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Forum : Voyage en Italie

Sujet : Film d'auteur


De Arca1943, le 11 février 2008 à 23:54

Je n'ai jamais vu ce Rossellini, mais je sens que ça va venir. Et notons au générique la présence d'un grand écrivain et scénariste (aussi doué pour la littérature que pour le cinéma, ce qui est rare) : l'amer Vitaliano Brancati, à qui on doit notamment le scénario du célèbre Années difficiles de Zampa.


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De Jubowski, le 28 décembre 2008 à 19:29

Avec "Voyage en Italie", ce sont carrément deux stars hollywoodiennes, quel décalage!, que Roberto Rossellini entraîne vers la torpeur pittoresque de la Campanie. Ingrid Bergman et Georges Sanders semblent réconciliés après s'être affrontés dans Les Enchaînés d'Alfred Hitchcock.

Ici, il serait plus pertinent de nommer ce nouveau couple: les Déchaînés, car le réel n'a plus de prise sur eux. Rossellini a conçu ses personnages comme représentants de la bourgeoisie anglaise, avec toute la retenue, et la froideur exacerbée (cet oxymore n'en a que l'apparence…) de rigueur. Pire: ils ne ressemblent même plus à un couple; murés dans le silence de leurs émotions, ils s'ignorent. Au-delà de la pudeur des deux protagonistes, Roberto Rossellini met leur sexe à nu. Comprenons-nous bien, il s'agit moins d'une pornographie que d'une autopsie, l'autopsie des sentiments composant chacun des éléments de ce couple qui n'arrive pas à communiquer.

Avec une caméra utilisée sobrement, le réalisateur italien se tient lui-même à distance de ses personnages. Ne reste alors que le merveilleux jeu modulé d'Ingrid Bergman, et encore plus celui de George Sanders, bloc monolithique imposant de vanité et de cynisme. Le travail de la caméra consiste ici à séparer le plus possible chacun des éléments du couple, à filmer les réactions précises de l'autre en face-à-face toujours distant. Cette distance de la distance ne rend-il pas le film trop froid? Bien au contraire, n'oublions pas les règles élémentaires des mathématiques: moins et moins égalent plus. Car l'analyse de la psychologie féminine et masculine est poussée à un tel degré de finesse qu'on ne peut qu'entrer dans une profonde empathie envers les deux personnages qui forment le couple.

On peut alors se demander quelle importance réelle prend l'attention portée à la Campanie, décor rêvé pour voyageurs anglais effectuant leur "Grand Tour". Si les visites touristiques éclairent de métaphores subtiles le ressenti des protagonistes, elles sont aussi la mise en évidence d'une nouvelle distance. Distance narcissique face à ces nouveaux habitants aux mœurs singulières et incomprises. A cet égard, les prises de vue en mode subjectif ne sont qu'images d'une nature ou d'une vie lointaine ou tout simplement de mort, où toute possibilité de communication est coupée. Distance qui amène à mesurer, dans cette contrée étrangère, l'immensité de la solitude des deux personnages qui ont nécessairement besoin de l'autre moitié du couple pour survivre. La nécessité, un synonyme de l'amour? Pessimiste, le regard du film semble s'éclaircir à son terme, pourtant, il demeure comme un goût de désillusion, et le happy-end hollywoodien se teinte subrepticement de la vague amertume qui accompagne toujours la révélation des plus évidentes vérités.


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De Impétueux, le 21 février 2010 à 00:09
Note du film : 5/6

Analyse pleine de pertinence d'un film élaboré, réfléchi, d'une infinie finesse, où les blessures intimes sont mises à nu sans dramatisation, ni éclats de voix, mais avec une sévère rigueur, une clarté nue à la fois élégante et réaliste…

Ce couple de bourgeois tristes, sans flamme, ni avenir, ni passé (sait-on quoi que ce soit sur ce qui les a réunis ?), sans souci et sans enfant vit de faux-semblants et de vergognes ; couple gêné de se trouver en tête-à-tête, d'autant plus qu'il est sans repères, en voyage, en voyage à l'étranger, et dans un étranger étrange, qui plus est : les découvertes des singularités de Naples et de sa région entreprises par Katherine (Ingrid Bergman), le côté presque documentaire de ses émerveillements devant les échos de l'antre de la Sibylle, devant les solfatares du Vésuve, devant les témoignages de la piété naïve des habitants, devant, d'ailleurs, les visages napolitains filmés presque brutalement, sont autant de raisons de la remise en question d'un couple ronronnant, et d'apparence indifférente.

