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Michael Lonsdale/Jean-Noël Picq


De Impétueux, le 13 janvier 2022 à 18:46
Note du film : 5/6

Ce double court-métrage (22 et 28 minutes) a tout pour exaspérer la plupart des spectateurs ; je pense même qu'il peut exaspérer encore davantage que l'œuvre majeure de Jean Eustache, mystérieuse, crispante, interminable, La maman et la putain et ses 3h40 de non-spectacle. Je m'étonne d'ailleurs beaucoup de n'avoir pas été exaspéré, je m'étonne moins lorsque je songe que, contre toute attente, j'ai été fasciné d'emblée par La maman et la putain découvert sur un écran du Quartier latin au printemps 1973 ; pour qui ne jurait que par le cinéma de la Qualité française et méprisait violemment toutes les tentatives post Nouvelle vague (qui commençait à refluer largement, soit dit en passant), pour qui refusait tout intellectualisme, c'était une sacrée douche froide.

Depuis lors, j'ai bien dû voir trois ou quatre fois La maman, mal enregistrée sur une mauvaise cassette désormais inutilisable ; il n'y a toujours pas de DVD, sauf une édition japonaise qui doit être encodée sur un système différent. Et j'ai, à chaque vision été éberlué par la qualité de l'écriture, du filmage et de l'interprétation. Ah oui, c'est vrai, il faut trouver au jeu hallucinant de Jean-Pierre Léaud de l'agrément et même davantage : ce n'est pas donné à tout le monde, j'en conviens très volontiers.

Voilà un bien long préambule pour évoquer Une sale histoire ; préambule qui n'est peut-être qu'un justificatif assez piteux. Ai-je vraiment besoin d'expliquer pourquoi cette bizarrerie filmique, qui relate d'une double façon une perversion sexuelle tout à fait crasseuse est, d'une certaine façon, aussi ensorcelante que le sont les errements du jeune parasite Alexandre (Jean-Pierre Léaud) entre la maman Marie (Bernadette Lafont) et la putain Véronika (Françoise Lebrun). Je devrais détester toutes ces ratiocinations, cette complète artificialité du ton et des propos, ces connivences germanopratines revivifiées par le tourbillon de Mai 68 : il se trouve qu'elles me plaisent. Est-ce que ce n'est pas une marque de talent que de séduire des spectateurs dont ce n'est pas le genre comme Odette de Crécy séduit Charles Swann ?

J'ai regardé Une sale histoire dans l'ordre inverse de celui qui est habituel, à tout le moins l'ordre souhaité par Jean Eustache ; je ne crois pas que cette interversion ait changé grand chose à mon appréciation. Sous mes yeux un intellectuel brillant, Jean-Noël Picq, fumeur compulsif de Marlboro, conte à quelques amis la curieuse pulsion qui l'a saisi quelque temps auparavant : grâce à un trou opportunément disposé, pouvoir  – et bientôt devoir – mater les sexes de femmes qui se succèdent aux toilettes du café de l'avenue de la Motte-Piquet où il a ses habitudes. Le récit est habile, délié, subtil, d'une franchise absolue qui ne fait pas l'économie des détails les plus sordides. Le narrateur tire de cette expérience des leçons sur ses propres pulsions, mais aussi sur la place de la sexualité, de la contrainte sexuelle, de l'assignation sexuelle dans la société.

C'est du funambulisme ? Certes ! Mais ce ne l'est pas davantage que les récits à tiroirs qui font le miel des récits picaresques : invraisemblances, exagérations, fantasmagories : tout cela est de la même veine… mais tout cela fonctionne très bien. D'ailleurs il faudrait que je revoie Le manuscrit trouvé à Saragosse : je suis sûr qu'il y a des rapports.

Le valeureux obsédé Picq conte l'absurdité de la situation, répond à quelques questions émoustillées de son auditoire féminin (Françoise Lebrun, Virginie Thévenet, Annette Wademant). Fin de l'épisode. Deuxième identique propos, tenu, presque à la virgule près, par des acteurs professionnels, sous un filmage professionnel. Michael Lonsdale remplace Jean-Noël Picq et, avec les mêmes mots redit la fascination du voyeur pour le sexe vu. Vu dans sa brutale nudité, dans sa totale évidence.

C'est habile, c'est brillant, c'est dérisoire, presque un peu ridicule. Mais tellement intelligent !


