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Forum : Nanouk, l'esquimau

Sujet : L'ancêtre


De vincentp, le 2 novembre 2012 à 22:31
Note du film : 5/6

L'ancêtre du documentaire ethnographique (1922). Il fut scénarisé par Flaherty qui arrangeât la réalité, pour la rendre plus belle ou plus émouvante. N'empêche : les bases du documentaires sont là. Episodes de la vie des inuits (chasse, pêches et traditions). Ces indiens, avant l'arrivée de l'homme blanc sur le sol canadien, vivaient une vie paisible mais rude… Une vie simple, rythmée par les saisons. Point d'artifices liés à la société de consommation. Les inuits prélèvent le juste nécessaire pour survivre. La chasse des morses nécessite entraide et solidarité. Très astucieusement, la neige et la glace permettent de construire une maisonnée douillette et accueillante. Le jeu facilite l'apprentissage et l'instruction des plus jeunes. On croit comprendre que Nanouk a plusieurs épouses. Le chien huskie est un allié fidèle qu'il faut nourrir de viande et dont il faut contrôler le pilotage. La nuit polaire clôt une journée de dure labeur, simple épisode au sein d'un cycle immuable de vie se déroulant entre ciel, terre, et mer …

L'intérêt de Nanouk aujourd'hui est plutôt historique : la vie d'autochtones au début du siècle dernier, les débuts du documentaire. Ceux qui ne sont pas intéressés par ces deux aspects risquent de s'ennuyer (même si le film est bien fait). Ou bien, pour des enfants…


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De Arca1943, le 3 novembre 2012 à 16:43

« Ces indiens, avant l'arrivée de l'homme blanc sur le sol canadien. »

«L'homme blanc», ouais c'est ça ! (Et au singulier, bien sûr). Je soupçonne ici le syndrome du "bon sauvage" rousseauiste cher à nos amis Français et le dangereux culte de la nature qui en découle souvent. Il n'existe pas de peuples sans histoire. La façon la plus simple, la plus basique de montrer cela est la langue : tous les peuples de la Terre ont en une, et personne n'a jamais su parler une langue en sortant du ventre de sa maman, donc la langue est une construction spécifiquement humaine, «un fait spirituel et non physique» (H. Arendt), et voilà (*). Et les langues amérindiennes du Canada et d'ailleurs sont tout un foisonnement. J'ai d'ailleurs connu enfant un monsieur Lefebvre, prof de ma maman, linguiste et coauteur d'un des tous premiers dictionnaires Inuit-Français. Il m'a tenté de m'expliquer le principe des différenciations linguistiques liées aux déplacements humains ("Inuit d'un jour, Inuit de deux jours, Inuit de trois jours…") mais j'étais trop petit pour suivre. Être "Indien" (i.e. amérindien) ou Inuit n'est pas une race (nature, fait physique) mais une civilisation (culture, fait non physique) ; et caractériser les nouveaux comme les anciens habitants du fameux "Nouveau Monde" par leur couleur de peau (les "Blancs", les "Rouges") fut très précisément la cause numéro un – quoique sous-jacente et non identifiée à l'époque – des génocides et tentatives de génocides qui eurent lieu.

Non que nous soyons sortis, ici au gentil Canada, de ce syndrome racial laissé par les Britanniques et les Français (et pas les "blancs", car un Britannique ou un Français peut avoir n'importe quelle tronche). L'Indian Act de 1876, qui définit toujours aujourd'hui qui est amérindien et qui ne l'est pas sur la base de la chimère pseudoscientifique du prétendu "sang indien" par opposition au non moins prétendu "sang européen" est toujours en vigueur, et donc, comme le dit fort justement ma concitoyenne Helen Gabriel, présidente de Femmes autochtones du Québec, c'est bel et bien au ministère fédéral des Affaires indiennes que se trouvent «les racines mêmes du racisme» : à savoir la croyance aux théories du sang, le polygénisme, la physiognomonie etc.

Théories qui ne tiennent pas debout. Moi par exemple, il paraît que j'ai quelques ancêtres amérindiens, d'où peut-être mes yeux légèrement en amande, mais je ne ne suis pas amérindien du tout, vu que ces histoires d'arbres généalogiques ne riment à rien (contrairement ce que croyaient les ceusses qui ont arrêté le jeune Stanislaw Lem pendant la Seconde Guerre mondiale et qui le prenaient pour juif sur cette base généalogique, c.f. son essai Provocation, sous-section Réflections sur ma vie). Mon cousin Gérard, par contre, fils de mon oncle Théodore qui était cultivateur à la lisière du territoire mohawk de Kahnawake, et mon oncle Fernand, qui a épousé ma tante Charlotte, Amérindienne et prof de langue mohawk, eh bien eux qui ont le même arbre généalogique que moi mais ont vécu longtemps à Khanawake (avec expulsions du territoire, retours, re-expulsion, enfin c'est toute une saga), ils avaient développé des enracinements locaux et la possibilité que la culture locale déteigne sur eux en échangeant des blagues avec la waitress du restaurant à déjeuners, le jeune livreur de journaux, ou que sais-je encore, le plombier mohawk local, la radio mohawk, et ainsi de suite.

