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Sujet : La Tempete par Greenaway : baroque & mythologique


De DelaNuit, le 5 février 2013 à 17:57
Note du film : Chef-d'Oeuvre

Les films de Peter Greenaway sont d'un abord particulier… Bien souvent, on adore ou on déteste. Son art visuel peut sembler magnifique ou plutôt vain, selon que le fond de l'histoire racontée nous touche ou non.

Ce film est sans doute l'un de ses plus étranges et plus difficiles d'accès. certains de mes amis sont sortis de la salle au bout de dix minutes, agacés, énervés ou simplement indifférents. D'autres ont crié au génie. Pour ma part, je suis resté en adoration jusqu'à la fin, et je compte ce film parmi les plus beaux jamais vus.

Mieux vaut tout de même avoir une petite idée de la pièce d'origine, l'une des plus étranges de Shakespeare. Prospero, duc de Milan, a été évincé par son frère au cours d'un coup d'Etat, et laissé à la dérive sur une barque en compagnie de sa fille encore bébé et de ses livres. Ayant finalement accosté sur une île mystérieuse, ancien repaire d'une sorcière, il libère un génie de l'air – Ariel – que celle-ci avait emprisonné dans l'écorce d'un arbre, soumet une créature sauvage – Caliban – et utilise la science et la magie contenue dans ses livres pour commander aux esprits de la Nature, bâtir un royaume fabuleux et y régner avec sa fille, devenue une belle jeune femme.

Lorsqu'un navire portant en ses flancs son frère félon et le roi de Naples son allié, ainsi qu'une partie de leur cour et de leur famille, approche de son île, il déchaîne contre eux ses pouvoirs et les esprits auxquels il commande pour ourdir sa vengeance…

A partir de cette histoire qui autorise le recours au fantastique et au fabuleux, Greenaway donne vie à tout un monde mythologue d'esprits et de divinités de l'eau, de l'air, de la terre et du feu, évoluant au sein d'architectures fantasmagoriques sous les ordres de Prospero, dans des mises en scène visuelles dignes des plus belles toiles du romantisme ou du symbolisme (on songe notamment à Gustave Moreau), sur une musique planante ou trépidante de Michael Nyman agrémentée de passages chantés.

Pour incarner ce vieillard aux terribles pouvoirs, il offre le sceptre du savoir au shakespearien John Gielgud au regard pénétré et à la diction on ne peut plus adéquate, parfait dans le rôle. La jeune Isabelle Pasco campe une bien jolie Miranda, fraîche et innocente.

Le film s'ouvre sur Prospero, invoquant au bord d'un bassin les esprits de l'air (formant un ballet autour de lui) et les ondines de la mer pour déchaîner une tempête sur le galion de ses ennemis. La scène suivante le voit traverse au milieu d'un apparent désordre de feuilles couvertes de phrases magiques et de signes cabalistiques les larges pièces de son palais où s'activent mille esprits nus ou revêtus d'attributs symboliques complexes… Et ce n'est que le début. Sur les images ainsi construites avec des décors et des éclairages sophistiqués, se superposent d'autres images, doubles ou triples, dévoilant le contenu de ses livres de magie (livre des plantes, des ouragans, d'architecture…) dont les dessins et peintures superbement reproduits selon des styles anciens, prennent vie sous nos yeux…

J'oubliais : pendant près de la moitié du film, la voix de John Gilgud se superpose à celle des autres personnages puisqu'il est – à l'instar de Shakespeare – l'auteur de la tragi-comédie qui est en train de se jouer.

Cerise sur le gâteau, le mariage de Miranda avec le fils du roi de Naples, pour lequel Prospero convoque trois déesses de l'Olympe, superbement revêtus de robes anciennes : Iris messagère des dieux, Cérès déesse des moissons et Junon reine des cieux. Et voici les déesses – parmi lesquelles Ute Lemper nous gratifiant d'un échange de vocalises digne d'un opéra baroque, pour bénir l'union des amants, et accompagner la procession de nymphes et de faunes qui les accompagne.

Bref ! Si le terme "art et essai" convient à un film, c'est bien à celui-là. Encore une fois, que l'on adore ou que l'on déteste, encore est-il bien triste qu'un tel joyau du septième art, du théâtre et de la musique associés ne soit pas proposé en dvd…


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