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De Torgnole, le 6 mars 2009 à 13:42
Note du film : 6/6

Un petit supplément destiné aux amateurs de ce court-métrage, j'ai retranscrit la première partie : le monologue écrit par Jean Noël Picq joué par Michael Lonsdale. Je le copie ici pour en faire profiter tout le monde, la suite qui ressemble à un débat, viendra prochainement:

UNE SALE HISTOIRE

Jeune Homme : Laurie est avec une amie, si vous voulez parler tranquilles, vous pourrez aller dans ma chambre…

Jean Douchet : On verra, on verra (Dring : Porte d'entrée)

JH : Ah, J'y vais

Michael Lonsdale : (entre) Salut, ça va ?

Jean Douchet : Bien bien, merci.

ML : Dis moi, j'ai pas très bien compris où tu voulais en venir au téléphone, tu m'as parlé d'un film, d'un scénario…

JD : J'sais pas encore justement, je voulais qu'on en parle, j'voudrais que tu me racontes cette histoire euh…

ML : Quoi ? L'histoire des chiottes ?

JD : Oui, moi j'la connais, j'ai demandé à une amie de venir…

ML : Et qu'est ce que tu veux en faire, tu veux montrer un type qui…

JD : J'sais pas encore (DRING : porte d'entrée), je comptais en reconstituer l'histoire, l'illustrer, j'ai même commencé à écrire le scénario, c'est pas bon. J'préfère quand tu la racontes.

Femme à l'entrée : Je pars ?

JD : Non, non non non non non, ça va.

F : Bonjour…

ML : Bonjour… On va encore dire que tu racontes des histoires ordurières alors qu'en principe, l'art devrait célébrer la grandeur, la beauté…

JD : On m'a déjà dit que je cherchais mon inspiration dans les chiottes.

F : Mais quelle est cette histoire ?

ML : C'est une histoire que les femmes n'aiment pas beaucoup…

JD : Et bien, je t'invite à commencer ton récit…

ML : Et bien voilà, c'était autrefois, enfin autrefois, il y a 8-9 ans de ça, j'allais… J'allais fréquemment dans un café à la Motte Piquet Grenelle, et j'y restais beaucoup parce que, j'avais pas de téléphone chez moi et j'avais beaucoup de coups de fil à donner donc je quittais fréquemment ma table pour descendre au téléphone qui était au même endroit que les toilettes, alors il y avait les toilettes hommes, les toilettes femmes, lavabos, téléphone… J'avais disons chaque fois, oh… 6 ou 7 coups de fil à donner, ce qui impliquait que je descende deux fois plus, tantôt parce que c'était occupé, tantôt parce qu'il fallait remonter dire à la caissière qu'elle avait oublié de mettre la tonalité… Donc j'y descendais très très fréquemment… Ben c'était un café assez vide, y avait assez peu de monde qui venait avec de brusques afflux enfin j'y faisais pas attention et puis, peu à peu, j'ai cru observer une ironie des garçons quand ils me regardaient, une fois j'ai entendu très nettement : « et pourtant, il est jeune celui là, il est pas comme les autres », alors j'comprenais pas, et puis une autre fois, j'ai entendu très très nettement cette fois : « et tout ça pour un trou » , alors je me suis dit, mais quel trou, qu'est ce qu'ils racontent ? Et puis j'ai tout de suite pensé : « trou dans les toilettes féminines », alors chu descendu dans les toilettes féminines, j'ai regardé s'il y avait un trou, et, y en avait pas… D'habitude, y en a toujours bouché avec du papier journal à hauteur du siège, mais, euh, enfin je me suis toujours dit que c'était ridicule, parce que pour qu'une femme se laisse regarder comme ça, fallait vraiment qu'elle le veuille, et là, y avait pas de trou… Alors j'en ai parlé à quelqu'un qui habitait avec moi, un garçon qu'était un, un pervers professionnel et qui explorait un ptit peu tout ça, qui connaissait un ptit peu tous les petits mystères des cafés de Paris… Oh, c'était un pervers magistral , il faisait profession de perversion, comme tous les vrais pervers, il avait un air maître d'école dans sa perversion, et il m'a dit : « mais oui mon cher, mais oui mon cher, il y a un trou, tu ne t'es pas trompé, tu n'as pas mal entendu, il y a un trou, mais ce trou est très mal placé quand à la position qu'il faut prendre pour le voir, et très bien placé quand à ce que tu vois, c'est un trou à ras du sol ». Alors je dit : « mais comment faire pour voir si c'est à ras du sol, il faut s'allonger ? » Il m'a dit : « non, à ce point là, ce n'est pas nécessaire » et il m'a montré la position qu'il fallait prendre. Alors sur le tapis, près de son lit, il a pris la… Position de la prière musulmane, appuyé sur les avants bras, le cul en l'air et regardant à ras le sol…

JD : La joue collée au sol ?

