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La nostalgie Camarades !


De Impétueux, le 4 octobre 2018 à 17:54
Note du film : 4/6

Voilà un film – un documentaire aux images souvent pâlies et incertaines, empli d'interventions qui paraîtront absconses ou incompréhensibles à la plupart – un film dont je me suis régalé et qui m'a souvent ému et que je ne pourrai conseiller à personne, ou presque, ce qui me navre. Mais pour regarder et apprécier Mourir à trente ans il faut avoir, d'abord vécu ces années qui sont décrites – en gros 1966/1973 – ce qui n'est pas encore tout à fait rare, mais surtout avoir vécu dans son cœur et dans toutes ses journées cette vie de militantisme intégral.

Je ne peux pas dire que j'ai beaucoup de sympathie pour le réalisateur du film, Romain Goupil, qui filme là les années trotskistes de sa jeunesse et son engagement déterminé à la Ligue communiste (devenue depuis Ligue communiste révolutionnaire, le parti d'Alain Krivine jadis, du charmant facteur Olivier Besancenot naguère et du robuste métallo Philippe Poutou aujourd'hui). Que Goupil ait commencé à l'extrême-gauche ne me gêne pas particulièrement et qu'il s'en soit éloigné est son affaire : tout le monde n'est pas Robert Guédiguian, dont la constance, malgré les déceptions, est immuable. Mais bon… qu'il fasse maintenant partie du courant néo-conservateur, atlantiste , macronien, qu'il se soit engagé en thuriféraire de plusieurs guerres (contre la Serbie en 1993, aux côtés des inénarrables Bernard-Henri Lévy, André Gluksmann et Michel Polac, contre l'Irak et la Syrie aux côtés des pires faucons étasuniens) est un peu navrant pour qui pensait se battre pour la cause des peuples. Mais là encore, c'est à lui de se regarder dans la glace.

Que dirait de cette évolution son meilleur ami, Michel Recanati, à qui le film est consacré et qui s'est suicidé le 23 mars 1978, à 30 ans, de fait, après avoir été écarté de la direction du Service d'Ordre de la Ligue communiste révolutionnaire, S.O. qu'il avait contribué à fonder et qu'il avait militarisé, sans doute à outrance jusqu'à en constituer une sorte de milice armée et prête à peu près à tout ? Et dont les méthodes ont sans doute infusé dans les crimes des tueurs d'Action directe, inspirés il est vrai davantage par l'anarchisme… Les impasses du romantisme révolutionnaire ont conduit beaucoup de ces cœurs aussi purs que faux à se suicider pour ne pas renoncer à leurs idéaux impossibles. Goupil et son producteur et présentateur Marin Karmitz (une des 500 plus grosses fortunes françaises) ont choisi une autre voie.

Et malgré mon aversion pour le personnage, je suis bien amené à trouver son film grisant. Sans doute parce que, tout à fait de l'autre côté de l'échiquier politique, j'ai moi-même vécu ces années, entre 16 et 25 ans, où rien, ou presque, n'existe que l'activité militante, qui mange, qui dévore, toutes les journées et, se moquant bien des perspectives professionnelles, n'a pour horizon que l'action politique, l'organisation des activités, le recrutement de nouveaux affidés, la lutte contre les adversaires. Un militantisme qui n'a rien à voir avec les divers activismes électoraux mais qui vous fait rentrer dans une sorte de secte où vous puisez la ligne totale de vos journées, mais aussi – et surtout ! – vos amis et vos amours : une endogamie non seulement consentie, mais revendiquée, puisque tout ce qui n'est pas dans le groupe, dans l'organisation est presque suspect, en tout cas inquiétant.

Dans cette optique-là, Mourir à trente ans est un reportage sensible, intelligent et remarquablement instructif sur ce que fut la vie militante juste avant et juste après 68 : c'est très bien composé, faisant alterner images tournées par le jeune Goupil (ou son père, lui-même opérateur de cinéma) et interventions des protagonistes de l'histoire : les compagnons de lutte, de passion et de géhenne, filmés douze ou treize ans après les événements, qui ont sur leur action un regard encore souvent engagé, mais toujours davantage distant.

Je ne suis pas certain qu'on ait bien raison de vouer sa vie, fût-ce pendant une courte période, à des causes qui peuvent s'apparenter à des billevesées. N'empêche que s'il n'y avait pas ces jeunes gens au cœur chaud, le monde serait encore bien plus triste.


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