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Forum : Jugement à Nuremberg

Sujet : Critique


De dumbledore, le 29 avril 2004 à 10:07
Note du film : 5/6

"You know, there's one thing about Americans. We're not cut out to be occupiers. We're new at it and we're not very good at it."

Pendant presque un an, de novembre 1945 au premier octobre 1946, se tient à Nuremberg le procès de 24 Allemands devant un tribunal international militaire. Ces 24 hommes sont des militaires, des ministres, des décisionnaires de l'Allemagne nazie. Ce que l'on sait moins, c'est que les procès continueront jusqu'en 1949 mais uniquement sous l'égide des Etats-Unis qui poursuivront 177 autres intervenants moins centraux du Nazisme, mais également des collaborateurs au régime. 24 seront condamnés à mort, 35 acquittés et le reste condamnés à de la prison avant d'être graciés en 1956.

La très bonne idée de Jugement à Nuremberg est de n'avoir pas traité le premier procès, le procès le plus connu, le plus retentissant… mais aussi le plus facile. Le plus facile car il est évident (de nos jours en tout cas) que les accusés étaient coupables. Ils savaient, ils avaient mis en place, chacun à leur échelle, le système nazi. Faire un film sur le sujet, c'était faire un film sans surprise sur le dénouement, sans réel intérêt non plus sur les motivations des uns et des autres. C'était faire un film entérinant l'envie de vengeance face à un des plus horribles comportements sociaux et humains qu'ait connus l'Histoire récente.

Jugement à Nuremberg préfère s'attarder sur un procès secondaire, tardif. Cela permet d'abord de poser des questions comme : "A quoi servent ces procès maintenant que l'attention est retombée, à quoi bon juger ceux-là (4 juges) plutôt que d'autres ?" ; "Quand commence la participation au nazisme ?". De plus, les accusés étant des juges, cela permet de faire un procès sur des faiseurs de procès, c'est finalement une mise en abîme. Des juges jugent des juges.

]Au centre du dispositif scénaristique, on a les personnages américains : Richard Wydmark dans le rôle du procureur Lawson, Spencer Tracy dans celui du juge Haywood. Ils forment une paire classique : l'un est virulent, réagissant impulsivement, alors que l'autre est troublé, s'identifiant finalement aux accusés. Le corps d'un côté, l'esprit de l'autre. Le trouble du juge Haywood est passionnant. Les juges sont là pour appliquer des lois, et non pour les faire. De nouveau où doit se situer la "réaction" aux lois, à la société. Quand – à partir de quelle limite – doit on dire non. Lui-même, dans son propre quotidien, aurait pu se poser la question? Qu'aurait-il fait à leurs places?

Du côté allemand, on a deux personnages encore plus forts que les Américains. D'abord, l'avocat joué admirablement par Maximilian Schell, et surtout le personnage de Ernst Janning joué par Burt Lancaster. C'est lui finalement qui tient tout le film sur un jeu… inexistant. Ernst Jannng est un ministre de la justice, il a publié de nombreux livres brillants sur la justice. Il est même un idéaliste. Alors, comment a-t-il pu basculer dans la collaboration nazie ? Cette question court durant tout le procès, durant tout le film, et incarne magnifiquement le thème du film. On n'est pas dans le débat de savoir s'ils seront condamnés ou non, mais dans un débat plus intéressant : comment fait-on pour ne rien faire ? Comment devient-on une partie active d'une institution fasciste ? Le personnage est magnifiquement campé car il est là mais ne dit rien, refuse de parler durant le procès, semble différent des autres juges accusés. Il est mystérieux, on a envie de savoir son secret et il nous permet de tenir plus de 3 heures de film sur son mutisme et notre envie d'en savoir plus sur lui.