ML : Oui, la joue collée au sol, et c'est ça qui m'embêtait parce que c'est une position que j'aime pas du tout, j'prend jamais, et j'lui dit m'enfin c'est pas faisable dans un lieu public de se tenir comme ça, et il m'a répondu : « et oui mon cher, oui mon cher, pas de plaisir sans peine, vas y, choisi ». Alors j'y suis allé et puis au moment où une femme descendait, effectivement je me suis mis dans cette position et alors là, y avait un trou, c'est vrai, enfin c'est à dire que la porte était rabotée en bas, rabotée à l'angle où ça ouvre, et puis ce qui m'a frappé c'était que c'était peint par dessus, c'est à dire, c'était pas un type avec une vrille qui avait fait ça, on avait l'impression que ça faisait partie de la conception de l'architecture même du café… Alors j'ai regardé et puis l'angle était absolument direct… D'abord, j'ai regardé par curiosité puis une fois, deux fois, trois fois, puis… J'ai commencé à comprendre tout le jeu, y avait peu de monde dans le café avec de brusques afflux au moment où une femme descendait aux toilettes, puis tout d'un coup, j'ai vu, j'ai vu les types qui étaient au comptoir et j'ai compris pourquoi ils avaient dit : « et pourtant, il est jeune celui là », c'était des types qui, qui étaient, enfin qui faisaient un peu, euh, un peu minables euh, avec une cravate, qui faisaient un peu minables incontestablement, qui avaient la sueur au front et qui trépignaient, et il y avait un brusque afflux au moment où une femme descendait, alors j'ai pris ma place dans cet afflux, y avait un code, ils descendaient l'escalier en tapant très fort des talons, ce qui voulait dire : « c'est mon tour », or je regardais par curiosité, d'abord parce que moi, hé ! J'étais pas comme ils disaient, j'étais mieux, j'ai commencé à y prendre drôlement goût et je faisais plus que ça, que ça… Et je passais plus 2 heures dans l'après midi dans l'café comme j'avais l'habitude de le faire, mais 5 heures…Et j'prenais un peu trop de place, j'voyais des regards rancuniers qui signifiaient : « mon cher, tu exagères ».

J'ai pris l'habitude de voir des femmes que j'connaissais pas du tout, du tout, du tout, et souvent même j'avais l'impression que je savais pas comment elles étaient faites parce que c'était soit de la cabine du téléphone, soit des toilettes masculines que j'guettais, et puis, j'voyais une silhouette vaguement et rien de plus, puis parfois l'les voyais puisque j'les avais déjà vues et puis elle descendaient, alors je les regardais par le trou et je les voyais par le sexe… Immédiatement par le sexe… Alors peu à peu, je me suis senti pris, j'commençais à voir qu'il y avait de sacrées différences entre les sexes que j'avais pas remarquées auparavant, par exemple, il m'arrivait de voir des sexes qui m'excitaient drôlement, alors je repérais les souliers, la forme, la couleur, puis à la sortie, j'voulais voir à qui il appartenait ce sexe, puis la femme était horrible, puis d'autres fois c'était tout le contraire enfin, j'ai pris deux cas extrêmes, mais, c'est à peu près ça… Et parfois quand elle sortait, ben je voulais voir à qui il appartenait ce sexe qui m'avait donné de l'horreur, qui m'avait donné envie de vomir, puis tout ceci à genoux en retenant mes cheveux pour pas qu'ils traînent dans la pisse qu'il y avait plus ou moins par terre en attendant le signal des talons qui descendaient, des hommes qui voulaient prendre leur place, puis j'voyais que c'était une très belle femme et que son sexe me déplaisait, et j'voyais tout de suite à quel point je me serais trompé si j'avais essayé de faire connaissance avec cette femme et là, brusquement, toutes les hiérarchies du corps se sont renversées… Ben, c'est à dire, pour reprendre une locution connue, on pourrait dire que le miroir de l'âme c'est le sexe, et puis ma foi bon si une femme a un beau sexe, les yeux, on peut quand même fermer les yeux là-dessus, même les jambes, c'est plus important que les yeux, on pourrait fermer les yeux là-dessus, c'est pas très grave… Et puis ça a continué comme ça, j'pensais plus qu'à ça, qu'à ça, qu'à ça… J'étais exactement comme tous ces types un peu minables qui venaient traîner et j'prenais mon tour et… Et j'pensais plus qu'à ça, qu'à ça, et quand par hasard dans l'coin, j'avais l'occasion de connaître une fille que je fréquentais pas disons, ben j'l'emmenais boire un verre, j'essayais de lui faire boire de la bière, du thé, en ayant préparé mon j'ton, pour pouvoir aller la voir directement par le sexe, et ça m'excitait drôlement plus que de passer par les étapes.