Un détail amusant à noter sur le titre ce classique de Flaherty : le terme «Esquimau» du titre français est une insulte raciste contre les Inuits formulée dans je ne sais plus quelle langue amérindienne (le cri ? ) et qui veut dire "mangeur de poisson cru". Voici donc un conseil aux Français en vacances au Québec, si vous rencontrez un type qui est inuit, ne lui dites pas d'un air ravi, appareil photo au poing : "Oh, vous êtes Esquimau !", car vous venez de lui dire : "Eh, toi, le mangeur de poisson cru !" et vous vous magasinez un gros nez, comme on dit chez nous.

(*) (Eh oui, je suis un de ces méchants "logocentrik", que dénonçait Jacques Derrida – et avant lui Matthias Goering, machintrucfuhrer de la psychiatrie nazie.)


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De vincentp, le 3 novembre 2012 à 19:19
Note du film : 5/6

Donc vous avez du sang indien dans les veines, Arca1943. Des ancêtres français et d'autres amérindiens. Lesquels arrivèrent par le detroit de Bering il y a quinze mille ans et colonisèrent rapidement l'ensemble du continent, pour atteindre rapidement la Patagonie. Une sacrée lignée ! Le mystère est par contre, en ce qui vous concerne, votre attirance pour le cinéma italien.


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De Arca1943, le 3 novembre 2012 à 20:02

« Donc vous avez du sang indien dans les veines, Arca1943. »

Décidément, il n'est pire sourd que celui qui ne veut entendre : ce que je viens d'expliquer, c'est que du prétendu "sang indien", cela n'existe pas. La raison précise pour laquelle l'Indian Act canadien de 1876 est une loi raciste, c'est justement parce qu'il professe l'existence d'un prétendu "sang indien". Le racisme, c'est le déterminisme biologique, comme le rappelle fort justement l'historien Zeev Sternhell. Permettez que je cite ma concitoyenne Tracey Deer, l'éditrice du journal Mohawk The Eastern Door: «Ce sont les valeurs que l'on partage qui font de nous une communauté. Notre histoire, notre culture, notre langage. Pas notre sang.»

Prenons un autre exemple pour illustrer la même chose. Lors du conflit en ex-Yougoslavie, la vice-présidente du SDS, la biologiste Biljana Plavsic, condamnée depuis pour crime contre l'humanité, accusait: «les Musulmans se sont attaqués à la substance biologique serbe». Sauf que ça n'existe pas, la prétendue "substance biologique serbe" ! Cette dame vivait (et vit encore ?) dans la même fiction mortifère que les nazis, qui avaient vissée au fond du crâne la conviction d'un soi-disant "sang allemand" et d'un soi-disant "sang juif", et qui prenaient le fait d'être Juif allemand pour un prétendu "mélange de sangs". Spécialiste des langages nazis, Jean-Pierre Faye (*) note avec une sombre ironie: «Comment ce liquide coloré est-il censé se transformer en culture? Ce n'est pas éclairci.»

Ce qui me rappelle une blague juive dont je n'ai pas l'original yiddish avec moi car je suis dans un café, loin de mes précieux livres. Mais je l'ai en français: «C'est comment, du sang juif ?» Réponse: «Rouge avec des étoiles de David !»

Le fait d'être d'un peuple ou d'un autre n'a rien d'héréditaire, de transmis par le sang, car il y a une seule espèce humaine. Même si ce ne sont évidemment pas les cas les plus courants, on peut avoir plein d'ancêtres mohawks et ne pas être mohawk du tout, tout comme on peut n'avoir aucun ancêtre mohawk et être très mohawk: il suffit par exemple d'avoir été adopté à la naissance par une aimante famille mohawk, et voilà tout, on est mohawk pour la même raison que tout le monde, à savoir parce qu'on l'est DEVENU de son vivant. C'est un fait acquis par l'esprit, et non hérité par le sang. C'est un fait culturel: le contraire de naturel.

Voilà. Suis-je plus clair ainsi ?

(*) Dans Langages totalitaires 2: la Raison narrative.


