Quand j'ai découvert ce film, j'ai pensé : "Tiens, la dernière partie me rappelle Veille d'armes (1935), avec le même Victor Francen. Sauf qu'à la place de Lise Delamare c'était Annabella qui plaidait pour son homme ! Et là, – petit trou de mémoire – je me suis demandé : "Qui a réalisé Veille d'armes, déjà ?" Petite recherche et… "Allons bon ! Marcel L'Herbier !" Et j'ai trouvé la coïncidence amusante !
Ah, je n'ai pas encore dit un mot de l'héroïne, c'est-à-dire Lise Delamare. Trop prise par les feux ingénieux et médiocres du théâtre, elle n'a donné au cinéma que des silhouettes, des seconds rôles, des apparitions. Quel charme, pourtant, quelle qualité de jeu, quelle ductilité de visage ! On regrette que l'actrice n'ait pas eu la chance de figurer en premier plan d'une œuvre majeure, tournée par un cinéaste de premier plan.
L'intrigue de Forfaiture a de la qualité, du charme et de l'intérêt. Au fin fond de la Mongolie, un ingénieur de haut niveau, Pierre Moret (Victor Francen) est en train de construire une route, contestée par les profiteurs qui ne veulent pas de la modernité et entendent conserver les grands trafics des caravanes chamelières ; au premier rang d'entre eux Tang-Si (Lucas Gridoux) qui fomente des rebellions et des escarmouches destinées à retarder la bonne marche des travaux. La ravissante Denise Moret (Lise Delamare), femme chérie de l'ingénieur, vient le rejoindre dans ces solitudes inquiétantes. Légère, virevoltante, désinvolte, alouette séduisante et futile, elle devient tout de suite la coqueluche du petit monde qui s'ennuie et s'alcoolise dans la région. Région où un prince d'opérette, Lee-Lang (Sessue Hayakawa) use son ennui en dispensant ses faveurs ici et là. Un aventurier sans scrupules, corrompu jusqu'à l'os, Valfar (Louis Jouvet) assisté de sa maîtresse Ming (Sylvia Bataille), fait tout pour faire échouer la construction de l'indispensable route.La beauté de Denise irrite les sens du Prince qui va tenter de la conquérir en la compromettant, en l'endettant, en la traquant. Sotte comme pas deux, la jeune femme, pourtant profondément amoureuse de son mari, enchaînera bêtise sur bêtise jusqu'à faire traduire son époux en cour d'assisses après l'assassinat du Prince. Je renonce à conter les complications ingénieuses de l'intrigue, qui s'enchaînent habilement.
Je ne suis pas certain que L'Herbier n'ait pas été avant tout un cinéaste du Muet ; on dit en tout cas grand bien de ce qu'il a tourné avant le Parlant.Et si Forfaiture est un film très agréable à regarder, je ne le placerais pas toutefois dans un panthéon cinématographique : c'est bien, c'est prenant, c'est très joliment photographié mais ça demeure dans le domaine de la comédie dramatique (comme on disait) qui se termine bien mais qui a fait frémir un peu les émotions.
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