En même temps, l'histoire me tourmentait, j'essayais de la raconter à des femmes, mais ça leur plait pas du tout, aucune femme n'a écouté cette histoire, que quand je la racontais à un homme et qu'elle participait à l'écoute de l'homme, sinon, ça marchait pas, elle m'arrêtait tout de suite en m'disant : « mais je veux pas en savoir plus, tu m'ennuies », elle me traitait un peu comme un frustré pensant : « tout ce travail pour un sexe alors qu'en principe on a des occasions », ben ça m'intéressait plus ces occasions, et justement, une fille habitait chez moi, chez l'type qui m'avait donné l'tuyau en disant : « pas de plaisir sans peine », et j'la touchais plus, ça m'intéressait absolument pas…Son sexe était littéralement devenu un sexe… Domestique… Et pourtant, j'aurais pu l'voir, longtemps et sans aucun travail, mais j'préférais cette visée direct sur le sexe… Et alors toutes les hiérarchies du corps étaient complètement bouleversées, j'ai réalisé que depuis, fff, chais pas euh, 4000 ans peut-être, on avait été complètement couillonés, qu'on avait essayé de nous faire croire que le désir d'un homme ça dépendait d'la beauté de la femme et je me suis aperçu que c'était complètement faux, que cette beauté c'était quoi, les yeux de gazelle, la bouche de chais pas quoi, la silhouette…Mais que c'était complètement faux, complètement faux, que c'était le sexe et que le reste ne comptait pas.

J'me rappelle qu'une fois, y avait une fille dans ce café, qu'elle était venue s'asseoir, c'était euh, enfin un mannequin ou cover girl, enfin une fille heu, objet de luxe, superbe, le sachant. Elle avait un grand carton à photos et souvent, on était seul pratiquement face à face et j'essayais de capter un p'tit peu son regard enfin, pas d'la draguer mais simplement de capter un p'tit peu son regard et elle me regardait pas, elle me regardait pas avec ostentation, elle aurait pu le faire comme le mec qu'était en face, j'en d'mandais pas plus, elle avait son air hautain et… Je me suis juré de la voir celle là, de la voir… Enfin, j'veux dire… De la regarder et justement ça tombait bien, parce qu'elle buvait pas mal de bière puis quand elle buvait pas de la bière, elle buvait du thé et un jour elle est descendue alors j'ai foncé et j'ai nettement remarqué que ç'était moi qui passait et pas les autres… Et puis… J'ai regardé… Et comme je l'espérais un peu parce que, elle m'énervait… Ben elle avait un sexe horrible… Un sexe qui m'dégoûtait, qui m'dégoûtait complètement et elle est restée longtemps aux toilettes, elle était… Elle était constipé et j'assistais à tout ça et c'était honteux, c'était honteux parce que, j'savais pas si c'était pour moi où si c'était pour elle mais vraiment, c'était honteux qu'elle soit constipée comme ça… Entre parenthèses, j'ai eu l'impression à l'époque que beaucoup de femmes étaient constipées, oui oui oui, j'ai découvert comme ça une des petites caractéristiques de la différence des sexes, les femmes sont souvent constipées… Alors j'ai regardé, j'ai vu, j'ai vu et puis, j'étais dégoûté et je me suis relevé tremblant au moment où elle se levait, elle est sortie et j'ai voulu lui indiquer quelque chose alors chuis resté près d'elle, près des toilettes, elle m'a regardé d'un air un peu dédaigneux du genre : « encore un qui… Avec le succès que j'ai », mais j'la rgardais fixement, tellement fixement qu'elle m'a quand même regardé d'un air un peu inquiet, alors j'ai regardé le bas de la porte puis elle a compris tout de suite et pourtant, c'était pas facile parce que ce trou… Enfin, c'était pas vraiment un trou, c'était un truc raboté dans le bas de la porte… A ce moment là, elle est partie, affolée, affolée presque en courant, elle avait compris ce que j'avais fait… Que je l'avait forcée à être regardée, et puis j'l'ai plus jamais revue dans le café, plus jamais, oh moi j'aurais bien pu faire n'importe quoi, tenter de la violer, elle l'aurait mieux pris, c'était parmi les avatars d'être une jolie fille, mais ça, elle a pas supporté.

