…ou à tout le moins, un livre, un très grand livre, Silence, par Shusaku Endo, qui est avec Bernanos, Graham Greene et Heinrich Böll un des très grands romanciers catholiques du XXème siècle. C'est l'histoire, située au XVIIème siècle, de deux jésuites portugais qui arrivent au pays du Soleil levant pour évangéliser les Japonais au moment précis où le nouveau Shogun, renversant la politique suivie jusque-là, se lance dans la répression du christianisme.

Je ne doute pas que monsieur Shinoda (Fleur pâle, La Guerre des espions) en a tiré un bon film. Par ailleurs, on nous en annonce un remake dirigé par Martin Scorsese.

Ah, ben tiens, j'avais déjà voté ! N'empêche, pour la sortie de la nouvelle adaptation de Silence, rappelons l'existence de celle-ci, que je n'ai toujours pas vue, étant donné que ce film (avec Tetsuro Tanba et Shima Iwashita) n'est pas exactement facile à dénicher en nos contrées.

Chinmoku (1971), adapté par Masahiro Shinoda, relate l'aventure bien connue des deux jésuites portugais tentant de relancer le christianisme au Japon au XVII° siècle, dans un contexte de persécution religieuse par les autorités publiques de l'époque, inquiètes par l'arrivée au même moment d'armes à feu. Cette adaptation cinématographique est d'une toute autre trempe que celle de Martin Scorsese en 2016. Finesse du scénario, et des dialogues, plaçant le sujet au milieu d'individus et de groupes très divers, penchant vers des rationalités différentes mais compréhensibles, loin de tout manichéisme. Bien sûr, le sujet n'a rien perdu de son actualité, les autochtones contemporains craignant particulièrement l'arrivée de dogmes ou de pratiques religieuses différentes des leurs, ceci sur tous les continents. Des problèmes d'identité en arrière-plan, mais aussi matériels avec souvent des ressources naturelles contingentées (quelques pauvres rizières alors sur les côtes du Japon).

La forme de Chinmoku, mise en scène et photographie, est de très grande qualité, associant trame dramatique relativement traditionnelle, et éléments surprenants, non conventionnels. La juxtaposition de deux bandes-sons différentes, cela dès l'entame, puis régulièrement, illustre ce point. Il y a aussi le regard perdu du protagoniste principal (le père Rodrigues) découvrant, fasciné, une terre étrangère, des couleurs, des mouvements naturels (la pluie, les vagues immenses) dont il ignore tout. Comme les hommes d'église débarquant épée à la main sur le continent américain dans Valhalla Rising (2009), le jésuite projette un regard à la fois fasciné et inquiet. Des images à la fois magnifiques et étranges, portant une vision d'une terre inconnue par des explorateurs, œuvrant à des fins morales, philosophiques, sociales, placés face à leurs propres limites mentales et physiques. In fine, cette adaptation de Shinoda est une très grande réussite, passionnante tant par le fond que par la forme.

Cette version japonaise dure 90 minutes de moins que la version de Scorsese de 2016, est plus sobre dans son déroulé, plus variée dans sa thématique. L'angle d'attaque est bien meilleur, et l'on a affaire à un film très intéressant sur un plan théologique, en particulier, avec des personnages crédibles. Le scénario est remarquablement bien écrit, pas un temps mort et un rebondissement ultime au bout de 2h05. Il y a des prouesses de mise en scène également. J'apprends dans les suppléments du dvd que l'écrivain Shusaku Endo -de Nagasaki- à l'origine du livre, a fait ses études à Lyon dans les années 1950 et connaissait bien la culture française.

Très belle initiative de l'éditeur Carlotta d'avoir réédité plusieurs titres de ce metteur en scène japonais, dont celui-ci.

A noter la présence dans Silence de Tetsurô Tanba, un des acteurs japonais qui a le plus tourné (344 contributions recensées sur notre site), et de Shima Iwashita (123 contributions recensées sur notre site), une actrice emblématique, qui a traversé les décennies à l'écran. Elle a 82 ans en 2023, étant née en 1941. Sa carrière s'étale de 1960 à 2016, soit une amplitude de 57 ans, ce qui est considérable.