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Forum : Présumé innocent

Sujet : Un problème de casting...


De Arca1943, le 15 juillet 2004 à 10:13
Note du film : 3/6

Chaque année, je dévore des dizaines de romans policiers, que j'achète le plus souvent usagés à la librairie The Word, près de l'Université McGill, ou neufs chez Paragraphe. Mes préférés sont Michael Dibdin, créateur d'Aurelio Zen, détective suprêmement désabusé de la Questura de Rome, et Martin Cruz Smith, qui fait vraiment très fort avec Arkady Renko, de la police de Moscou (Gorky Park, c'est lui).

Parmi les différents sous-genres, j'ai toujours eu un grand faible pour les courtroom dramas, que je lis même quand je sais qu'ils risquent de tomber dans le grand guignol (cas de Steve Martini) ou s'enfoncer dans des technicalités telles que seul un autre avocat pourrait s'y retrouver ! (Cas de Tannenbaum, dont j'oubie le prénom).

Presumed Innocent est un bon film, pas de doute. C'est très bien fait. Ce n'est pas ennuyeux. Pakula n'est pas le dernier venu, particulièrement en matière de thrillers (Klute, The Parallax View, All The President's Men)

Pourtant, pour qui a d'abord lu le roman de Scott Turow, cette adaptation cinématographique reste un peu en-dessous de ce qu'on pouvait en attendre. Il faut dire que la commande était de taille, puisqu'il s'agissait de porter à l'écran le meilleur courtroom drama jamais écrit.

L'intrigue est bien là, pourtant. On ne l'a pas simplifiée pour les besoins de la cause. Le climat aussi, jusqu'à un certain point, s'y retrouve. De même que les intrigues politiques d'arrière-plan, qui jouent un rôle dans cette sombre histoire. Les rapports entre les personnages également : et notamment la relation entre Rusty Sabich et Carolyn Portehus : lui est fou amoureux; elle, de son côté, n'a couché avec lui que parce qu'elle croyait tenir le futur district attorney en chef…

Mais qu'est-ce qui ne vas pas, alors? Certes, il y a un problème narratif : d'une part, le passage de Rusty Sabich d'accusateur à accusé n'est pas bien amené, il survient trop vite. Ensuite, les preuves (écrasantes) qui semblent pointer sur lui volent en éclats trop facilement, le procès contre Sabich ne dure pas assez, ce qui enlève une part de suspense. Mais ce problème est relié, selon moi, à la véritable cause de ma déconvenue : réflexion faite, alors que tous les autres rôles sont parfaits, Harrison Ford n'était pas le bon choix pour jouer Rusty Sabich.

Ce n'est pas le talent – indéniable – de l'acteur qui est en cause ici, mais son IMAGE. Dans toute une série de films américains, Harrison Ford est « le bon » par antonomase : c'est un héros; il ne PEUT PAS être coupable. Mais Rusty Sabich, lui – qui est aussi le narrateur du roman – n'est pas un héros : c'est un personnage. Un personnage extraordinairement bien rendu, très sympathique jusque dans ses faiblesses; et tout au long de la lecture, on VEUT que ça ne soit pas lui qui ait fait ça à Carolyn Portehus; mais par moments, bon sang que ç'a l'air d'être lui; et l'extrême habileté de Turow est d'être capable de nous ramener encore à ce doute jusque dans les toutes dernières pages.

D'autant que tous ceux qui lui viennent en aide le croient coupable aussi! Comme son copain flic, qui a escamoté une preuve. Comme son avocat, qui sauve la tête de son client en usant subtilement d'un procédé dégueulasse, auquel on ne voit que du feu…

Mais Harrison Ford, on ne peut pas le soupçonner pas une seule seconde. Et c'est ça le principal problème de ce film. Du coup, l'intrigue s'en trouve affaiblie, la tension s'effrite; ce qui était extraordinaire dans le livre semble banal dans le film. On n'a jamais peur que Rusty Sabich, ce personnage qu'on aime tant, soit effectivement coupable. Et quand arrive la solution – car c'est aussi un excellent whodunit – c'est la même solution que dans le livre, et pourtant, c'est curieux, elle n'a pas la même force tragique.

Alors, croyez-moi, tous ceux qui sont restés sur leur faim en regardant ce film, si ce n'est déjà fait, faites-vous plaisir et lisez plutôt Présumé innocent, un grand roman policier qui est aussi un grand roman tout court, étincelant d'intelligence et de passion.

Arca1943


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De PM Jarriq, le 15 juillet 2004 à 10:31

Le talent "indéniable" de Harrison Ford ? Quitte à être sacrilège, je ne le trouve pas si indéniable que ça… S'il est irremplaçable en Indiana Jones, il faut beaucoup d'indulgence pour valider son interprétation grimaçante dans "Blade runner" où il est écrabouillé par Rutger Hauer, comme Tommy Lee Jones l'éclipsera dans "Le fugitif", son manque de crédibilité en méchant dans "Apparences", son pénible numéro à la Rain Man dans "Regarding Henry" ou ses prestations empotées dans "Working girl" ou "Sabrina".

Acteur plus que limité (comme le furent la plupart des comédiens populaires de film d'action), Ford a parfois fait mouche (il est sympathique dans le médiocre "Six jours, sept nuits"), mais son jeu est répétitif manque presque toujours de profondeur et il a fallu le génie de Spielberg pour le canaliser parfaitement.


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De Arca1943, le 15 juillet 2004 à 10:56
Note du film : 3/6

Comme vous y allez ! Mais le principe reste le même. Admettons que le talent de M. Ford ne soit pas indéniable, le problème dont je parle n'est pas lié au jeu du comédien, mais plutôt au "système" d'Hollywood, qui est (presque) toujours en difficulté quand il faut, au centre du film, un personnage plutôt qu'un héros. En un sens, la littérature américaine est plus libre que le cinéma américain…


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De Arca1943, le 23 février 2012 à 18:59
Note du film : 3/6

« A propos du "personnage", selon l'expression d'Arca, peut-être faudrait-il établir un parallèle entre Présumé innocent et Sens unique dans lequel Costner réussit à jouer sur une ambiguïté efficace et crédible jusqu'au dernier instant. »

Ce film est repassé récemment à la télé d'ici et en effet, c'est un très bon exemple de ce qu'il aurait fallu obtenir pour remplumer ce Presumed Innocent. Un casting parfait pour l'assistant district attorney Rusty Sabich, à l'époque, c'eût été Michael Douglas : acteur doté d'un réel don de sympathie (et ça, Ford en dispose aussi) mais capable aussi, en revanche, de rester ambigu à la Richard Widmark. Le même film – ou presque – mais avec cet acteur plutôt que Ford, aurait, je crois, pu rendre justice (pardon, j'ai la manie des calembours) au superbe thriller légal de Turow.

Mais pourquoi cette réponse tardive à AlHolg ? Eh bien, histoire de fêter ça, vu que Scott Turow vient de publier un sequel de son roman, intitulé Innocent ! Ça alors, Rusty Sabich est de retour ! Évidemment, j'ai un peu peur de ce que je vais trouver, mais pour me calmer, je me dis que ça ne peut quand même pas être aussi pire que le stupide et grotesque sequel de Marathon Man que commit jadis William Goldman (heureusement jamais porté à l'écran ! le sort nous en préserve !)


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