J'aurais pu évoquer aussi à mon souvenir un film plus ancien (1985) de Paul Verhoeven, qui s'appelle La chair et le sang, qui se passe dans l'Europe ravagée du début du 16ème siècle et présente une héroïne, Agnès (Jennifer Jason Leigh), déchirée entre deux hommes et deux natures, érotique et romantique. Parce que, d'une certaine façon, Benedetta (Virginie Efira) est tout autant écartelée entre sa sensualité saphique et son mysticisme exalté qu'elle réconcilie, d'une certaine façon en les assimilant, les confondant comme s'ils étaient un élan identique.
Benedetta, depuis toujours, a eu une ferveur spéciale envers la Vierge Marie et elle est fermement persuadée d'avoir noué une relation particulière avec Jésus, dont elle croit qu'Il exauce toutes ses demandes. La supérieure du couvent, la Mère Félicita (Charlotte Rampling) est à la fois intéressée par l'étrange fille dont elle a la charge et plutôt réservée sur un mysticisme qui confine quelquefois à l'exaltation voire à l'hystérie. Dans l'atmosphère particulière des clôtures conventuelles féminines se développent vite des attitudes singulières ; on songe un moment aux Diables de Ken Russell sur les fameuses Possédées de Loudun. Claustration, macérations, illuminations, austérité, jalousies et amours mal formulées et jamais assouvies, voilà un cocktail possiblement détonnant. Il se trouve que Benedetta bénéficie d'une certaine aura auprès de ses compagnes ; en tout cas elle fascine beaucoup Bartoloméa (Daphné Patakia), pauvre paysanne entrée au couvent pour fuir son père et ses frères incestueux. D'emblée les deux jeunes femmes sont séduites l'une par l'autre et il ne faut pas beaucoup de temps à Bartoloméa pour entraîner Benedetta dans les grandes vagues du plaisir. Cette aventure lesbienne, si scandaleuse qu'elle puisse apparaître, surtout du fait de son évidence, ne serait pas décisive (on en voit bien d'autres dans Diderot et dans Casanova) si Benedetta ne se prétendait pas l'interprète directe du Christ, ne recevait, comme Saint François d'Assise les stigmates de Jésus et n'était pas propulsée par des hiérarques ecclésiastiques comme une sorte d'image vivante édifiante et possiblement fructueuse. Car c'est bien cela qui entraînera sa mise en examen et sa condamnation : la révélation de son imposture et de ses faussetés, bien davantage que l'impureté de ses mœurs qui ne permettront, en fait, que de sceller le procès.Le film de Paul Verhoeven est mené à grandes guides ; il ne s'arrête jamais, ne reculant pas devant des scènes grotesques, ridicules, folles, invraisemblables, mais toujours si bien adossées au récit que, même si on s'en irrite, on est bien conduit à les accepter. Et que, au final, ce mélange tonitruant, baroque, indigeste, devient un film étrange et quelquefois bouleversant dont on se souviendra.
Page générée en 0.0031 s. - 6 requêtes effectuées
Si vous souhaitez compléter ou corriger cette page, vous pouvez nous contacter