À dire le vrai, Ophuls reprend à tout moment le schéma des amours difficiles et constamment malheureuses. Liebelei préfigure, d'une large façon, nombre des films qui suivront et qui le rendront cinéaste parmi les plus grands qui soient. Et de fait, il y a dans Divine, Sans lendemain, Pris au piège, Les désemparés tout ce qu'il faut pour accabler les esprits optimistes. Et bien davantage encore dans les grands derniers films : Lettre d'une inconnue, La ronde, Le plaisir, Madame de… voire Lola Montès.
Dans la Vienne d'avant-guerre, encore riante, brillante, vouée à la musique, à la valse, à la galanterie, les jeunes officiers aux brillants uniformes très chamarrés fascinent les petites jeunes filles qui ont envie de sortir de leur modeste condition ou qui sont simplement rêveuses. On est encore presque dans le siècle d'avant, coquet, coquin, libertin, voué au plaisir et à la vie douce.Le beau lieutenant Fritz Lobheimer (Wolfgang Liebeneiner) partage avec son meilleur ami Theo Kaiser (Carl Esmond) le goût des Wiener schnitzel, des Apfelstrüdel et de la Sachertörte, mais aussi (et surtout pour Theo Kaiser) celui des grisettes éblouies assez facilement par la vie de plaisir. Fritz est un peu plus réservé là-dessus, d'autant qu'il est l'amant de la belle baronne von Eggersdorf (Olga Tschechowa) dont le mari (Gustav Gründgens) est fort jaloux.
Au fait qui sont ces grisettes recueillies un soir à l’Opéra où elles sont venues admirer la beauté des gens de qualité ? Il y a Mizzi Schlager (Simone Héliard), qui n’est pas trop regardante sur la vertu et sa copine bien plus sage Christine Weyring (Magda Schneider). J’imagine que tous les cinéphages savent que Magda Schneider est la mère de Romy ; mais peut-être certains ignorent-ils que la fille a repris le rôle de sa mère dans le remake Christine de Pierre-Gaspard Huit en 1958. Comme souvent cohabitent marivaudage et tragédie : des scènes légères et funambulesques qui voient les amoureux déjouer la surveillance tatillonne, austère, de leur parenté. Mais finalement, comme dans Lettre d’une inconnue, comme dans Madame de… l’orage éclate ; le drame gronde et tout finit par la mort et l’évidence des vies gâchées.Liebelei résonne absolument avec l'atmosphère élégante et fanée de l’époque que le film représente : une légèreté surmontée par l’aile fatidique des fins d’époque. On voit bien que ce monde-là n’en n’a plus pour longtemps.
Ce qui est bien dommage, au demeurant.
Ophüls, dans le style inimitable qui va faire sa renommée, un style emprunt de gravité et de légèreté, s'intéresse dans Liebelei à la ronde de l'amour, orchestrée par le hasard des circonstances et des rencontres. Cette ronde procure le plaisir à des jeunes gens qui vivent leur temps de l'amour, mais prend hélas des contours plus tragiques, le jour inévitable où les deux coqs se retrouvent face à face (bien entendu chacun pense aussi à madame de).
De belles idées, par exemple les scènes qui sont vues au travers de visages de témoins, une photographie exemplaire, l'affirmation d'un style : cette ronde vaut plus qu'un regard aujourd'hui, malgré son grand âge.
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