lui confie la mission d'aller déposer la bombe, on se doute que cela va mal finir. Ensuite le film est habité par des enfants. Dès que l'on sort hors du cinéma (lieu principal de l'action), que l'on se promène dans la rue, que l'on va au musée, il y a toujours des enfants aussi bien à l'image qu'au son.

Peut-être que la seule motivation d'Hitchcock pour faire ce film était cette scène de suspens? Peut être n'était-il pas conscient qu'en faisant mourir un enfant il touchait au sacro-saint tabou de la psyché humaine? D'ailleurs il se plaît à le dire, notamment quand il explique le flop public du film en disant qu'au cinéma on n'a pas le droit de tuer des enfant de 10 à 15 ans. Seulement à revoir le film dans le détail on aurait du mal à croire qu'il s'agisse d'une "bourde". D'abord parce qu'en tant que maniaco-dépressif, l'image, voire l'imago de l'enfant souffrant, mourant, est constitutif de la propre personnalité d'Hitchcock. Image terrible qu'il faut contrebalancer par l'inverse : l'enfant roi. Celui de Mais qui a tué Harry ? ou bien même celui de L'homme qui en savait trop.

Mais surtout, indépendamment de ces considérations psychanalytiques, le film est là pour témoigner dans le sens de cette noirceur voulue mais pas reconnue. Aucun humour dans ce film, chose très rare dans cette période anglaise du cinéma du Maître. Et puis surtout la construction d'un personnage féminin d'une tragédie terrible et éblouissant. Sylvia Sidney, parfaite dans le rôle (tout comme Oskar Homolka dans le rôle de son époux), incarne une Mme Verloc torturée, à la fois socialement (sa famille et elle n'ont pas le sou, ils ont fuit les USA pour l'Angleterre en espérant – à tort – que l'herbe y était plus verte), que personnellement (elle n'aime pas son mari mais lui est redevable de sa gentillesse, n'a pas d'enfant si ce n'est son frère qu'il considère comme tel et qui est par ailleurs une charge pour son mari. Pire, elle se sent attiré par le beau et amusant voisin – en réalité un flic sous couverture). Personnage tragique donc qui verra tout son univers s'écrouler et qui finira par s'en sortir par une pirouette, mais qui restera sans doute folle, obsédé par la mort de son frère qui était pour elle un fils.

Un grand film du maître, qu'il faut absolument voir pour se convaincre, s'il y a besoin, que derrière ses histoires policières se cachent des vrais histoires de personnages.


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De vincentp, le 22 avril 2007 à 14:55
Note du film : 5/6

Oui, un film surprenant, vu en VO, avec un son un peu limite, sans sous-titrage. Dans ce contexte, on ne capte pas tous les dialogues et on s'attache alors à décrypter les images, lesquelles ont une puissance évidente : gros plans sur des regards hallucinés, des gestes crispés et nerveux, des éclats de lumières dans un cadre sombre, baignant le film dans un climat d'angoisse constant, qui rappelle le cinéma expressionniste allemand.

Les personnages habituels de Hitch (le beau gosse affable, et la jeune fille timide, naïve, audacieuse) sont bombardés dans un cauchemar urbain à la Fritz Lang qui dépareille dans l'oeuvre du metteur en scène. Le duo de la lumière est opposé au chevalier des ténèbres. Outre son impact visuel et ses relents psychanalytiques (ex : la jeune fille qui tue symboliquement son père), Agent secret possède aussi une puissance visionnaire par les développements du scénario, et frappe en fin de compte par la puissance avec laquelle il nous plonge dans les méandres tourmentées de la pensée humaine.


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De urspoller, le 7 octobre 2007 à 08:54
Note du film : 5/6

Difficile de passer après ces deux excellents commentaires et de faire montre d'un minimum d'originalité! Mais, je vais quand même essayer, ne serait-ce que pour évoquer un cinéaste inégalé et pour sortir de l'air du temps où il est de bon ton de louer les anecdotiques Jean-Paul Civeyrac, Pierre Léon, ou d'autres illustres inconnus!

Alfred Hitchcock a toujours utilisé pendant sa carrière le film d'espionnage comme l'un de ses jardins de prédilection. Avec Une femme disparaît, Les 39 Marches, Correspondant 17, Cinquième colonne, Les Enchaînés, L'homme qui en savait trop, La mort aux trousses, Le rideau déchiré ou L'étau , le cinéaste utilise, à l'envi, ce genre cinématographique, auquel il a donné ses lettres de noblesse, pour souligner les manipulations, les faux-semblants, les conspirations, l'engrenage contre lesquels un héros innocent doit se débattre. Ce thème ayant trait à la culpabilité traversa toute la filmographie de sir Alfred.

Ici, Hitchcock brosse un véritable diptyque avec Secret Agent (sorti en France sous le titre de Quatre de l'espionnage) et Sabotage (sorti en France sous le titre d'Agent Secret). Ce métrage, scénarisé par Alma Reville est tiré du roman éponyme de Joseph Conrad.

Grâce à une noirceur extrême ou une totale liberté de ton (la mort gratuite d'un enfant, il fallait vraiment oser !), le réalisateur nous offre une œuvre brute, épurée, puissante et moderne par le truchement d'une mise en scène innovante et d'une virtuosité technique jamais démentie.

Dans ce long-métrage, le spectateur sera plongé dans une façon de faire du cinéma qui paraîtrait totalement désuet à l'heure actuelle. Mais, en se référant aux limites techniques de l'époque, le décalage avec les productions contemporaines est ici patent. On admire, d'autant plus, cette poésie esthétisante de ces décors de carton ou de ces maquettes.


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De silverfox, le 7 octobre 2007 à 12:00

Certains éléments marquants l' enfance de Hitchcock traversent ses films. Ainsi, il est plusieurs fois question du métier d'épicier comme dans Agent secret ou Frenzy. Pour information, les parents de Hitchcock étaient épiciers.


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De urspoller, le 7 octobre 2007 à 12:57
Note du film : 5/6

L'œuvre d'Hitchcock est l'antithèse même du manichéisme ou d'une simple dichotomie. Dans Sabotage comme dans Les enchaînés ou Soupçons, la matrice même de l'intrigue se perd dans les méandres des certitudes nettes pour sombrer dans une perpétuelle instabilité où s'entrelacent les sentiments de culpabilité et d'innocence. D'ailleurs, pour sir Alfred, un innocent est un coupable qui s'ignore.

A ce sujet, je voudrais citer une phrase du maître du suspense qui se passe de commentaires : " Tous les méchants ne sont pas noirs, tous les gentils ne sont pas blancs. Il y a du gris partout."


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