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Sujet : Chaque âge a ses plaisirs


De Impétueux, le 17 novembre 2012 à 11:42
Note du film : 6/6

Dans la salle parisienne où nous sommes allés voir le film, hier, ma femme et moi, nous semblions être des galopins malgré notre pimpante soixantaine avancée. J'exagère à peine, mais il est de fait que ne se pressaient pas là de jeunes actifs tourbillonnants et moins encore d'adolescents amateurs d'effets spéciaux.

C'est qu'Amour, primé à Cannes, met en scène, dans un quasi huis-clos pesant, l'affreux phénomène de la vieillesse et qu'il est assez loin des discours convenus sur la pétulance nouvelle du troisième âge, célébrée par toutes les publicités pour croisières, excursions, parties de golf et mastic dentaire efficace.

Un couple d'octogénaires aimants, Georges (Jean-Louis Trintignant) et Anne (Emmanuelle Riva) ; tous deux anciens professeurs de piano : leur fille Éva (Isabelle Huppert) est elle-même artiste et vit, en Angleterre avec un musicien ; et Anne a d'ailleurs formé un jeune virtuose aux succès éclatants (Alexandre Tharaud, qui joue son propre rôle) ; un couple harmonieux, aisé sans excès, civilisé, intelligent, dont la complicité tendre est perceptible.

Au lendemain d'un concert, au petit déjeuner, Anne a une absence : pendant quelques instants, sans perdre conscience, elle ne voit plus, n'entend plus, ne sent plus. Médecin. Opération. Les 5% de malchance qui font que l'opération échoue. Retour à la maison avec une hémiplégie qui paralyse tout le côté droit. Engagement demandé par Anne à Georges qu'il ne la mettra pas dans une maison de santé et promesse faite par lui.

Et donc la vie de ce couple sensible dans la déchéance graduelle du corps d'Anne et dans l'épuisement consécutif et consentant de Georges.

Ce salaud d'Haneke n'évite de montrer rien de ce qui dérange, ne fait grâce d'aucune des humiliations subies par le corps de plus en plus abîmé d'Anne et endurées par le couple : l'assistance continue à chaque déplacement, aux moindres mouvements, au coucher, au passage aux toilettes, aux repas – puisqu'il faut couper à Anne sa viande -. Dégradation nouvelle, déchéance accrue : les sphincters qu'on ne maîtrise plus, les couches qu'il va falloir porter, la douche qu'il faut apprendre à donner, la compote de fruits prise à la petite cuillère. On finit comme on a commencé : langé dans un lit.

Mais le malheur est que ça ne va pas s'arranger. Il y a dans Amour une scène extraordinaire, où Georges reçoit sa fille Éva, qui voit sa fatigue, son épuisement, son découragement, son écrasement devant ces tâches toujours recommencées, et, surtout, recommencées sans espoir, puisque ça ne peut qu'aller plus mal. Éva se met en colère, proteste, sanglote… Et puis alors ? Qu'est-ce que Georges a d'autre à faire que ce qu'il fait ?

Que ce qu'il va faire ? C'est une autre histoire…

Il n'y a pas une minute de ce film où l'on ne soit en tension, ce qui est sans doute une des marques du talent d'Haneke, une des forces qu'il utilise pour gratter la réalité. Et quand il dispose d'acteurs aussi exceptionnels que Jean-Louis Trintignant et Emmanuelle Riva, la brûlure est vive. Les deux acteurs, qui ont l'âge de leurs rôles (il est né en 1930, elle en 1927) se montrent sans complaisance, mais sans pudeur dans la dégradation de leurs vieux corps : tout autre parti, enjolivant la réalité, n'aurait pas permis cette extraordinaire glaciation des espérances terrestres qu'est Amour.

L'avenir ne s'annonce pas rose.

Il n'est de bonne compagnie qui ne se quitte.


