Voyage à travers le cinéma français
était un film sorti en salles (trop peu de salles) en 2016, un film emballant, enthousiasmant, nourri de l'amour du cinéma de
Bertrand Tavernier
et destiné à ceux qui, comme lui, aiment voir et revoir les films qu'ils apprécient, chefs-d'œuvre incontestés mais aussi petits bijoux peu connus, quelquefois en toc, souvent magnifiques. Mais au bout des 3h15 partagées par un entracte, on sortait frustré de la salle.
Jacques Becker,
Jean Renoir,
Jean Vigo,
Marcel Carné,
Jean-Pierre Melville
affectueusement, amoureusement présentés, c'était évidemment magnifique, mais où étaient les autres,
Sacha Guitry,
Jean Grémillon,
Marcel Pagnol,
Julien Duvivier,
Max Ophuls
? Et un carton, heureusement, annonçait un deuxième film.
Tavernier
a fait mieux : une série de huit heures, neuf épisodes de 52 minutes. Évidemment – c'est la contrepartie de la longueur exposée, ça n'a été présenté qu'à la télévision (sur
France 5) et non sur grand écran, mais c'est sorti en DVD. Un régal. Et une nouvelle frustration ! Car si l'auteur indique, au bout du neuvième épisode, que
cette fin (le) laisse sur sa faim et qu'il regrette de n'avoir pas montré de grands cinéastes qu'il aime – il cite
Henri Verneuil,
Christian-Jaque,
Georges Franju,
Louis Malle –

il ne précise pas qu'une nouvelle série suivra…
Il y aurait pourtant tellement de quoi faire ! Parce qu'aux réalisateurs énoncés il faudrait en adjoindre bien d'autres : un peu Marc
et surtout Yves Allégret,
Denys de La Patellière,
le Jean Delannoy
des deux Maigret
le Georges Lautner
des débuts, Robert Enrico,
Philippe de Broca
… et même – pourquoi pas Émile Couzinet
ou André Berthomieu
(dont Tavernier
dit qu'il aurait aimé célébrer et nous montrer Le bal des pompiers
…)
Évidemment, un des inconvénients de l'exercice est d'avoir arrêté pratiquement la pendule à 1970 (à quelques rares exceptions près, par exemple
Daguerréotypes
d'
Agnès Varda
qui date de 1975). De ce fait,
Tavernier
nous prive de très nombreux films de cinéastes dont la carrière s'est étendue ou même a véritablement pris son envol après cette limite.
Jean-Paul Rappeneau,
Pierre Schœndœrffer,
Alain Cavalier
ou
Yves Robert
par exemple. Et il ne peut aborder le continent
Maurice Pialat
dont
Nous ne vieillirons pas ensemble
est de 1972.
Le parti choisi n'est pas chronologique, mais thématique, ce qui est fort bien ainsi : on va, on vient, on s'attarde, on revient, un demi-épisode est consacré à la riche matière des chansons dans les films, il y a plusieurs extraits d'entretiens avec des metteurs en scène, des acteurs, des compositeurs ; on parle un peu technique (notamment à propos de
Julien Duvivier
qui était un maître absolu dans ce domaine), on fait remarquer des innovations techniques surprenantes et délicieuses, comme les pas réunis de
Sacha
et de
Geneviève Guitry dans
Donne moi tes yeux,

simplement éclairés par le rond halo d'une lampe de poche ; et puis on reprend des images montrées dans le premier
Voyage,

celui montré au cinéma ; on découvre des raretés (
La terre qui meurt
de
Jean Vallée, premier film français en couleurs de 1936 – procédé
Francita). On est ravi.
Tavernier
n'a pas la dent dure ; il fait peu état de ce qu'il n'apprécie pas (je n'ai noté qu'un mot péjoratif sur l'adaptation des
Misérables
de
Jean-Paul Le Chanois).

Naturellement, comme tout amateur, j'ai mes partis pris et je m'insurge un peu de l'entendre dire du bien de
Jacques Tati
ou d'
Alain Resnais
ou de surévaluer (à mes yeux)
Le désordre et la nuit
de
Gilles Grangier
… Mais comme il m'a fait plaisir en disant tous les mérites de films charmants que j'aime, comme
Prends la route
et
Nous irons à Paris
de
Jean Boyer,

d'
Avec le sourire
ou de
Justin de Marseille
de
Maurice Tourneur
ou de films graves, comme
Mollenard
de
Robert Siodmak
ou
Jéricho
d'
Henri Calef
…
Et tous ceux qu'il m'a donné envie de revoir ou de découvrir…