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La Vérité


De poet75, le 28 septembre à 21:08
Note du film : 5/6

Lorsque, avec des amis ou des proches, on discute des films qui sortent sur grand écran et qu’on précise que tel ou tel d’entre eux est « tiré d’une histoire vraie » ou « basé sur des faits réels », on voit toujours des interlocuteurs qui opinent de la tête ou qui se plaisent à souligner cet aspect, signifiant ainsi, je le suppose, que, selon eux, ces films-là méritent davantage d’attention que les autres, qu’ils sont plus authentiques, plus sérieux, plus véridiques. On a le sentiment que, pour beaucoup, les histoires « vraies » sont supérieures aux histoires « inventées », que les « faits réels » surpassent les fictions. Ce faisant, on oublie un peu vite qu’un film, même inspiré de personnages ayant existé et de faits dûment établis, reste une création. Les choix de mise en scène tout comme l’écriture du scénario ne sont jamais anodins, ils orientent notre regard et notre entendement dans des directions bien précises, voulues par le réalisateur. Pour ne prendre qu’un exemple, songeons à J’accuse, le film de Roman Polanski qui rend compte de l’affaire Dreyfus selon un point de vue précis et, forcément, limité. On oublie aussi combien certains personnages de pure fiction peuvent nous sembler « réels », autant sinon plus que ceux que nous côtoyons tous les jours. Les grands romanciers et les grands cinéastes sont dotés de ce pouvoir : ils donnent vie aux êtres qu’ils imaginent. Pour en parler, on peut reprendre l'expression de "mentir-vrai" qu'avait forgée Louis Aragon. Les auteurs de fiction « mentent » puisque leurs histoires sont inventées et, néanmoins, il y a probablement davantage de « vérité » dans leurs œuvres que dans n’importe quel livre « historique ». Et quand on raconte une histoire « basée sur des faits réels », que fait-on sinon de recourir aux mêmes enchaînements et aux mêmes choix que quand on fait œuvre d’imagination ? Quoi qu’on fasse, ce qui convient, c’est d’assumer le « mentir-vrai » afin d’en tirer le meilleur parti possible. C’est ainsi qu’on fabrique des œuvres de qualité.

Ces questions irriguent le nouveau film de Hirokazu Kore-eda. Le cinéaste japonais, qui ne parle pas un mot de la langue de Molière, n’en a pas moins accepté de faire un film en français (et, un peu, en anglais). C’est un tour de force, mais le résultat est bluffant. Comme dans tous les films qu’il a réalisés auparavant, c’est du côté de la cellule familiale qu’il se tourne afin d’aborder son sujet. Le titre n’est pas trompeur, c’est de vérité dont il est question. « Qu’est-ce que la vérité ? », pour reprendre la question qu’avait posée Ponce Pilate. Dans le film, vérité et mensonge s’entremêlent, se répondent malicieusement pour notre plus grand bonheur de spectateurs. Cela, à l’occasion de la sortie en librairie des mémoires de Fabienne (Catherine Deneuve), une star du cinéma, mémoires précisément intitulées « La Vérité » ! Pour fêter l’événement, la star reçoit sa fille Lumir (Juliette Binoche), une scénariste venue des États-Unis avec son compagnon Hank (Ethan Hawke) et leur fille. Or Lumir ne tarde à remettre en cause la véracité du livre composé par sa mère. Mais où se cache la vérité ? Peut-on se fier à ses souvenirs ? Que faire des vieilles rancunes qui remontent du passé ? N’est-on pas en droit de réécrire sa vie à sa guise ? Et qui sait si la vie réinventée n’est pas plus « vraie » que la vie vécue (ou ce qu’on en a perçu) ?

À cela s’ajoute un autre face-à-face, très troublant, puisque, dans le même temps, Fabienne est en train de tourner un énième film. La fiction s’invite dans la fiction. Le film dans lequel doit jouer Fabienne est une œuvre de science-fiction dans laquelle le créateur a imaginé qu’une femme choisissait de vivre dans l’espace où l’on ne vieillit pas, ne revenant sur terre que pour de courtes visites à sa fille qui, elle, en terrestre qu’elle est, ne reste pas insensible au temps qui passe. Fabienne joue le rôle de la fille à l’âge de 63 ans, confrontée à sa mère qui paraît beaucoup plus jeune qu’elle. C’est encore et toujours la question de la vérité qui se pose, la vérité sur l’âge, la vérité sur la dégradation des corps.

Bien évidemment, Hirokazu Kore-eda se garde de donner des réponses toutes faites aux multiples interrogations sur la vérité dont il égrène son film. Mais l’important n’est-il pas de bien poser les questions plus que de fournir des réponses ? Pour ce faire, le cinéaste japonais agit comme un orfèvre. Son film est un régal du point de vue de l’invention comme du point de vue de l’intelligence du propos.


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