Forum - Un Barrage contre le Pacifique - Huppert excellente dans une adaptation correcte
Accueil
Forum : Un Barrage contre le Pacifique

Sujet : Huppert excellente dans une adaptation correcte


De Arca1943, le 11 octobre 2010 à 16:04
Note du film : 4/6

J'avais vraiment été pris par le très beau roman de la jeune Marguerite Duras (très lisible par le commun des mortels, longtemps disponible dans la collection J'ai lu), et je ne peux pas vraiment dire que cette adaptation m'ait pareillement emporté. Elle ne manque pas de qualités, pourtant ; les deux principales étant l'interprétation convaincue d'Isabelle Huppert et le fait que c'est un film de là-bas (quoique coproduit avec la France), donc ce n'est pas la France d'aujourd'hui qui jette un regard sur la France coloniale mais plutôt un réalisateur de l'ex-"Indochine" qui filme ce trio de Français.

Il y a madame Dufresne (Huppert), veuve d'un fonctionnaire colonial, et ses deux enfants, Joseph (19 ans) et Suzanne (17 ans). Et le point de départ d'Un Barrage contre le Pacifique, c'est l'incurie / la malhonnêteté administrative : les autorités du cadastre ont accordé à madame Dufresne un lot incultivable, car l'océan y déborde presque chaque année, lors des fortes marées de décembre. D'où le titre : pour sauver la récolte de riz, il faut construire une digue résistant aux marées.

Ce qui est intéressant d'un point de vue historique et humain, c'est que les Dufresne ont beau être des "coloniaux", ils sont logés à la même enseigne que les paysans du lieu, c'est-à-dire dans la mouise jusqu'au cou. Les paysans travaillent sur ces terres depuis des siècles, de père en fils et de mère en fille, sauf qu'évidemment ils n'ont pas pensé à lotir leur terrain auprès du cadastre lorsque sont arrivés les Français : d'où expulsions massives et reprise par l'envahisseur, qui redistribue ensuite les terrains ainsi "conquis", si l'on peut dire, à ses ressortissants – comme les Dufresne ; sauf que les Dufresne se sont fait fourguer un lot pourri par les fonctionnaires coloniaux. Alors la mère va faire aux paysans du lieu un discours incendiaire contre les autorités du cadastre… qui répliqueront en déportant les paysans.

L'image est magnifique, ça donne envie de rappliquer au Cambodge. Le cadre naturel est bien exploité, on sent la mer et le sel. La reconstitution d'époque est crédible, le travail de la caméra discret et compétent. En outre, au risque de me répéter, le rôle de la mère est taillé sur mesure pour Isabelle Huppert, qui lui fait un sort mémorable. Elle réussit même à faire passer la folie du personnage alors que le scénario (et c'est là que je décroche) tend à la gommer un peu pour en faire surtout une mère courage. (Alors que pour vouloir construire un barrage contre le Pacifique, il faut vraiment être cinglée.) Des deux enfants, le Joseph campé par Gaspard Ulliel est une réussite, mais Suzanne m'apparaît un peu nunuche pour une fille des tropiques, même vierge. Elle a tout le temps l'air d'une biche effarouchée, alors que "ma" Suzanne à moi (celle du livre, que j'ai lu adolescent) était un mélange plus complexe d'ingénuité et d'ardeur.

Il manque quelque chose pour faire "décoller" ce film. La main des scénaristes aurait-elle tremblé à l'idée d'adapter la très célèbre Marguerite Duras ? Toujours est-il que l'intrigue tombe un peu à plat, la progression dramatique me semble poussive. Ça sent l'application, mais aussi, je dirais que ça manque d'agriculture. Le combat de la mère pour faire pousser trois grains de riz sur sa terre menacée par l'océan est un combat acharné, qui la dévore ; or on ne voit pas vraiment ça à l'écran, même si on le lit sur le visage de Huppert. D'ailleurs on ne voit pas céder le fameux barrage (oui, bon, c'est vrai : j'aime le cinéma-spectacle, je suis un faux cinéphile). Toute à sa réussite culturelle d'avoir su camper des Français crédibles, la mise en scène est surtout concentrée sur les rapports entre les trois personnages… au détriment de l'action.

Je ne me suis pas ennuyé – ce qui est tout de même l'essentiel – mais je n'ai pas vibré. Quand la mère envoie sa dernière lettre aux gens du cadastre, lettre toute tremblante de haine et de colère, je ne me suis pas du tout senti happé comme je l'étais en lisant le Barrage, je ne me suis pas dit en jubilant ah mes salauds c'est une folle mais vous allez entendre vos quatre vérités : parce que cette fameuse lettre, qui était un peu comme le clou du roman, arrivait au bout d'une intense progression dramatique qui ici fait défaut.


Répondre

Installez Firefox
Accueil - Version bas débit

Page générée en 0.0029 s. - 5 requêtes effectuées

Si vous souhaitez compléter ou corriger cette page, vous pouvez nous contacter