Jugement à Nuremberg est une très bonne surprise. On aurait pu s'attendre (vu notamment son casting international, presque consensuel) à un film de propagande, facile, qui n'enfoncerait que des portes ouvertes. Ce n'est pas le cas. Il y a certes certains passages obligés, pédagogiques, comme la scène où l'on montre les camps et les horreurs, mais l'essentiel est ailleurs, dans des personnages compliqués, complexes. Finalement, ce que montre le film, c'est la théorie de la grenouille et de l'eau brûlante. Plongez une grenouille dans de l'eau bouillante, elle s'agite et sort tout de suite de l'eau. Mettez-là dans de l'eau froide que vous portez lentement à ébullition et elle se laisser mourir.

La mise en scène est somptueuse, avec de très beaux mouvements de caméra (les plans circulaires notamment) et une grâce visuelle. A noter que le film tourné en anglais rencontre un problème de taille : la langue. Le procès se passe en Allemagne, avec des accusés allemands, des avocats allemands et des juges et procureurs américains. Un système de traduction a été utilisé et les images des intervenants avec des casques sur la tête sont devenus célèbres. Le film tente de respecter cela, seulement, la traduction prend du temps (celui de dire dans une langue, se faire traduire, répondre, et retraduire ensuite). D'un côté, le film dans son souci "réaliste" ne peut renoncer à cette traduction et à cette barrière des langues. Mais en même temps, il ne peut pas l'assumer. Stanley Kramer recourt à un procédé, tout aussi osé qu'étonnant. Lors de la première longue prise de parole en allemand de l'avocat de la défense, il fait un long travelling latéral sur les traducteurs, les franchit d'un mouvement de grue, et zoome sur l'avocat qui parle alors en anglais. Etonnamment, on retrouvera un procédé similaire dans A la poursuite d'Octobre Rouge.

Cependant le problème n'est pas vraiment réglé et gâche même un peu le déroulement du film. Chaque fois en effet que l'avocat allemand intervient, coupe la parole de l'accusation, on voit les Américains se précipiter sur les casques alors que l'avocat parle anglais ! L'effet n'est pas du plus judicieux et empêche un peu d'entrer totalement dans le film.


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De droudrou, le 29 juin 2006 à 09:10
Note du film : 6/6

Yes ! Les américains coiffent leurs écouteurs/traducteurs. Mais était-il possible de faire autrement ?

Ce que je suis néanmoins surpris c'est de noter que quand j'ai vu ce film pour la première fois en salle de cinéma, nous étions 9 personnes dans la salle… Or, l'an dernier, un DVD a été proposé par Le Nouvel Observateur et a connu une bonne diffusion. Les gens redécouvrent ce film intéressant en diable. Et cette interprêtation de Spencer Tracy Richard Widmark Burt Lancaster Maximilian Schell est extraordinaire. La "g…." de Burt Lancaster.


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De PM Jarriq, le 27 février 2009 à 10:24
Note du film : 5/6

Tout à fait en harmonie avec les notules ci-dessus. Je voulais juste ajouter ma surprise, au vu de la subtilité de ce film, dû à Stanley Kramer, qu'on a si souvent accusé de chausser ses godillots plombés, pour asséner ses messages.


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De Arca1943, le 28 février 2009 à 13:59

« …la subtilité de ce film, dû à Stanley Kramer, qu'on a si souvent accusé de chausser ses godillots plombés. »

J'avoue la honteuse vérité : si je n'ai jamais vu ce film, c'est très précisément parce qu'il était de Stanley Kramer (auteur par exemple du très, très godillots-plombés Inherit the Wind) et par conséquent, d'après mes calculs, c'était censé être un film où on enfonce des portes ouvertes à la hache. Kramer, me disais-je, sera meilleur quand il n'aura pas de "grand sujet à thèse", comme pour Oklahoma Crude ou l'excellent film pour enfants Bless the Beasts and Children. Eh bien, tout indique que j'avais tort ! Je me couvre la tête de cendres, je me flagelle, pire: je m'adosse à des actifs non bancaires… Et je vais donc remuer ciel et terre pour mettre la main sur ce Jugement à Nuremberg !


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