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Forum : L'Invaincu

Sujet : Critique


De dumbledore, le 20 octobre 2004 à 12:47
Note du film : 6/6

Suite au succès du premier opus, Satyajit Ray peut aborder la seconde partie de sa trilogie avec une plus grande sérénité. Des trois épisodes, L'invaincu est sans doute le plus réussi, le plus touchant et également le plus dur.

Nous retrouvons Apu qui a maintenant une dizaine d'années. La famille qui avait quitté leur village s'est installée à Benarès, la ville sainte. Le père peut enfin rapporter un peu plus d'argent en exerçant son métier de prêtre et Apu est devenu un enfant des rues. Seulement, le père décède, la pauvreté revient et Sarbojaya doit travailler, et même repartir à la campagne. Apu abandonne ses études de prêtre pour entrer à l'école… Puis, il part à Calcutta entreprendre des études supérieur. C'est le déchirement avec sa mère.

Tous les points de vue narratifs de Satyajit Ray dans La complainte du sentier prennent ici leurs sens. Traitant de l'enfance d'Apu, Satyajit Ray ne l'avait pas choisi comme personnage principal, mais lui avait préféré sa mère, Sarbojaya. On découvre avec L'invaincu que l'idée est excellence car avec le thème de l'adolescence ici traité, c'est la séparation de l'enfant et de sa mère qui va stigmatiser le passage au monde adulte. La relation entre Sarbojaya et Apu est tout à la fois très forte et très juste. Forte car suite à la mort de la grand-mère, de sa fille, puis de son mari, Sarbojaya n'a plus qu'Apu.

Elle se dévoue à lui, survit elle-même pour qu'il puisse, lui, vivre. Du coup, la séparation nécessaire entre le fils et la mère est d'autant plus cruelle. Cette cruauté n'est jamais exagérée. Elle passe toujours par les personnages. On comprend la mère dans chacun de ses actes, dans son combat perpétuel pour avoir la force de laisser partir son fils car elle sait que c'est ce qu'elle doit faire pour son bien, mais elle sait en même temps que ce départ causera sa perte, à court ou à long terme. Cela fait trop longtemps que c'est lui qui, par sa présence, la maintient en vie. Cette conscience, Satyajit Ray ne l'a donne pas à Apu. Il aime sa mère, cela fait aucun doute, mais s'il la quitte sans presque se retourner, s'il la trouve lourde quand il revient pendant les vacances, s'il comprend par contre qu'il n'a plus de réelle connivence avec elle, il ne comprend pas le mal, la souffrance qu'il lui cause.
Il ne se doute aucunement que son départ causera sa mort. Il y a également de l'égoïsme dans cette incompréhension. Apu pense à lui avant de penser à sa mère. Ce qui est normal pour un enfant. C'est ce même égoïsme nécessaire qui le pousse à retourner à Calcutta pour passer ses examens plutôt que d'assister à l'enterrement de sa mère.

Cette justesse psychologique n'est possible que parce que Satyajit Ray a choisi de raconter l'histoire essentiellement du point de vue de la mère. Raconté que du point de vue du fils aurait contraint à forcer les traits : la mère serait passer pour une mère surprotectrice et égocentrique et les comportements de l'adolescent comme une révolte normale et finalement sans enjeux. Bref, une simplification psychologique.

Satyajit Ray fait preuve dans ce film du même souci du détail, rendant raison à un autre maître, Akira Kurosawa qui proclamait que "Dieu est dans le détail". C'est toujours dans la quotidienneté que l'évolution se passe. On a droit à moins de scène lyrique que dans les autres films, la nature est moins importante également. Toutefois, Satyajit Ray ose toujours des images très fortes et très parlante comme tout le passage sur la mort du père, ou bien encore un montage parallèle très elliptique entre la mère à la campagne et le fils à Calcutta.

Du grand art… et ce n'est que le deuxième film du réalisateur indien qui devra payer la dureté de sa vision. Le film remporte certes le grand prix à Venise, seulement le public ne suit pas et le film est un sévère échec commercial. Il faudra deux ans pour que le cinéaste s'en remette, deux ans et deux films plus "populaire" : La pierre philosophale et le salon de musique.


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De vincentp, le 25 novembre 2016 à 22:54
Note du film : Chef-d'Oeuvre


Les parents ne sont pas éternels…

Second volet de la trilogie d'Apu, réalisé par Satyajit Ray en 1957, revu ce soir sur grand écran à l'occasion de la rétrospective consacrée au cinéaste indien. Apu, écolier puis étudiant, quitte le monde de l'enfance pour entrer dans celui des adultes. C'est le portrait d'un personnage bengali, de sa famille, et par extension celui de la société bengalie du début du XX° siècle (le récit est censé se dérouler en 1920). Vision contemplative du monde, avec une grande variété de décors extérieurs, situés à proximité d'un fleuve -le Gange- omniprésent. Le récit est déroulé sur un rythme lent, via un nombre de péripéties limitées. La vie représentée à l'écran est rythmée par des déplacements entre la ville et la campagne, à pieds ou en train. L'expression de la conscience de soi et des autres se lit sur les visages filmés en gros plans de Apu et de ses parents. Des instants d'allégresse, liées à la progression morale ou intellectuelle, alternent avec des moments de découragements ou de souffrance, face aux épreuves de la vie. L'instruction, l'ouverture au monde, la rupture vis à vis des traditions, sont présentés comme les clés de l'accomplissement de l'être humain.

Un lyrisme contenu, des aspects mélodramatiques appuyés par moments, peuvent expliquer l'impact limité de Aparajito à sa sortie en salle. Mais avec le temps ce film est devenu un classique. L'intégration des aspects sonores dans l'écriture cinématographique de ce film est particulièrement sophistiquée. La musique de Ravi Shankar amplifie ou module les émotions des personnages, donne un sens aussi au récit : la vie est déroulée selon une ligne directrice à laquelle se greffent des fines et rapides modulations liées à la pensée et à l'activité humaine. Ce récit semble traduire en images les idées suggérées par la musique indienne traditionnelle, dont Ravi Shankar est un des hérauts. Quels pourraient être les limites que l'on pourrait adresser à cette présente oeuvre de Satyajit Ray ? Sans doute, le fait que le volet suivant de la trilogie d'Apu (Le monde d'Apu) est incontestablement plus réussi que Aparajito. Un scénario plus sophistiqué, une mise en scène plus élaborée, des interprètes plus expressifs, une musique de Ravi Shankar de qualité supérieure, pour Le monde d'Apu. Mais Aparajito évolue dans une sphère artistique déjà très élevée…


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