Le film est austère, grandiloquent, douloureux, solennel. À peu près conforme au roman, déjà bien accablant, mais renchéri par l'esprit janséniste de Robert Bresson qui n'a jamais laissé place à l'espérance, sauf à dire que la Grâce, la Grâce seule, peut modifier le cours des choses. On peut comprendre, d'ailleurs et c’est ainsi que s’achèvent livre et film ; mais que c'est long, que c'est lent, que c'est guindé ! Ce qui peut se laisser lire, découvrir, aimer, passe beaucoup moins dans l'optique sévère d'un cinéaste qui n'a jamais cessé d'enquiquiner tout le monde.
Robert Bresson fait d’ailleurs tout pour rendre son film (tous ses films, bien sûr) rébarbatif. Lumière grise, paysages de boue, maisons sévères, sales, glaireuses. Et les visages, donc ! L’insignifiance des traits mous, sans caractère, du Curé (jamais nommé), (Claude Laydu) , l’œil méprisant, médiocre du seigneur du village, le comte (Jean Riveyre), la sécheresse hautaine de sa fille Chantal (Nicole Ladmirant, qui se suicida d’ailleurs quelques années plus tard, à 28 ans), l’insignifiance des traits de la comtesse (Rachel Berendt), la chair habituellement pauvre d’Yvette Étiévant, la femme de ménage compagne du prêtre défroqué chez qui le Curé d’Ambricourt va aller mourir… Et presque tous les autres. C’est d’ailleurs ce que voulait Robert Bresson qui fera de plus en plus appel à des acteurs improvisés, des amateurs dont le jeu sera de plus en plus atonal.Il y a des amateurs de ce cinéma-là. S’être ancré sur les récits graves de Georges Bernanos est assez conforme à son esprit. N’empêche que lorsque Maurice Pialat réalise le superbe Sous le soleil de Satan et choisit Gérard Depardieu et Sandrine Bonnaire pour incarner ses personnages, il est bien davantage convaincant. ` Il est vrai aussi que le premier roman de Bernanos, publié en 1926, décrit le combat d’un saint contre Satan alors que le Journal, publié dix ans plus tard est celui d’un pauvre homme contre la médiocrité, celle des autres mais aussi contre la sienne propre…
Classique intemporel revu sur grand écran, dont l’écriture cinématographique repose (à mon sens) sur la superposition de plusieurs lignes mélodiques (comme en musique). La première ligne mélodique est assurée par l’image, la seconde ligne par le texte du dialogue, la troisième par le ton du dialogue, la quatrième par la musique. Ces lignes se superposent, se juxtaposent, coulissent les unes par rapport aux autres, créant un spectacle vivant, et de l’émotion.
Par exemple, la jeune fille et le prêtre discutent sur une durée assez longue. Le texte du dialogue dit « je te déteste ». Le ton du dialogue dit « je t’aime » (ou « je te désire » dixit un expert). L’image montre un couple accordé (qui se déplace en fin de séquence à la même vitesse, regards orientés dans la même direction). Le dispositif est efficace, porteur de sens et d’émotions de spectateurs, et contrebalance le côté austère de l’œuvre.
Page générée en 0.0033 s. - 6 requêtes effectuées
Si vous souhaitez compléter ou corriger cette page, vous pouvez nous contacter