Tout cela se passe de l'hiver à l'été. Premières images d'un troupeau de vaches chassé des herbages par la neige ; dernières images de la fin de la classe au mois de juin, alors que les plus âgés des élèves vont quitter l'école communale pour rejoindre les collèges des alentours. Et que l'instituteur sans doute songe à ce qui va être sa dernière année de travail.
On se demande comment Nicolas Philibert a pu obtenir de ses acteurs improvisés de telles touches naturelles : sans doute au prix d'un montage de séquences très élaboré, très maîtrisé qui place la caméra sur quelques trognes, quelques caractères. Le réalisateur le dit, dans le supplément du DVD : il a d'emblée senti que certains enfants se positionnaient en arrière-plans et d'autres avaient ce je ne sais quoi qui accroche le regard : l'espiègle Jojo, par exemple ou les deux coqs de village Julien et Olivier, si semblables et si antagonistes. Tout cela est bel et bon ; ça ne ressemble pas à d'autres films qui me viennent en tête qui regardent avec tendresse sur ce petit monde : L'école buissonnière de Jean-Paul Le Chanois (1949) consacrée à Célestin Freinet ou la merveilleuse Douceur du village de François Reichenbach (1964) dont le titre dit tout ; ça ne ressemble pas mais ça dit tant de choses sur cette France tendre qui a tant changé : le Bonjour Monsieur adressé au maître, qu'on ne tutoie pas ; l'attente qu'il autorise les enfants à s'asseoir ; ni familiarité, ni copinage : du respect et de la révérence.Est-il possible qu'en vingt ans tout se soit si hideusement dégradé ?
Tout de même une petite note grise à mentionner. Devant le succès public du film, le magnifique instituteur Georges Lopez a souhaité – ce qu'on peut comprendre – participer un peu aux bénéfices. Nicolas Philibert le lui a refusé ; l'affaire est allée jusqu'en cassation et le pauvre Lopez, sur des arguments de Droit incontestables (le droit de la propriété intellectuelle et artistique est compliqué, mais clair) a été débouté. Je ne trouve pas très élégant que le réalisateur se soit tenu à cette position. Sans Lopez, qu'aurait été le film ?
Dès les premières minutes du film, le ton est donné. Tout sera dans la lenteur, et rien ne sera spectaculaire. Nicolas Philibert est habitué à cela, cherchant à découvrir les vérités humaines dans les détails, dans les petits gestes et les non-dits. S'il y a des héros dans ses films, ce sont des héros du quotidien: discrets et laborieux. C'est ainsi que l'on découvre ce village perdu dans la France "profonde" comme on dit, cette classe avec des enfants de tout âge, des familles très "terriennes" et ce maître d'école très coulant.
Alors certes, on s'amuse, on est touché par les grimaces et autres mensonges d'enfants du petit Jojo qui fait penser à Ingmar dans ce bijou qu'est Ma vie de chien, on est ému de voir les enfants parfois proches des larmes, apeurés par l'inconnu de la Vie qui les attend.
Seulement, en creusant un peu, le film a un petit goût étrange sur les idées que finalement il véhicule. C'est que la classe choisie sent un peu trop fortement la bonne vieille France conservatrice, une France de Péguy, à qui le "maître" d'école ressemble d'ailleurs étrangement. Ce "maître" semble avoir des méthodes proches d'ailleurs de cette période, cherchant plus à donner, voir à imposer, sa manière de voir, ou de penser, qu'à guider et accompagner les enfants. Son approche psychologique est à cet égard très directif, trop sans doute. Le plus troublant, c'est que l'on sent plus dans sa motivation le désir de se faire aimer (ou admirer) par ces enfants plutôt que de les pousser vers la curiosité ou vers des horizons différents de ceux de leurs parents.
Dans les interviews, Nicolas Philibert dit qu'il aurait fait le même film s'il avait choisi une ville ou une banlieue… Rien n'est moins sûr.
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