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De Tamatoa, le 18 novembre 2012 à 17:36

Ami Impétueux, je n'ai pas voulu intervenir avant, voulant laisser aux autres internautes le soin d'ajouter une glose à la votre, laquelle mérite grandement que l'on s'y attarde. Mais puisque votre prenant message reste sans écho, permettez moi d'y ajouter le mien. Je n'ai pas vu ce film. Et ne le verrai pas. Déjà, lors des différentes promotions que j'ai pu voir et entendre sur différents plateaux télévisés, je n'avais nulle envie, bien que connaissant le merveilleux talent d' Emmanuelle Riva et de Trintignant, de m'offrir un billet pour suivre au jour le jour, et dans le moindre détail sordide, la destination finale. Ce que vous nommez magnifiquement la glaciation des espérances terrestres. Et lisant votre critique du film, je m'aperçois que ma décision de ne pas voir cette oeuvre était fondée.

Mais je voudrais juste vous dire ceci : Je sais que quand vous nous dites : L'avenir ne s'annonce pas rose, vous parlez de vous. De nous. Des hommes et femmes de notre génération et de l'angoisse que contient les jours à venir. Mais n'est ce pas faire beaucoup d'honneur à un avenir qui est derrière nous ? Si on excepte le centenaire, en pleine forme mais qui reste l'exception divine chère à Vincentp, ( sur le fil de La fin du jour ), n'avons nous pas déjà pris, et pour quelques encablures encore, droit dans nos bottes, ce bateau qui nous emporte de l'autre côté de la vie ? Pourquoi devrions nous trembler devant l'inéluctable ? N'est ce pas faire honte à un passé magnifique voire prodigieux, selon nos propres sensibilités ? Nous avons bien le cœur qui s'effrite un peu comme les pierres d'un château, mais chaque fragment qui nous quitte n'est-il pas souvenir merveilleux ? On finit comme on a commencé : langé dans un lit.. C'est tout à fait exact. Mais n'oublions pas que beaucoup, beaucoup ont fini comme ça à un âge où l'avenir n'était encore qu' autoroute à peine entamée..Et si, au lieu de nous prédire un restant, un succédané d'avenir, sombre et invalide, nous pensions avec bonheur, à la chance que nous nous avons eu… Cette cuillerée de compote, maladroitement avalée et servie par un tiers, n'en avons nous pas englouti, de notre propre chef, des bocaux entiers, au grand soleil ? Il faut regarder le néant en face pour savoir en triompher. Le chant n'est pas moins beau quand il décline… disait Aragon. Ce film, Amour, aussi "beau" soit-il, aussi magnifiquement interprété, n'est-il pas que reportage sinistre sur la plus naturelle des catastrophes ?

Vous terminez votre très touchante critique par : Il n'est de si bonne compagnie qui ne se quitte.. Oui. Par force. Mais je vous répondrais : Nous nous sommes tant aimés !. Nous nous sommes tant aimés !


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De Impétueux, le 18 novembre 2012 à 23:21
Note du film : 6/6

Vous avez raison, ami Tamatoa, mais je n'ai pas tort. Et c'est vous qui n'avez pas raison, cette fois, de refuser d'aller voir ce film magnifique autant qu'éprouvant, parce qu'un beau moment de cinéma, c'est toujours ça de gagné sur les ennuis de la vie.

Puisque vous me faites l'honneur et l'amitié de lire ce que j'écris ici, vous avez peut-être saisi, ici et là que si l'espérance terrestre n'est pas de mise, l'espérance, tout court, n'est pas du tout altérée et que mes convictions profondes me font songer avec beaucoup de bonheur à la vie future.

Mais cette foi, profonde, n'empêche pas qu'il m'ennuie beaucoup d'imaginer que, d'ici quinze ou vingt ans, et peut-être avant, celle que j'aime, ou moi, ou les deux serons dans l'état accablant que les progrès de la médecine nous promettent : la survie. Je n'y peux pas davantage que quiconque, mais ça m'exaspère. La vie a été pleine et dense : c'est sans doute pour ça qu'il est si énervant qu'elle s'achève de façon si médiocre.

Restons en là, si vous voulez, puisque tout ce qui pourrait être dit irait bien au delà du film. et si vous voulez que nous en parlions sans enquiquiner nos amis plus jeunes, répondez moi sur ma messagerie personnelle, qui est facile à trouver.


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