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Sujet : Un Carné trop sous-estimé


De leo, le 8 juillet 2004 à 01:30

Voila un film qui à mon avis est très sous-estimé par la critique. Il s'agit la d'une excellente adaptation de Simenon dont "l'atmosphère" a été captée de façon remarquable. Le film par son sujet ou plutôt son "absence de sujet" rend compte de la manière du romancier qui privilégie le quotidien gris au spectaculaire dramatique, habituel au roman psychologique. Carné a bien compris et a su adapter cet aspect là. D'une certaine façon, et n'en déplaisent à certains critiques, le film s'inscrit dans une modernité qui verra naître – ô sacrilège pour le rapprochement! – une certaine nouvelle vague.

Ce film respire ,les extérieurs dominants sont radieux de lumière et de contrastes magnifiques. Merveilleux Louis Page! Une leçon d'éclairage et de photo!

Ce film a une profonde puissance évocatrice dans la façon dont sont "tournées" certaines scènes (l'enterrement, le bistrot, la brasserie de Cherbourg… ) et la justesse des dialogues participent à cet enracinement du film dans le subconscient de toute une époque -les années cinquante-.

Que dire des acteurs ? Gabin est inattendu. Après l' éclipse de la guerre,il nous revient sur les écrans dans un rôle de… cocu ! Il prend là de sacrés risques et il s'impose avec l'autorité qu'on lui connaitra par la suite dans ce genre de personnage ; On comprend pourtant que critiques et spectateurs de l'époque aient été pour le moins dépités ! Ce qui ne portera guère de chance au film à sa sortie.

Nicole Courcel est superbe dans le rôle de la manipulatrice passive. Ce visage d'ange mais ce regard obstiné ne laisse pas de nous poursuivre longtemps après le film.

Et Blanchette Brunoy, image même de la femme de ces années là, joue aussi à contre-emploi le personnage d'une "garce"de province. Elle que l'on a vu si édifiante dans de nombreux films. La séquence où elle se prélasse dans le lit conjugal déserté par Gabin qui se fait une beauté dans la glace est digne de figurer, au même titre que la scène de la piqure des Orgueilleux au Panthéon de l'érotisme au ciné

  

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De Impétueux, le 23 janvier 2006 à 18:17
Note du film : 5/6

Je rejoins tout à fait votre analyse : même si je n'ai pas pour Carné la passion dévorante qu'ont certains, c'est tout de même, y compris dans ses films mineurs, un cinéaste d'une immense qualité et son talent ne s'est pas évanoui lorsque sa collaboration avec Prévert a pris fin.

Vous avez raison : les personnages à contre-emploi ne sont pas si fréquents dans les films d'après-guerre du cinéma français (ont-ils, d'ailleurs, été nombreux à un moment donné !) pour ne pas avoir un grand plaisir et un réel intérêt à ce film-là !


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De gigi2, le 26 juin 2007 à 01:33

Et que dire du personnage interpreté par Blanchette Brunoy ? D'une sensualité troublante (scene du lit où elle prolonge d'une manière gourmande sa grasse matinée….)je vous y renvoie, il y a là un moment de cinéma rare qui nous plonge soudain dans une grande rêverie.


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De Impétueux, le 1er janvier 2014 à 17:58
Note du film : 5/6

Après revisionnage cette après-midi, mon impression sur ce film mésestimé de Carné s'améliore encore et je suis pas loin de le mettre aux premiers rangs (avec Thérèse Raquin) de sa carrière d'après-guerre ; Prévert n'est plus là, même s'il a, paraît-il rédigé une partie des dialogues, mais Kosma l'est encore, et la musique est superbe. L'intrigue, de Simenon, toujours subtile et prenante et le film est presque absolument fidèle au roman. De toute façon, à quelques exceptions prés, le Liégeois est toujours moins trahi lorsque est adapté un de ses livres sans intrigue criminelle plutôt que dans ses Maigret ou ses policiers, qui tournent facilement à la simple résolution de l'énigme, ce qui n'est pas son propos et son génie.

