Seriez vous capable de traverser une forêt en courant à toute allure avec un masque sur les yeux ? Si oui, vous aurez la chance de postuler à l’ultime épreuve pour déterminer si oui ou non vous êtes la personne la plus chanceuse au monde.

Tel est le principe ludique du film qui réussit le pari de faire un film fantastique sans aucun (ou presque) effet spécial, sans créer de monstre en tous cas ni mondes parallèles ou autre. Intacto transforme la « chance » terme tout à la fois commun, philosophique, et abstrait en réalité palpable, matérialisable et surtout incontournable. Un monde construit autour de cette référence permet de créer une ambiance très particulière que la mise en scène à la fois très sombre et très colorée exacerbe de manière à la fois subtile et osée.

Mais le film ne peut être réduit à cette accroche, à ce « truc ». Comme tout bon film le principe narratif est vite relayé par la force des personnages. On en compte quatre qui sont autant de facettes de la chance. Le roi d’abord, Max Von Sydow dont le château est un casino (évidemment). Il est l’homme le plus chanceux du monde, n’a jamais perdu. Depuis son passé dans un camp de concentration jusqu’à ces vieux jours. Montré comme un roc, assoiffé de pouvoir (se nourrissant de la chance des autres), on découvre finalement une toute autre facette, bien plus passionnante et troublante que ce qu’il affiche. On a ensuite Tomas, le prince destitué par le roi qui lui a retiré ses pouvoirs avant de le rejeter. Tomas n’a plus de chance, mais il a de l’ambition et il connaît les règles du jeu. Ensuite, deux prétendants qui se courent après, l’un est un trafiquant, survivant d’un crash aérien et poursuivit par une flic qui a eu elle-même la chance de se sortir, seule survivante, d’un accident de voiture qui coûta la vie de sa famille. Quatre personnages riches dans leurs caractères, mais surtout dans leurs motivations. On découvre au fil du film et par touches successifs leurs complexités, jusqu’à l’ultime affrontement d’une très grande beauté aussi bien scénaristique que de mise en scène (ou de mise en lumière pour être plus exact).

A l’inverse d’un Memento qui n’arrive pas à accéder à une thématique forte sur la mémoire, Intacto propose une belle réflexion sur la chance. Finalement, on découvre que de ces quatre personnages, aucun ne réussit à être heureux. Cette chance qui permet de gagner à tous les coups ou presque se révèle être une véritable damnation, bouffant littéralement les « élus ». Pire, il n’y a sans doute rien de pire, nous dit le film, d’avoir de la chance quand vos proches n’en ont pas. La chance se transforme alors en culpabilité.

Le personnage de Tomas est intéressant à ce niveau là également. Il a eu le don mais Max Von Sydow le lui a repris. Il cherche finalement la même chose que les autres, mais y arrivera pas d’autres moyens : le pouvoir, la manipulation, incarnant dans le film une autre figure du fonctionnement de la société, celle des arrivistes. Si les chanceux sont des sortes de vampires, lui incarne le loup garou…