Devenu l'heureux propriétaire, grâce à mon inestimable agent dans la Zone 2, d'un Coffret Zatoichi Vol. 1 qui réunit les six films de la série réalisés par Kenji Misumi, je suis passé sans transition du premier épisode historique à ce Zatoichi : Le shogun de l'ombre dont on m'a dit tant de bien – avec raison !

Ces chambaras avec Shintaro Katsu constituent décidément un divertissement de grande classe. (J'en ai vu aussi des moins fulgurants : car ce que nous avons surtout, ici dans la Zone 1, ce sont les épisodes tournés pour la télévision en 1974-75, seulement avec sous-titres anglais bien sûr. C'est bien aussi, pour de la télé c'est même très bien, mais ça n'a pas la même allure que du cinéma.) Du point de vue du scénario, le coup de génie de cet épisode est que le chef yakuza qu'on surnomme le Shogun de l'ombre est tout aussi aveugle que notre héros ; et il est incarné par le vétéran Masayuki Mori, qui livre une forte interprétation. Kenji Misumi fait montre ici d'une même qualité fondamentale que j'ai découverte pour la première fois dans l'inestimable Kiru : il aime ça court. Le succint, le compact au cinéma, ça m'a toujours plu et Misumi me semble vraiment un as en ce domaine : trouver la scène évocatrice, éloquente, qui dit tout en peu de temps et permet chaque fois de nous sauver des dialogues de trop, des longues explications, et aussi d'enchaîner (avec élégance) la situation suivante comme une perle sur un fil.

Et qui permet aussi d'en mettre plus dans un seul film. Il y a ici plusieurs récits emboîtés – l'histoire de Zatoichi qui porte secours à la dame vendue à l'encan telle une chèvre, celle du jeune would-be-yakuza incarné par l'androgyne Peter qui veut "devenir un homme" mais n'a pas l'air de trop savoir en cela consiste vraiment, celle de la confrontation entre Zatoichi et des boss yakuza qui n'ont vraiment pas l'air à cheval sur leur propre règlement, et bien sûr la présence fantômatique de ce rônin à la jalousie pathologique, décidé à éliminer quiconque a approché sa femme, même celui qui ne peut la voir puisqu'il est aveugle ! Tous ces fils sont entrecroisés, noués et dénoués avec une main très sûre; les tueries au sabre se multiplient mais toujours selon les nécessités internes de l'intrigue; et tout cela nous mène au climax tant attendu : un duel au sommet entre Shintaro Katsu et Tatsuya Nakadai ! Que demander de plus ?

J'avais commencé ce film, mais j'avoue que le jeu perpétuellement survolté et gueulard de Katsu m'a toujours un peu gêné, et rapidement découragé. Vos messages m'incitent à m'y remettre…

Intéressant. Je me suis tout naturellement habitué au jeu particulier de Katsu en regardant les quelques épisodes de la série télé (avec sous-titres anglais seulement) qu'on trouve, ô surprise, au club vidéo de mon quartier. Pendant longtemps je n'ai pas vu Shintaro Katsu jouer autre chose, alors cette façon de jouer, je n'arrive pas à la distinguer du personnage. Sa façon de courir en canard, de rire souvent comme s'il voulait s'excuser d'être là, d'avoir des gestes de pantomime, certaines choses qu'on pourrait considérer comme des maniérismes sont devenues pour moi indissociables du personnage du masseur aveugle. Et franchement, ça vaut la peine de s'y faire !