Alors j'ai continué comme ça un certain temps, puis j'ai senti que je devenais complètement fou, qu'y avait plus que ça qui m'intéressait, alors j'ai arrêté… J'ai arrêté parce que j'ai l'impression que finalement, tout ne pouvait être vu que par la perspective de ce trou, ce trou bizarre qui n'avait pas été fait par quelqu'un enfin, un pervers quelconque qui avait fait un trou… J'ai l'impression que d'abord, y avait eu l'trou, qu'on a construit le trou d'abord, et la porte au dessus, puis qu'on a construit l'café et que dans ce café, y avait une caissière, trois garçons enfin, deux flippers, des clients, des choucroutes, des assiettes froides, toutes les consommations servies habituellement mais, bon y avait tout ça mais, que ça ne fonctionnait que pour le trou, que pour le trou, et que tout le reste c'était d'la frime, c'était d'la frime… Faire semblant d'gagner de l'argent, faire semblant d'travailler, faire semblant d'en faire dépenser aux autres ou d'ailleurs en faire dépenser pour de bon en gagner mais que tout ça c'était pour le trou… Alors cette perspective des choses m'a semblé tellement inquiétante que, je me suis dit, y a pas d'issue, j'vais devenir comme tous les types qui ont la sueur au front, une cravate, qui n'arrivent pas à cacher le fait que… Sont un peu des clochards, enfin des gens qu'on défini comme des ratés d'habitude, alors j'ai quitté tout ça puis je me suis replié vers la normalité. J'y suis retourné quand même quelque temps après et il était entouré de palissades, ça ressemblait à une… C'était comme, comme la mort d'un théâtre porno. J'ai l'impression que… Que après que j'sois passé par là, on avait fermé ce lieu comme étant contraire à la, à la loi, ou à la morale.

(long silence)

Femme 1 : C'est très bien… J'trouve ça très bien…

ML : Vraiment ?

F1 : Mais Oui, vraiment

Femme 2 : Cette histoire est charmante

ML : Ben charmante…Fff…Moi j'la trouvais pas charmante… D'ailleurs, j'dois ajouter que le, le cœur en prenait un coup… Et pourtant s't'histoire, j'aurais voulu la raconter aux femmes d'abord… Aux femmes… Pour qu'elles s'y prennent autrement, que, qu'elles changent quelque chose, qu'elles euh, qu'elles deviennent exhibitionnistes à leur tour, alors que, qu'y a que des hommes exhibitionnistes, qui montrent leurs queues au coin des squares, des femmes exhibitionnistes, j'en ai jamais vu moi, elle s'exhibe tout le reste sauf ça, et les hommes ben ils n'ont que ça à exhiber parce que leurs chevilles velues, hé, il est connu que ça n'excite personne (rire)…

F2 : Quand il a dit qu'il n'y a que les hommes qui sont exhibitionnistes, j'ai eu envie de me lever et de descendre mon pantalon, mais je l'ai pas fait…

ML : Oui, ben dèja, s'rait déjà pas mal, ce serait quelque chose m'enfin comme y a une connivence mondaine, vous nous avez entendu parler ou on sait où on est et entre qui ce serait pas la même chose, tandis que cet anonymat du sexe.. Et en plus à ce moment là, je pensais pas du tout à une femme qui était jolie ou, ou une femme pas jolie, ou une vieille, ou une laide, ça n'avait strictement aucune importance, ou une bossue… Non, c'est à dire à ce moment là c'était la foule des femmes, qui comptait, la foule des femmes et puis essayer, voir leur sexe, et à ce moment : juger.

F1 : Et ça vous excitait ?

ML : Oui.

F1 : C'est vrai ?