Gêne mutuelle couplée à un attachement d'une grande force, qui n'est pas que de la jalousie, mais bien plutôt l'infinie tristesse de ne pas savoir, de ne pas parvenir à parler ; et lorsque Katherine et Alex (George Sanders) se parlent, c'est davantage l'écume de leur frustration qui apparait que de vrais reproches…

Le récit est très habilement présenté. On y découvre graduellement, et au delà d'un couple qui, d'apparence, s'exaspère, au milieu de comparses qui ne vont jamais vraiment interférer sur leur vie (j'excepte, bien sûr, la brève aventure rêvée, purement virtuelle, qu'Alex, à Capri, pense qu'il pourrait avoir avec Maria – Maria Mauban -), et sans qu'il y ait d'intrigue autre qu'adjacente (le projet de vente d'une magnifique villa héritée d'un oncle mort), on y découvre donc, la nudité de sentiments mis au devant par le voyage, au fur et à mesure de l'ancrage du temps.

Roberto Rossellini filme, en 1953, avec une attention particulière Ingrid Bergman, avec qui il était marié depuis 1950 ; rien ne peut laisser penser que leur histoire amoureuse puisse ici affleurer, même si le couple se sépara en 1957 ; il est singulier de constater que Voyage en Italie, à l'exception de l'épisode de Capri, se déroule prioritairement sous l'éclairage féminin, les monologues explicatifs étant ceux de la seule Katherine, l'attitude et les sentiments d'Alex surgissant alors de façon plus vive lors des conversations du couple…

Absence de psychologisme à deux balles, subtilité et nuances : un grand film !


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De vincentp, le 7 juin 2022 à 21:17
Note du film : Chef-d'Oeuvre


Découvert en dvd il y a vingt ans (et visionné alors sur un PC portable), revu ce soir sur grand écran au sein du cinéma de ma commune, en copie numérique restaurée 2K (avec un public fourni). Evidemment, rien à voir entre les deux. Rossellini nous présente l'Italie telle qu'elle est doit être appréhendée par des visiteurs. Un pays doté d'une culture millénaire, qui a produit le meilleur (les arts, les cités organisées) avec parfois le pire (des dictateurs fous comme Tibère ou Néron). Un pays de bonne chère (mets raffinés, vins) qu'il faut apprécier. Apprécier aussi la beauté et le caractère grandiose de la nature autour de Naples (Capri, le Vésuve), façonnée en partie par l'homme, en partie par des forces mystérieuses (la fameuse "ionisation"). Savoir s'amuser, et y profiter de la vie qui est "courte" nous explique le personnage masculin. Créer une famille, et avoir des enfants (c'est le regret du personnage féminin).

Respecter les classes populaires (Rossellini ne s'identifie pas à celles-ci), les encadrer par des institutions bienveillantes (les policiers gèrent la circulation de la foule), respecter la religion (signe de croix en entrant dans un lieu sacré). Gérer de façon pragmatique les relations humaines et sentimentales, en acceptant les différences homme-femme de rationalité, ou de confort matériel (voiture). Tout ceci déroulé à hauteur d'hommes et de femmes, marque de fabrique du cinéaste. Une histoire simple, avec de l'émotion simple. En 85 minutes, on va à l'essentiel. On peut rester indifférent à ce type de cinéma, on peut le trouver austère, mais on peut aussi émettre l'avis que Rossellini fait partie du cénacle des très grands cinéastes, dont l'œuvre va traverser les époques. Elle apporte une valeur ajoutée à la civilisation, par le décryptage des mécanismes de notre univers, et les clés mises à notre disposition pour en maitriser les ressorts.


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