Jusque-là, le film n'est pas mal du tout. Il saisit bien, en tout cas, ce moment incertain où rien n'est vraiment assuré, qu'il suffirait de peu, sans doute d'une intervention extérieure française ou britannique, pour que soit stoppée l'expansion de l'hydre. Et les préoccupations de la dynastie industrielle, soucieuse avant tout de maintenir sa puissance, sa richesse, son influence, sont dépeintes de façon un peu caricaturale, mais intéressante.
Tout se complique et se corrompt lorsque interviennent les bizarreries amoureuses ; un peu celles de Sophie et de Friedrich – c'est-à-dire celles qui concernent la riche héritière et le brillant cadre d'origine modeste qui sait qu'il ne pourra pas être vraiment admis dans le clan. Davantage la présence décisive de Martin (Helmut Berger) , petit-fils du potentat Joachim, fils de Sophie et être indécis à la sexualité douteuse qui, manipulé lui aussi par le S.S. Aschenbach finira par violer sa mère et à la pousser à se suicider avec son mari Friedrich.En d'autres termes, le mélodrame flamboyant, outrancier, souvent ridicule a peu à peu remplacé l'analyse intelligente des enjeux de pouvoir.
J'ai bien perçu que beaucoup de cinéastes homosexuels éprouvent une véritable fascination pour l'exhibition de destinées qui, j'en conviens, ne sont pas – ou n'ont pas toujours été – bien faciles ; c'est le cas d'André Téchiné, de François Ozon, d'Alain Guiraudie, par exemple, pour rester à un niveau moyen. La réputation de Visconti étant largement supérieure, son exhibitionnisme est davantage surprenant. Inceste dans Sandra (1965), trilogie allemande marquée par l'homosexualité et le goût pour les jeunes corps : Les damnés, donc et plus tard Mort à Venise (1971), Ludwig (1972) et même le trouble Violence et passion (1974). Dans Les damnés, il y a un moment complétement délirant : le filmage de la fameuse Nuit des longs couteaux de juin 1934 où la S.S. extermina l'état-major de la S.A.Soit dit en passant, avant de filmer le massacre de façon démesurée, le cinéaste aurait mieux fait d'expliquer plus nettement pourquoi la chose était inéluctable.
Je partage tout à fait les avis précédents… Je viens de voir Les Damnés et je suis encore sous le choc…
Tel un entomologiste, Luchino Visconti ausculte la longue descente aux Enfers d’une puissante famille industrielle allemande dirigeant les aciéries Essenbeck, dans le contexte de l’inexorable essor du nazisme. L’assassinat du patriarche omnipotent de la famille, qui coïncide avec l’incendie du Reichstag dans la nuit du 27 au 28 février 1933, ouvre la plaie purulente de l’ambition, du sexe et de la mort, tous les trois inextricablement liés. Visconti fait du château des Essenbeck un dédale de couloirs et de salons luxueusement apprêtés guettés par une décadence inéluctable, comme si la pourriture semblait prête à suinter des murs impeccablement lambrissés. Le cinéaste scrute les visages et passe de l’un à l’autre par des zooms subtils, décelant un sourire narquois, un rictus esquissé ou une surprise feinte.
Les protagonistes sont ravagés par l’ambition, par l’ivresse d’un pouvoir qui est leur Graal. C’est finalement le personnage le plus pathétique, celui travesti en homme au début du film, qui humiliera sa mère possessive, qui poussera ses rivaux à se donner la mort, qui obtiendra une miette de puissance éphémère – mais qui semblera n’avoir vécu toute sa vie que pour cet instant.
Le film fascine par ses personnages intrinsèquement torturés, et révulse par les actes innommables qu’ils commettent. Luchino Visconti tisse une toile de perversion, et déstabilise le spectateur par ses accès de violence et de sexe, telle la Nuit de Longs Couteaux qui occupe le centre du film, où une orgie nazie s’achève dans le crépitement des mitraillettes, les râles d’agonie et le sang qui ruisselle sous les corps amoncelés, sinistres pantins désarticulés.
Dès lors les flammes qui s’échappent des gigantesques aciéries des Essenbeck semblent figurer le bûcher funéraire d’une dynastie consumée par l’excès…
Du très grand art…
Page générée en 0.0040 s. - 6 requêtes effectuées
Si vous souhaitez compléter ou corriger cette page, vous pouvez nous contacter