ML : Et oui, ça, ça m'excitait.

F1 : Et tous les autres hommes du café aussi ?

ML : Oh ben ceux qui faisaient ça oui sûrement, y avait qu'à voir leur tête

F1 : Mais vous, vous aviez des femmes, alors qu'eux n'en avaient p'têt pas

ML : Ben peut-être que si, ben peut-être que s'il n'en avait pas c'est qu'il, préféraient voir plutôt que… Plutôt qu'avoir.

F1 : Mais si vous aviez aimé une femme, qui ait été très gentille avec vous, vous auriez peut-être trouvé son sexe très beau et jugé les autres sexes d'après celui là…

ML : Oh ben ça, ça m'est arrivé, bien entendu ça, ça m'est arrivé, mais c'était dé, c'était désormais… Domestiqué, y avait eu toutes les étapes et, et puis la relation humaine… Le sexe n'est montré qu'à un certain moment, quand il est acquis, qu'on se plaît suffisamment pour au moins passer une nuit ensemble et le sexe de la fille qui habitait chez moi, il me plaisait mais il ne me plaisait pas à ce moment là parce qu'il était conjugal, il était domestique, ça n'a strictement rien a voir avec un sexe qui est vu sans le savoir, mais quand on ne voit que ça, sans voir le reste, ben y avait strictement aucune relation humaine, c'était direct, alors ce que j'voyais c'était que non seulement le sexe n'a rien à voir avec la morale, ça c'est, c'est connu depuis longtemps mais même avec l'esthétique

Femme du début : Mais avez-vous essayé de dire à une femme qui sortait : votre sexe me plaît ?

ML : Oh non, parce que c'était déjà difficile de toutes les façons. J'faisais déjà un tel travail pour arriver à voir le sexe que j'allais pas continuer à faire ce travail, pour ensuite l'aborder, au risque d'me faire jeter, l'emmener dîner, l'emmener au cinéma… D'autant plus qu'c'était ça qui m'déplaisait, l'idée qu'il y a toujours à faire ça avec une femme au lieu d'avoir accès direct à elle… Finalement, c'est, c'est ça qui est embêtant, c'est d'avoir à gagner, à la gagner, c'est ça qu'est embêtant… Et une fois qu'on l'a gagnée, elle est déjà beaucoup moins intéressante que quand elle vous excitait parce qu'on la voyait passer dans le métro ou, dans un passage clouté.

F1 : Et qu'est-ce que vous avez gagné là ?

ML : Comment s'que j'ai gagné là ? Mais, comment s'poser la question euh, s'qu'on a gagné comme ça ou pas gagné à propos de, euh, moi j'ai dit que j'étais très excité, je sais pas s'que j'ai gagné… Mais j'sentais quand même que j'y perdais puisque j'ai arrêté. Je m'suis dit j'vais pas continuer, enfin j'vais pas passer ma vie à regarder des sexes quand même. Alors j'ai arrêté, j'ai arrêté à cause de ça et, même avant la fermeture du café.

F2 : Et qu'est-ce que vous faites maintenant ?

ML : Maintenant ?

F2 : Oui.

ML : Ben j'regarde plus, enfin j'me contente de regarder dans les conditions normales, dans les conditions approuvées par le, par la loi.

F2 : Et bien je vais commencer à faire ça demain matin…

ML : A regarder quoi ?

F2 : Où il est votre café ?

ML : Ah mais on trouve très peu de cafés comme ça, c'était une exception.

F2 : Et ça a existé dans des chiottes des hommes ?

ML : Mais non, ça n'existait pas dans les chiottes, et y a très peu de femmes qui cherchent à regarder ça, vous pensez : « vous preniez un petit plaisir sournois alors on va essayer de faire la même chose », mais y a pas de réciproque entre les sexes.

F2 : Mais ce n'est pas une réciproque, vous m'avez donné envie de le faire, c'est pas pour me venger, j'ai envie de le faire.

ML : Ecoutez, contentez vous le jour où un type sortira d'un porche ou d'un square public en montrant sa queue, ben contentez vous de regarder, alors qu'aucune femme ne regarde.

F2 : Mais je le fait, je le fait toujours !

ML : Mais non, elle fuit comme si il allait l'étrangler, alors qu'il est évident que s'il montre son sexe, il est incapable d'étrangler, un type qui montre son sexe, il est doux comme un ptit garçon, ça c'est sûr. Vous êtes pas foutu de lui faire plaisir en regardant ce qu'il vous montre.

