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Sujet : Terra incognita


De Impétueux, le 6 février à 21:08
Note du film : 4/6

Alors que depuis les désastreux accords Blum/Byrnes du 28 mai 1946, notre France est inondée par le cinéma des États-Unis qui ne se sont pas contentés de nous envoyer des chefs-d'œuvre mais nous ont refilé leur tout-venant, nous avons bien peu reçu de films soviétiques pendant la même période. Il est vrai qu'au-delà des cercles communistes militants de France-U.R.S.S., nous nourrissions une certaine méfiance pour un cinéma jugé idéologique (comme si celui de l'Oncle Sam ne l'était pas !). Certes les cinéphiles connaissaient les noms de Poudovkine ou de l'admirable Eisenstein ; certes franchissaient de temps en temps les frontières les merveilles de Kalatozov, de Bondartchouk, d'Andrei Tarkovsky, de Paradjanov. Plus tard les films de Pavel Lounguine, d'Andrey Konchalovskiy et bien sûr de l'impeccable Nikita Mikhalkov.

Mais le cinéma de tous les jours russes, le cinéma bon-enfant, le cinéma qu'ici nous appelions de samedi soir ? Rien du tout ! Comme si les Soviétiques avaient vécu dans une sombre triste cave ou dans un Goulag perpétuel. Je fais attention à ce que j'écris : je ne crois pas que le Paradis ait jamais été soviétique, mais je me dis que l'existence des Noirs dans l'Alabama profond n'était pas tellement sympathique non plus.

Eh bien voilà que j'ai regardé un de ces films bon-enfant que la classe moyenne devait bien apprécier sans se poser de question ; un film bâti sur une opérette – c'est-dire une rêverie joyeuse – mais bâti sur une musique qui n'est pas de n'importe qui : Dimitri Chostakovich, le plus grand compositeur de l'époque, ce qui donne à Cheryomushki une qualité musicale comparable à celle du Leonard Bernstein de West side story. Cela étant écrit, pour applaudir à une musique délicieuse, ne comparons pas trop les choses : il s'agit là d'une opérette très légère, mais en même temps très sarcastique et très narquoise. Sa principale qualité est avant tout de montrer ce que pouvait être, au plus fort de la Guerre froide, en 1962 (la Crise de Cuba est de la même année), la vie quotidienne des Moscovites, confrontés à la crise du logement.

La chape stalinienne s'étant un peu soulevée (c'est Nikita Khrouchtchev qui dirige le pays), il est désormais possible de dénoncer ou même de se moquer des insuffisances du pays : la corruption, la bureaucratie, les passe-droits, les insuffisances de l'approvisionnement, la multiplication des formulaires, des intermédiaires, des désastres causés par l'inertie, l'indifférence, la négligence.

Et donc, sur un rythme joyeux et coloré voici l'histoire de couples – faits ou à faire – qui vont se retrouver dans le Quartier des cerises, une cité sortie de n'importe où dans la banlieue de Moscou où se dressent barres et tours, comme elles se dressaient dans la banlieue parisienne à la grande admiration tous ceux qui voyaient s'édifier des appartements modernes à la place des champs et des bidonvilles.

Quatre couples faits, ou à faire, ou à défaire dans ce cadre : le rieur Boris (Vladimir Vasiliev) qui chante et qui vit en riant et qui est tombé amoureux dès qu'il l'a vue de Lida (Olga Zabotkina) qui est guide dans le Musée de la rénovation urbaine ; le couple marié depuis six mois Sacha (Gennadyi Bortnikov) et Macha (Marina Khotuntseva) qui ne parvient pas à obtenir un appartement et doit se résigner à ne se voir qu'au théâtre ; le couple en construction de Sergueï (Vladimir Zemlyanikin) et Lussia (Svetlana Zhivankova), la belle grutière. Et, in fine le couple mal assorti de Fedor Drebrednev (Vasiliy Merkurev), gestionnaire corrompu de l'ensemble immobilier qui, avec sa nouvelle femme, la spectaculaire Vava (Marina Polbentseva) qui n'a aucun scrupule pour chasser tous ceux qui ont droit à un logement afin d'agrandir leur propre pré-carré.

Il y a beaucoup de charme, de gaieté dans le film : les jeunes gens s'amusent, se rencontrent, se dispersent, se retrouvent, comme tous les jeunes gens du monde ; ils chantent, ils dansent, ils sont émerveillés de se découvrir et de s'aimer ; ils se font la tête, font mine de ne pas se reconnaître ou de ne pas s'intéresser parce que c'est la nature du monde ; et puis ils fondent dans des bras qui les accueillent : rien que d'évident.

Un joli film sans autre qualité que d'être, précisément, joli. Mais c'est tellement bien d'être ainsi !


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