Pour apprécier pleinement The Victim, il faut remettre l'oeuvre dans son contexte: nous sommes dans l'Angleterre des années 1960 où l'homosexualité est encore considérée comme un crime passible de prison. Les homosexuels sont les cibles faciles des maîtres chanteurs, qui peuvent agir en toute impunité, sachant qu'ils ne seront pas dénoncés par leurs victimes.

Tout semble sourire à Melville Farr (Dirk Bogarde), grand avocat londonien, marié et père de famille, qui s'apprête à être promu juge. Mais il est soudainement rattrapé par son passé lorsque son ancien amant Barrett (Peter McEnery), victime de chantage, l'appelle à l'aide. Dans un premier temps, Farr, craignant de voir resurgir son passé, refuse d'aider Barrett. Mais peu de temps après, Barrett est retrouvé pendu dans sa cellule. Bouleversé pas cette nouvelle, l'avocat décide alors de retrouver la trace des maîtres-chanteurs. Il accepte de participer à l'enquête aux côtés de la police, malgré l'omerta qui règne en maître, malgré le scandale qui s'annonce et malgré le danger que cela représente pour sa famille, sa vie intime et sa carrière…

Il s'ensuit que The Victim est avant tout un film courageux, qui part en guerre contre les lois anglaises sur l'homosexualité, lois toujours en cours en 1960 près de soixante ans après Le procès d'Oscar Wilde. The Victim insiste sur le fait que cette législation archaïque favorise toutes les formes de chantage. L'homosexualité, alors sujet tabou au cinéma, est traitée sans détour et sans malhonnêteté. Les personnages gays sont vu comme des êtres humains comme les autres, avec leurs qualités et leurs défauts. On peut à la rigueur regretter le caractère caricatural des maîtres-chanteurs, ainsi qu'une musique qui surligne un peu trop certaines séquences, mais cela n'atténue guère la puissance du propos.

Ce faisant, The Victim est également un excellent film noir à l'anglaise, rondement mené, réalisé avec efficacité par le talentueux Basil Dearden et servi par une superbe photo en noir et blanc de Otto Heller.

The Victim, c'est enfin la rencontre entre un rôle et un acteur. Dirk Bogarde, lui-même gay ayant été contraint de cacher son homosexualité, a accepté d'incarner l'avocat Farr après les refus de plusieurs grandes vedettes. Le film de Dearden a permis à Bogarde d'incarner un personnage épousant ses convictions, de briser enfin l'image -qui lui pesait- de jeune premier idéal et d'accéder au grand cinéma d'auteur, celui des Losey, Visconti et consorts.