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Un vacarme terrible


De Impétueux, le 24 février 2020 à 14:13
Note du film : 5/6

Je crois qu'il y a des films qu'il faut avoir de la bouteille, beaucoup de bouteille pour apprécier ; et sinon de la bouteille, du moins de la distance, c'est-à-dire la capacité de voir, au delà du récit brut, des images crues, des dialogues choquants, la volonté du metteur en scène, peut-être la leçon qu'il veut donner. Je n'étais pourtant pas un perdreau de l'année lorsque j'ai vu La grande bouffe au cinéma en 1973 et pourtant ma femme et moi avons quitté la salle bien avant la fin du film, lassés, écœurés, scandalisés par la suite ininterrompue de séquences qui nous répugnaient. Et depuis lors, depuis près de cinquante ans, je m'étais soigneusement gardé de remettre le nez chez Marco Ferreri, non pas par moralisme gnangnan mais parce que je n'avais vraiment pas envie de retrouver la sensation de dégoût de jadis.

Et puis voilà que j'ai revu. Et que j'ai apprécié. Je n'ai pas écrit aimé. On ne peut pas aimer un film comme La grande bouffe parce qu'il nous bouscule, nous interloque, nous répugne aussi, souvent. Mais on doit de temps en temps remettre en question son joli petit confort intellectuel de spectateur. Et après tout j'ai fait la même démarche avec Salo ou les 120 journées de Sodome de Pier Paolo Pasolini qui m'avait hérissé avant que je n'en découvre la puissance.

Il y a d'ailleurs de grandes affinités entre les deux films. Dans l'un et l'autre quatre notables se réunissent en se coupant du monde extérieur pour entamer une descente graduelle et concertée vers les cercles de la destruction. Dans l'un et l'autre la merde y devient objet ou instrument de l'abjection. Et dans l'un et l'autre les quatre personnages vont avec détermination vers la mort -parce qu'il n'y a pas de possibilité de jouissance supérieure que celle-là, ultime, dans Salo, parce qu'il y a une fascination à la fois infantile et immédiate pour le suicide d'écœurement dans La grande bouffe.

Pourquoi les personnages de Ferreri ont-ils décidé, plus ou moins explicitement, de s'engloutir ensemble, au fait ? Sans doute parce que leur vie ne leur plaît plus, qu'ils en sont las, qu'ils ne la supportent plus. Leur sort semble pourtant enviable. Mais Ugo (Tognazzi), restaurateur de qualité et cuisinier de haut vol en a assez de ne plus émerveiller sa femme (Monique Chaumette) ; Marcello (Mastroianni), pilote de ligne et glouton sexuel commence à sentir ses performances décliner et se fatigue de sa dépendance ; Michel (Piccoli), producteur de télévision est d'évidence un homosexuel refoulé mais plus encore un quinquagénaire narcissique qui voit arriver le moment où son corps se fanera ; et Philippe (Noiret), haut magistrat issu d'une riche famille, n'est jamais parvenu à oublier qu'il a été très jeune orphelin de sa mère et qu'il subit toujours l'emprise de sa nourrice Nicole (Michèle Alexandre) qui s'est occupé de lui – y compris de sa sexualité – depuis depuis sa naissance. Je ne dis pas que ses carences et lassitudes suffisent à se suicider, mais qu'elles constituent un terreau fertile.

Fascination infantile, disais-je ; c'est sans doute ce qui m'a le plus frappé et qui se découvre dans tant et tant de séquences : concours idiot à qui engloutira le plus vite sa douzaine d'huîtres ; hurlements de joie de Marcello quand il parvient de remettre en marche la belle auto bleue (une Bugatti) ; propension de Michel à jouer Au clair de la lune au piano ; bataille de gâteau à la crème qui s'engage sur le corps nu d'une prostituée (Rita Scherrer) et qui se poursuit comme une bataille de polochons dans le dortoir d'un internat de garçons ; et repli quasi fœtal de Philippe vers le corps pâle et rose de mollesse et de douceur d'Andréa (Ferréol), l'institutrice goulue qui va materner et accompagner ses petits anges vers la mort.

La maison de la mort est décadente, vénéneuse un peu maléfique ; elle aurait pu abriter une des grandes courtisanes du début du siècle, Caroline Otéro, Liane de Pougy, Cléo de Mérode et peut-être aussi une des messes noires où Hyacinthe Chantelouve introduit Durtal dans Là-bas de Huysmans : y sont mêlés luxe des chambres comme retirées du siècle et austérité du jardin entouré d'immeubles modernes d'une grande banalité, raffinement des soieries, des tentures, des objets précieux et extrême trivialité de la fosse septique qui explose.

On s'étonne et on s'émerveille que quatre comédiens qui étaient tous, lors du tournage du film, au sommet de la renommée aient accepté de donner d'eux une image aussi singulière ; on est reconnaissant au film d'avoir mis au premier plan Andréa Ferréol dont le style n'a pas eu beaucoup d'équivalents dans le cinéma français ; on trouve très réussi le thème musical de Philippe Sarde (qui, il est vrai, n'en a pas raté beaucoup). Mais on peut regretter qu'un film aussi usant dure un quart d'heure de trop : en grappillant une minute ici, deux minutes là, Ferreri aurait confiné au chef-d'œuvre.


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De fretyl, le 23 novembre 2010 à 21:45
Note du film : Chef-d'Oeuvre

C'est peut-être le film philosophique le plus puissant, le plus beau, le plus drôle. C'est la comédie noire la plus implacable, le film psychologique le plus tendu, le film dramatique le plus tragique.
On pourrait écrire des pages entières sur La grande bouffe. Comme le font d'ailleurs les étudiants philosophes, à qui l'on demande en université d'étudier cette chose.
Une chose étrange. Un film qui résume bien la complexité de la vie et de la mort.
Quelque chose de marrant dans le fond, mais de sombre. La grande bouffe est drôle parce-qu'il est absurde. Absurde dans tous les instants.

Pourquoi ? Quand ? Comment ? Comment ces types ont-ils bien pu en arriver à vouloir réaliser une telle cérémonie ?
C'est là que se trouve une grande comédie. Voir des bourgeois péter, vomir, patauger dans leurs propres déchets… Pour le simple amour de la philosophie.
Le drame est finalement plus caché, mais omniprésent. Car l'inquiétude que dégage ce film, le malaise que dégage chaque personnage n'emmène franchement pas à l'hilarité. Piccoli, Mastroïanni, TognazziNoiret sont géniaux.
Peu d'acteurs acceptent généralement de prendre ce genre de risque dans ce genre de film. Le tournage et la sortie du film a d'ailleurs dû être une sacré déconnade pour des acteurs de quarante cinq/cinquante balais qui avaient à ce moment là, pignon sur rue.
Cependant c'est Noiret qui obtient le rôle le plus intéressant, parce-que le plus sensible. Ce type fin, fêlé mais fragile, décadent et qui est encore au fond de lui même, un enfant, est poignant de pathétisme.

On dit qu'au moment du tournage Ferreri ne se serait pas posé de question sur l'emballage sociologique du film.

Pourtant celui-ci à sans doute réalisé l'un des pamphlets les plus virulents et les plus choquants sur la société de consommation moderne.


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