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De Tamatoa, le 3 novembre 2012 à 22:35

Votre discours, Arca, me rappelle une réflexion que me faisait Alholg dernièrement. Quand l'ouragan Sandy a frappé New-York, il déplorait (à juste titre) cette tornade emportant et disloquant le Bounty. J'ai alors laissé trainer : Gone with the Wind…Il me répondit qu'à cette vitesse, ça ne s'appelait plus "Wind".

Si j'ai bien compris vos propos, vous expliquez à Vincentp (à propos du sang) que Brise, Tornade, Bourrasque, Zéphir, tout celà reste QUAND MEME du vent…Et non pas Zéphir parce qu'il souffle dans telle région ou bien Ouragan parce qu'il souffle dans une autre. C'est ça ?


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De Arca1943, le 3 novembre 2012 à 22:48

Je ne suis pas sûr de bien comprendre, mais je crois que c'est ça. Seule leur ignorance mutuelle sépare les peuples les uns des autres et non quelque obstacle physique que ce soit qui les scinderait en petits carrés étanches qu'on ne pourrait appréhender de l'extérieur.


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De Impétueux, le 5 mai 2022 à 14:13
Note du film : 4/6

Un moyen métrage du temps du cinéma muet qui, malgré les années, demeure tout à fait intéressant. Varié, bien rythmé, didactique, expliquant avec soin et pédagogie dans de nombreux cartons l'existence quotidienne des pauvres gens qui ont le malheur de s'être arrêtés, lors des grandes migrations antédiluviennes (ou presque) dans les territoires glaciaires. Car Nanouk l'esquimau et toute sa famille vivent – ou survivent, pourrait-on dire – au nord du Canada, dans la baie d'Hudson, à la limite de l'océan glacial arctique. À dire vrai, lorsque je regarde la multiple splendeur du monde et les merveilles tendres qu'il recèle, je m'interroge toujours sur ce point. Peu importe.

Film muet, donc mais où la parole, si le parlant avait existé en 1922, date du tournage, n'aurait sans doute pas eu le moindre intérêt. La famille de Nanouk s'inscrit dans un cycle immuable, totalement ordonné par la recherche continue de la nourriture. Le seul maître de la vie de ces Inuits est le cycle des saisons : l'été, au moment où la glace fond un peu et laisse apparaître la terre, on accumule la seule végétation qui s'accroche à ces terres inhumaines : la mousse qui, soigneusement séchée, servira de combustible pour le feu. Aux temps d'hiver, quand neige et glace recouvrent tout, on traque le phoque, repéré grâce aux trous de respiration que le mammifère laisse apercevoir dans l'étendue blanche. Le reste du temps il y a les saumons, capturés au trident, les morses – monstres violents de deux tonnes – à l'épieu. On dévore tout ça à pleines dents, sans même le cuire. Et lorsque le petit clan vient à la ville vendre aux marchands canadiens peaux de phoques et fourrures de renards et d'ours, la meilleure friandise que les enfants dégustent, c'est du biscuit de mer recouvert de saindoux.

On peut se demander comment Robert Flaherty avec les modestes moyens techniques de l'époque a pu suivre avec autant de soin l'existence quotidienne de ce malheureux peuple perpétuellement confiné dans un processus de survie. C'est en tout cas remarquablement scandé, construit, présenté : la famille, la chasse et la pêche, la construction de l'igloo, la vie quotidienne. À part Nanouk (l'Ours), le chef de famille, on identifie à peine ceux de son clan : Nyla, (Celle qui sourit), sa femme, Allee et Cunayou, leurs enfants ; mais, dans l'igloo, il y a aussi une autre femme (y a-t-il polygamie ou est-ce une fille aînée du couple ?)). Chaque prédation est présentée très clairement : les saumons, les morses, les phoques, même le renard piégé.

Au fait, il est amusant de remarquer que le film a notamment été financé par la grande maison de fourrures Révillon (dont l'origine remonte à 1723), ce qui ferait aujourd'hui frémir d'horreur les défenseurs de la prétendue Cause animale. Et aussi que le territoire des Inuits est véritablement l'enfer des niais Végans, puisque l'environnement, du fait de la dureté du climat et de la stérilité du sol, n'offre, pour seule ressource que la vie animale, exploitée donc sous toutes ses formes avec les peaux, pelages, huiles, viandes, fanons, os, dents et tout le tremblement.

Ce petit venin jeté, comme c'est bien de pouvoir admirer l'ingéniosité humaine dans les pires conditions possibles : ainsi, pour que l'intérieur de l'igloo, bâti en neige gelée, puisse recevoir un peu de lumière, Nanouk va tailler dans la glace une sorte de carreau à peu près translucide qu'il placera au bon endroit et sur quoi il fera même réfracter la lumière du pâle soleil boréal.

Vraiment d'un bout à l'autre du monde, l'Homme est admirable.


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