C'est avec cet étonnant huis-clos, dont notre ami Arca avait jadis vanté les mérites, que Peter Collinson fit ses débuts au cinéma en 1967.
Plus de cinquante après, La nuit des alligators n'a rien perdu de sa méchanceté, de son humour noir et de son aptitude à transmettre au spectateur une impression de malaise. Nous suivons un couple plongé dans un cauchemar absurde.
La mise en scène est à la fois esthétiquement raffinée – les cadres sont soigneusement composés – et percutante. Mais l'ensemble est intelligemment fait, avec une certaine économie de moyen: seul un couteau est montré. Qui peut trancher à tout instant…Les acteurs sont bien dirigés et le fait de choisir des inconnus est judicieux. Le spectateur n'a personne à qui se rattacher pendant plus de 90 minutes. Martine Beswick, est célèbre auprès des amateurs de la Hammer et de James Bond, mais elle intervient à la fin et est de plus déguisée. Les acteurs resteront méconnus après la sortie du film, hormis la belle Suzy Kendall, future star du giallo et notamment de L'oiseau au plumage de cristal.
Certes La nuit des alligators ne se départit pas tout à fait de son origine théâtrale et quelques coupes auraient pu être opérées. Mais le texte est brillant, notamment le passage, qui donne son titre français au film: Tom, le chef des deux agresseurs, se compare aux bébé alligators, mignons comme tout dans un premier temps, puis de plus en plus embarrassants à mesure qu'ils grandissent, que l'on tente d'éliminer mais peuvent se retrouver dans les canalisations…
La nuit des alligators est enfin une satire sociale corrosive, comme d'autres oeuvres de la même époque, telles Lady in a Cage , L'incident, Seule dans la nuit, et plus tard, les chiens de paille, où des membre de la classe moyenne ou de la petite bourgeoisie vivant dans le confort sont dérangés par des déséquilibrés d'une classe inférieure. Souvent les assaillants cherchent de l'argent, du pouvoir, de la drogue ou du sexe, mais ici, on a le sentiment que les deux sadiques sont deux envoyés de Dieu venus punir le couple adultère vivant dans le péché, ce qui donne à l'ensemble une tonalité surnaturelle et énigmatique originale voire fascinante.Comme plus tard chez Haneke, les auteurs dénoncent une société qui rend les gens fous.
Quoiqu'il en soit, avec La nuit des alligators ou Un jour parmi tant d'autres, Peter Collinson entamait une carrière prometteuse, et s'affirmait comme un auteur dans la lignée du "free cinema" des Karel Reisz, John Schlesinger et autres Lindsay Anderson.
Hélas, avec le triomphe de L'or se barre, sa carrière allait prendre un tournant nettement plus commercial et nettement moins audacieux et irrévérencieux. On peine à croire que c'est le même homme qui a réalisé cette vénéneuse Nuit des alligators et, quelques années plus tard, la piteuse version 1974 de Dix petits nègres.
Page générée en 0.0051 s. - 6 requêtes effectuées
Si vous souhaitez compléter ou corriger cette page, vous pouvez nous contacter