Le père Le Flem, veuf et père de cinq enfants, vient de mourir. Sa fille aînée, Odile (Blanchette Brunoy) est la maîtresse d'Henri Châtelard (Jean Gabin) opulent cafetier de Cherbourg. La deuxième, Marie (Nicole Courcel) est à l'âge où les fille s'émancipent et a pour petit ami le jeune coiffeur Marcel (Claude Romain), fils du père Viaud (Julien Carette), ancien marin alcoolique.

Les scènes initiales de La Marie du Port sont magnifiques ; on ressent très fort en suivant l'enterrement et en visitant les rues de Port-en-Bessin la pertinence du mot de Mauriac : Une ville de province, c'est un désert sans solitude. Et puis des images du passé : les commères qui cancanent devant la maison mortuaire, le prêtre et les enfants de chœur en noir avec les surplis blancs qui psalmodient l'office des morts, la procession dans les rues où les rares passants se découvrent pour saluer… Et encore la répartition des orphelins entre les oncles et tantes qui se disputent ceux qui sont les plus grands et les plus forts parce qu'ils pourront gagner leur pain et aider aux travaux de la ferme : il n'y a pas beaucoup de différence entre le monde minier de Germinal, en 1860 et celui de la Normandie paysanne près d'un siècle plus tard.

Châtelard/Gabin est un mâle dominant, jouisseur, qui n'a pas l’habitude que des femmes lui résistent. Odile/Blanchette Brunoy est une maîtresse décorative, mais molle, qui rêve de quitter les grisailles de la Manche pour l'éclat de Paris ; elle s'ennuie, traîne au lit, ferme les yeux sur les passades de son amant qui s'est d'ailleurs lassé d'elle. Et même quand celui-ci commencera à tourner les yeux vers sa jeune sœur Marie, elle n'y verra pas une trahison, simplement un ennui.

La Marie du port est un film gris, et même assez dur. C'est un film où personne ne s'aime et où personne n'aime vraiment personne. Châtelard finira par épouser Marie, parce que le mariage est le seul moyen pour qu'il la possède et elle se fait épouser parce que Châtelard lui donnera le confort, l'argent et la respectabilité. Le jeune Marcel se consolera de la désaffection de Marie en couchant avec Odile et en s'embarquant sur un paquebot. Odile laissera son ancien amant et sa sœur à leurs affaires en partant pour Paris où elle entamera sans doute une carrière de gourgandine. Rien de joli, joli.

La distribution du film est impeccable ; on redécouvre Blanchette Brunoy (que Gabin retrouvera quelques années plus tard, dans Le baron de l'écluse dans un rôle plus traditionnel) et le charme vénéneux de Nicole Courcel. Seul Carette en fait vraiment un peu trop.

Et puis il y a des tas de ces seconds rôles si importants dans le cinéma français de jadis : un simple regard en coin de Gabrielle Fontan suffit à prouver son grand talent, Louis Seigner, Olivier Hussenot, René Blancard, Jean Clarieux donnent de la couleur et de la verve et, pour une fois, Jane Marken n'interprète pas une mégère, mais une brave femme. Le fait est assez rare pour être signalé !


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De vincentp, le 17 février 2014 à 23:33
Note du film : 4/6


4,5/6. Intéressant pour l'ambiance de petite ville et son descriptif quasi-documentaire de la vie sur les côtes porturaires de Normandie en 1950. Les acteurs ou actrices sont sans doute inégaux, certaines séquences un peu datées (les rencontres de Marie et de son fiancé, par exemple), mais il s'agit d'une étude psychologique globalement de qualité, menée avec finesse. J'ai surtout apprécié la deuxième partie du film, et le jeu de Jean Gabin, très performant, dans la peau d'un personnage ambigu.

Les motivations des deux personnages principaux, difficiles à cerner, nourrissent l'intrigue et sollicitent le spectateur : agissent-il par ambition, par esprit d'entreprise ou pour des raisons affectives ? Cet aspect indéfinissable, lié aux deux personnages principaux, est très bien traité par la mise en scène de Marcel Carné, et moderne. Ce récit prend l'allure d'une subtile parabole sur la condition humaine. Le dernier quart d'heure de La Marie du port est très réussi, et porte l'empreinte d'un cinéaste de talent.


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