F2 : Je le fait toujours.

F1 : Oui mais quand vous baisez, comment ça se passe ?

ML : Ben quand je baise, ben y a des sexes qui m'plaisent et d'autres qui m'plaisent pas du tout mais encore une fois, j'les ai gagnés.

F1 : Oui mais quand vous baisez un sexe qui vous plaît comment c'est ? C'est bien ou vous avez besoin d'être dans les chiottes à regarder ?

ML : Ben non, j'ai pas besoin d'être dans les chiottes à regarder ! Mais encore une fois j'les ai gagnés par un état de parole, comme une espèce de consensus, de consensus culturel…

F1 (Par dessus) : Mais j'm'en fous de ce consensus culturel !

ML :… Je te rencontre, bon tu m'connais, on aime ceci, tu aime tel film, ah bon alors on est fait pour s'entendre, et le soir quand tu veux rentrer chez moi bon, c'est bien c'est pas mal, c'est déjà ça mais c'est pas direct, surtout maintenant, surtout à notre époque où y a pas une jeune fille qu'on connaît depuis dix minutes qui nous raconte avec passion toutes ses perversions et ce qui la fait jouir le plus, alors ensuite, ben on se demande ce qu'on va faire, il faut leur rappeler à chaque instant que, que c'est un pêché pour pouvoir jouir un peu, sinon elles font ça comme une hygiène et moi l'hygiène ça m'emmerde !

F2 : Vous, vous êtes vachement désabusé.

ML : Non, chu pas désabusé mais c'est une époque désabusée, c'est une époque de répression sexuelle inouïe, moi, moi je regrette l'époque victorienne.

F2 : (rire)

H : Pour les hommes, le sexe c'est différent lorsqu'il s'agit d'uriner ou dans l'acte sexuel, est-ce qu'il n'y aurait pas chez les femmes aussi une certaine différence ?

ML : Ben, je sais pas euh, non vraiment, je peux pas répondre à ça… Non en fait, je crois qu'il s'agit d'une loi générale et, c'est pour ça que j'ai voulu la raconter. Moi j'raconte pas mes histoires personnelles, ou alors quand j'raconte mes histoires personnelles, c'est que j'suis persuadé qu'elle ne le sont pas et donc que tout le monde comprendra. Et c'est pourquoi j'ai voulu la raconter aux femmes, mais y a rien à faire, d'une manière ou d'une autre, elles le refusent… Tandis que les hommes, eux ,comprennent immédiatement, immédiatement, trop vite même, c'est ça qu'est embêtant… Eux, c'est facile, j'les prend à témoin… Mais c'est aux femmes que j'veux dire ça… Et ben, y a rien à faire, y a pas moyen, y a pas moyen, d'une manière ou d'une autre elles le nient.

F1 : Mais non. Mais le sexe, c'est une chose dans la tête.

ML : Voilà, ah vous avez enfin compris quelque chose, d'ailleurs, j'vais vous donner un détail : j'étais très excité quand je faisais ça, mais j'étais pas sûr que je bandais par exemple, j'devrais plutôt dire comme une femme que j'mouillais, j'devais mouiller, j'devais pas bander, j'devais mouiller… Et le désir, c'était pas de la baiser ensuite, absolument pas, c'était uniquement dans le plaisir de voir, de voir, voilà, ah c'est un plaisir sensuel en soi… Y a quelqu'un qu'a une certaine réputation en la matière, c'est Sade qui dit que les principaux organes de la jouissance sont l'ouïe, pour lui, c'est l'ouïe d'abord, et ensuite la vue, et puis après, le reste, la machine qui répond à la commande, sinon ben on baiserait en période de rut comme tous les mammifères.

F1 : Ecoute, nous femmes, qu'est-ce qu'on peu faire de mieux ? On te montre notre sexe ?

ML : Mais non vous le montrez pas, hé.

F1 : On te dit disposes-en.

ML :(en riant) ça alors… Elles le savaient pas. Moi j'ai du fournir un gros travail pour le voir malgré elles, et avec que d'humiliations, que d'abaissement, en même temps une certaine fierté parce que s'il est vrai qu'il y a pas de plaisir sans peine, y a pas de, y a pas de travail sans fierté, et là j'travaillais assez pour penser quand même que, j'avais ma dignité en faisant tout ça.


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