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Sujet : Un petit air impressionniste


De dumbledore, le 20 octobre 2004 à 12:45
Note du film : 5/6

Quand Satyajit Ray s'attaque au projet d'adapter la roman populaire de Bibhutibhushan Bandyopadhyay, il ignore sans doute dans quel périple, il vient de se lancer pour la réalisation de son premier film. Il ignore qu'il mettra plus de cinq années à mener à bien le projet de La complainte du sentier. Tout commence pour lui par un refus, celui de faire le film au sein des studios indiens. Ce refus de la part de Satyajit Ray n'est pas seulement esthétique, il est d'abord et avant tout culturel. Refuser le film de studio, c'est refuser de voir le texte être transformé et surtout adapté dans une simple histoire mélodramatique aux critiques sociales et historiques gommés.

Il fera le film seul, en décor naturel, avec des acteurs qui n'en sont pas, en vendant une partie de son héritage familial. Il devra même arrêter pendant plus d'un an le film, vivant alors dans l'angoisse de voir les enfants de ses films grandir trop vite, de voir la vieille grand-mère mourir trop tôt. Ce sera la chance – comme souvent dans les histoires de cinéma – qui le sauvera, une exposition faite à New-York sur l'Inde et qui permettra à John Huston de voir les rushes de ce premier film. Huston est emballé et obtient promesse que le film une fois fini sera vu aux Etats-Unis.

Du coup, des financements arrivent, Satyajit Ray peut finir le film. S'il est accueilli froidement par les autorités du Bengali qui jugent le film trop dur sur la condition bengalie, le succès populaire sera là et le film obtiendra même un prix au Festival de Cannes (meilleur document humain).

L'obstination de Satyajit Ray à ne pas céder au compromis n'a pas seulement payé, mais il est le coeur même du sujet de son film et de son cinéma (qui découlera de ce film).

La complainte du sentier est le premier opus de la Trilogie d'Apu. Le premier épisode le prend de sa naissance à cinq ans. Le second, L'invaincu le suit de 10 à 17 ans, et le dernier, Le monde d'Apu le suivra dans sa vie d'homme, de 25 ans à 30 ans. Dans cette premier histoire, l'action se passe dans les années 1910, dans un petit village. On suit la vie quotidienne d'une famille, dont le père, Harira, prêtre et poête, rêve sans cesse d'une réussite qui ne viendra jamais, une mère, Sarboyaja, qui tente de joindre les deux bouts tout en devant gérer sa fille, Durga, voleuse de fruit pour sa grand-mère et détestée par sa voisine. Apu naît dans cette famille et trouve sa place entre la maison, la forêt et l'école.

Satyajit Ray dénote de ses contemporains par un cinéma qui mêle parfaitement le cinéma occidental et des sujets indiens. A voir ce premier film, on sent l'influence des grands maîtres du réalisme, du néo-réalisme italien d'abord, dans le souci du détail véridique, mais également de Jean Renoir et Ingmar Bergman dans la construction de ses personnages. Son réalisme est une nouveauté dans le cinéma indien déjà "bollywoodisé".

Le rythme du film est lent, volontairement lent car c'est dans la quotidienneté que s'inscrit l'histoire d'Apu durant ces trois histoires. Il ne cessera d'essayer de s'affranchir des habitudes culturels, des réflexes psychologiques, des images dans lesquels il sera sans cesse enfermé. Il faut donc bien inscrire le quotidien, et cela passe par tous les gestes répétitifs qui remplissent la vie des hommes : préparation de nourriture, nettoyage de linge, toilette, etc. Le film est remplis de ces habitudes que seuls quelques évènements minimes rompent : une voisine furieuse, un salaire qui tarde à tomber, etc.

Ces actions quotidiennes auront également un avantage non négligeable: faire bouger des comédiens amateurs est le meilleur moyen pour qu'ils soient juste. Ils sont juste dans ce qu'ils font et seront généralement juste dans ce qu'ils diront, vivront.

L'idée forte de Satyajit Ray est d'avoir refusé de raconter son histoire du point de vue de Apu. Il ne doit pas être plus de 10 minutes à l'écran, ni avoir plus d'une dizaine de répliques. Il est là, encore dans le décors. Il est quelques fois un regard, mais au fond, il est encore préservé par l'enfance dans lequel il évolue. Le personnage central de son histoire est la mère. Il faut reconnaître qu'il a raison tant son personnage est passionnant, à la fois subissant une vie quotidienne écrasante, devant gérer ses enfants, et renoncer à ses rêves de jadis.

Malgré cette réalité dure et quotidienne, Satyajit Ray ne cède jamais au pathétique. Il se laisse même aller à la poésie visuelle, avec notamment le traitement de la nature (le train vu depuis les champs ou l'arrivée de la mousson). Son sens du cadre est déjà aiguisé, son sens du montage également, n'hésitant pas à faire des séquences d'un seul plan (travelling généralement).

