Et davantage anglaise encore cette organisation sociale qui n'a pas d'équivalent au monde, j'imagine, où des châtelains possèdent des contrées entières et des fortunes inimaginables partout ailleurs. C'est que l'Angleterre n'a pas connu, elle, la salutaire destruction des féodalités entreprise en France sous Philippe le Bel au 14ème siècle et poursuivie au 17ème par le cardinal de Richelieu et Louis XIV. Outre-Manche, en 1215 (la Magna carta), les barons orgueilleux arrachent à Jean sans Terre une bonne partie des pouvoirs du souverain et n'ont de cesse ensuite que d'en diminuer les prérogatives. Aucune dynastie vraiment nationale, une période cromwellienne qui est finalement de la gnognote et l'économie de la révolution et du césarisme : aucun rapport avec ce que nous avons connu.
D'où la persistance de féodalités inconcevables en France. Et voilà que le film se déroule au moment où la Grande-Bretagne, moins saignée, moins martyrisée, moins exsangue que la France après la Grande guerre s'imagine être encore capable de damer le pion au reste du monde et singulièrement aux vulgaires États-Unis et à réintroduire l'Allemagne dans le jeu politique, afin d'équilibrer la prédominance française en Europe (et elle ne voit pas que comme un canard sans tête qui ferait encore illusion, la France est morte dans les tranchées de Verdun).Je m'étends sans doute trop sur cette partie du film, qui n'est d'ailleurs pas la meilleure mais qui, pourtant, seule explique la persistance de types comme celui du majordome Stevens (Anthony Hopkins, épatant), corseté dans le rôle qui lui est dévolu presque héréditairement, de servir avec dignité et d'écarter de son chemin tout ce qui pourrait paraître, aux yeux de sa fonction, comme négligeable, inutile ou dérangeant. Cœur sec, esprit mesquin, sensibilité médiocre ? Ah là, ce n'est pas si simple, loin de là ! La vie de Stevens apparaît-elle vraiment dérisoire et ratée comme une vision sentimentale et romanesque pourrait le laisser penser, comme semble le ressentir Miss Kenton, devenue Mrs Benn (Emma Thompson, parfaite) lorsque, vingt ans après que quelque chose aurait pu être, elle s'éloigne de Stevens dans son autobus, sous la pluie atlantique…
Même s'il est assez long (2 heures et quart), le film me semble concentrer un peu trop et donc résumer à l'excès trois thèmes assez différents : la vie dans une grande maison aristocratique, de nature presque documentaire, les péripéties politiques, à peine survolées et peu compréhensibles à qui n'a pas une certaine connaissance de la période de l'Entre-deux-guerres et, sous-jacente et informulée, l'attirance entre Stevens et Miss Kenton. Je crois que ce genre de récits doit bénéficier, pour être totalement apprécié, de la longue durée d'un feuilleton étendu sur plusieurs épisodes où tous les personnages secondaires (Lors Darlington/James Fox, son neveu Reginald Cardinal/Hugh Grant) gagneraient un peu plus de chair.Mais c'est un très beau film, aux teintes un peu passées, exactement comme il faut…
Si je devais faire mon balluchon pour partir à l'autre bout de la Terre, ce film ferait partie des quelques DVD que j'emporterais !…Cette étude de moeurs montre à quel point l'Education, l'Honneur, le Dévouement, peuvent surpasser les réalités d'une société en pleine mutation (montée du nazisme)… Personne d'autre qu'Anthony Hopkins aurait pu interpréter ce majordome d'une très grande dignité… et qui perpétue à lui seul tout un passé glorieux !… Il est de bon ton d'adopter des silences, des "non dit" ; les sentiments étant refoulés au bénéfice d'autres causes… Pour moi, il n'y a pas là "complexité humaine", mais simplement accomplissement de la "fonction" de majordome dénuée de tout artifice sans intérêt… Les images (certains flous – demi-teinte) sont d'une très grande qualité… Le rythme très lent est à la hauteur de l'enjeu… relater une Vie !
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