Certains écrivains choisissent d'écrire des histoires de manière fort classique, certains metteurs en scène choisissent d'adapter leurs romans par un traitement tout aussi conventionnel ; leur talent serait-il dès lors seulement limité à la capacité de remplir les attentes d'un public de masse ?

Cela ne nous semble pas être le cas ici. Certainement le récit aussi bien que la réalisation nous paraît répondre parfaitement aux attentes du public venu voir un drame romantique sur fond de Chine et de choléra. Cependant ne serait-on pas trompé par le voile d'un somptueux classicisme en pensant que le propos (et donc la motivation) de tous les auteurs du film consiste en cela ? Ce film nous semble porter de par son élégance et son sens de la mesure la marque reconnaissable d'une grande intelligence.

Quel est donc le propos du film si son but n'était pas simplement de combler des attentes en respectant au mieux des conventions ? Le film-annonce (que nous avons eu la chance de ne découvrir qu'après le film lui-même) nous en dit quelque chose : "et si le plus grand des voyages était celui qui rejoint deux êtres… ?" (traduction personnelle et libre du trailer en langue originale).

Que les personnages atteignent peu à peu une vraie maturité sentimentale et spirituelle au cours d'un film, ce n'est pas si courant. En dehors des écrans non plus. Il y a une maturation sensible des personnages au cours de leur aventure, qui touche à la perception de l'autre comme être entier, riche et complexe, affrontant des questions de responsabilité, de devoir, d'exposition au danger, d'aide, de soutien. La question de l'amour si ténuement posée au début du récit a pris tout à coup une envergure inattendue. Si beaucoup de films touchent aux mêmes questions, peu leur donnent un poids réel, c'est-à-dire un poids qui provient moins d'une emphase stylistique que d'un souci de connaître mieux comment nous pouvons être. Quelqu'un qui se confronte psychologiquement à de telles questions sentira que les auteurs de ce film n'ont pas cherché à les résoudre artificieusement.

Au fond le risque que l'on peut courir en tant que cinéphile en jugeant ce film d'un peu haut est de n'avoir pas bien su en lire le titre.

Votre chronique persuasive me donne certainement l'envie de voir ce film, cependant je persiste à ne pas comprendre ce qu'il peut y avoir de si honteux, de si bas dans les fameuses attentes du soi-disant "public de masse". Je crois que de vouloir aller vers le public et se faire comprendre de lui est une vertu, non une tare.

Je suis bien d'accord. Je veux juste dire que certains auteurs et réalisateurs dépassent largement cela ; ils font une oeuvre qui non seulement plait au public, mais aussi compte pour eux-mêmes et pour certains spectateurs particulièrement sensibles à leur propos et à leur talent.