Il y a également quelques symboles dans cette trilogie, mais ce symbolisme se fait toujours en douceur. Le premier est le train qu'on verra durant les trois films, comme symbole du départ nécessaire, et presque de renaissance. Le moment le plus fort que vit Apu avec sa soeur est une poursuite de train. Dans le deuxième opus, ce train sera audible de la chambre de bonne de l'étudiant. Il sera ensuite – à la fin – le cadeau du père pour son fils…

Le second symbole est l'eau. Il est toujours connoté d'ambivalence. C'est l'eau qui créé les basculements que le hasard peut imprimer à la vie. C'est une pluie trop forte qui sera la cause de la mort de la soeur, c'est sur le fond du Tage que meurt le père ou bien encore sur fond du fleuve que Apu accèptera de se marier…


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De vincentp, le 5 février 2009 à 22:59
Note du film : Chef-d'Oeuvre

Un style réaliste ET contemplatif (particularité du cinéma de Ray). Le cinéaste filme ainsi dans le reflet de la rivière la déambulation des enfants sur le sentier -sur la douce et évocatrice musique de Ravi Shankar-, liant l'innocence de l'enfance à la pureté de la nature.

Ceci pour aboutir à un très beau film, axé sur les rapports humains noués entre trois générations, entre un frère et une soeur (sublime séquence qui voit la fillette ouvrir l'oeil complice de son petit frère), entre des milieux sociaux différents, entre un père et son milieu professionnel. Quelques regards ou postures pris sur le vif fixent sur la rétine du spectateur les palpitations de la vie.

Un cinéma d'auteur à la fois réfléchi, ambitieux, sobre tout en même temps. Et dire que ce n'est là que le début de carrière de Satyajit Ray, qui réussit à élever par la suite la qualité de son cinéma avec Aparajito, deuxième volet des aventures de Apu, sans aucun doute un de ses meilleurs films (et un des meilleurs films de l'histoire du cinéma, par la même occasion).


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De vincentp, le 1er décembre 2016 à 22:45
Note du film : Chef-d'Oeuvre


Revu ce soir sur grand écran dans le cadre de la rétrospective Satyajit Ray. Pather Panchali est le premier film réalisé par Satyajit Ray en 1955. Le tournage, difficile s'étale sur trois ans. L'oeuvre assoit la réputation du cinéaste au Bengale et à l'étranger (projection à Cannes en 1956 et succès critique en France -Truffaut, notamment-). Satyajit Ray, s'exprimant au sujet de Pather Panchali (bonus de dvd), explique lucidement qu'il a appris la mise en scène sur le tas, et que celle-ci est logiquement de meilleure qualité dans la seconde partie du film ! Pather Panchali exprime une vision du monde contemplative, un souffle de liberté spirituelle, dégagée des contingences matérielles et nourrie par un contact avec la nature imaculée. Si la nature est source de production tout azimuth (arbres démesurés), elle est aussi cause de destruction dramatique (décès inexpliqué de l'adolescente). La photographie en noir et blanc de Subrata Mitra est magnifique. Par moments, on dirait du Terence Malick des années 1950 (images des étangs, nénuphars, champs et forêts).

Mais une vision contemporaine de l'oeuvre nous amène à exprimer quelques réserves. La mise en scène de la première partie de Pather Panchali est moyenne, la vision très ambitieuse de Ray n'est pas complètement portée par sa mise en scène. La forme ne suit pas toujours les intentions de l'auteur. L'histoire est par moments un peu ennuyeuse, l'interprétation parfois moyenne. Dans la même veine, L'invaincu (1957), avec les mêmes personnages et acteurs, est bien plus réussi ; et Le monde d'Apu (1959) est à son tour plus réussi que L'invaincu. Les progrès accomplis par le cinéaste, en quelques années, sont phénoménaux. On mesure aujourd'hui quels sont les meilleurs films de Ray : outre Le monde d'Apu : Le salon de musique, Charulata, Des jours et des nuits dans la forêt. Mais aussi Le lâche, L'expédition, Le héros… Avec une part peut-être de malchance à l'époque qui s'avère être au final une chance (l'étalement dans le temps du tournage du film), les qualités finales de Pather Panchali ont supplanté ses défauts initials, et l'ont installé haut dans la hiérarchie des films d'auteur.


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De vincentp, le 30 décembre 2016 à 17:31
Note du film : Chef-d'Oeuvre

Satyajit Ray s'exprime à propos de Pather Panchali dans le documentaire (excellent) réalisé par S. Benegal en 1984 (durée : 140 minutes), passant en revue les constituants de l'écriture cinématographique de Ray. C'est dans ce documentaire que Ray explique lucidement que la première partie de Pather Panchali comporte des défauts (plans, interprétation).


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