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Sujet : Chronique de l'ennui


De jipi, le 13 novembre 2006 à 11:43
Note du film : 5/6

La Dolce vita est une chronique du désoeuvrement et de l'ennui à des années lumières d'un laborieux normalisé par ces innombrables fenêtres incluses dans des tours immenses poussant comme des champignons dans des matins blêmes.

On montre sa différence par une décapotable dernier modèle, symbole de la capture d'un ciel ouvert, pas de contraintes d'horaires pour ces fantomatiques épicuriens pour qui le jour est le début de la nuit.

Certains de ces nouveaux Vitelonni toujours festifs semblent recyclés dans une nouvelle composante que représente la traque de ces stars propulsées vers la gloire qu'ils faut sans cesse fragiliser en fournissant les ingrédients de leurs chutes à une meute de photographes toujours à l'affût d'une implacable paire de gifle distribuée à une déviante assaisonné d'une petite correction à l'amant de passage couronnant le machisme d'un mari hors norme par sa naïveté de croire que tout est durable dans un tel milieu.

Marcello Rubini (Marcello Mastroianni) est le produit type de ces longs nuits ou on ne pense qu'a conclure cigarette au bec, malgré les rappels à l'ordre musclés de sa compagne Emma (Yvonne Furneaux) son schéma reste identique se propulser par un automatisme plutôt que par un véritable ressenti stable et durable dans le temps. Toutes ces femmes ne sont que des fantasmes, la suivante aussi sublime que la précédente positionne Marcello comme un éternel insatisfait. Ces corps identiques ne sont qu'un palais des glaces. L'alimentation inutile d'un répétitif.

Rome semble appartenir à ces exclus du quotidien, on se baigne en pleine nuit, le ridicule n'est pas perçu, il est encensé par un second terme « Liberté ». La condition humaine semble carnassière, il faut séduire et dominer dans une sphère ou tout s'évapore après usage. Les rocks and rolls s'exécutent dans des fêtes improvisées ou chacun se lâche en repoussant au maximum dans le temps l'obscurité d'un sommeil.

Marcello est le centre de gravité, il équilibre les différents poids que représentent ses dérives et ses rachats. Le cynisme et le désespoir sont distillés dans des comportements ne menant nulle part. Pour ces existentialistes la normalisation est un gouffre, le soporifique ambiant de leur contexte en est certainement un autre.

La Dolce vita est un île ou l'on refuse un quotidien démolisseur synonyme d'usine à vie, ces immeubles ouvriers ne sont contemplés que de loin, ils sont la toile de fond d'un univers qu'il faut constamment fuir par ses excentricités.


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De vincentp, le 13 novembre 2006 à 14:08
Note du film : Chef-d'Oeuvre

Ces personnages, faits de chair et de sang, plongés dans un environnement de guerre froide, refusent d'affronter la dureté de la vie en société, et se réfugient dans un monde factice, rendu accessible par une certaine aisance matérielle. Dénué de tout repère moral, d'objectif à atteindre, de préoccupations matérialistes, celui-ci est un monde dans lequel se dissolvent progressivement ses membres, abandonnés à leurs pulsions animales. La séquence finale au bord de la mer montre le point de non-retour atteint par Mastroianni et ses comparses, désormais incapables de communiquer avec un individu ordinaire. Des pinocchios en devenir. Fellini va donc plus loin que dans Les inutiles, qui montrait la vacuité de l'univers des bourgeois de Rimini. Ce film inaugure aussi la technique fellinienne des grandes séquences plus ou moins indépendantes les unes des autres (représentant des univers parallèles), avec le seul Marcello comme élément de liaison. Un film on ne peut plus moderne, encore aujourd'hui, par son propos (il suffit de lire la presse people) et sa structure.


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De DelaNuit, le 22 avril 2015 à 14:07
Note du film : Chef-d'Oeuvre

Curieux comme La dolce vita a été – et demeure pour beaucoup – mal compris. On a cru que Fellini avait par ce film fait l’apologie d’une vie de plaisir insouciant alors qu’à l’inverse, il fait au fil des séquences le constat – si ce n’est la critique – d’une décadence de tout un monde. Le titre même, férocement ironique, n’est pas à prendre au premier degré !

Certes, la première partie du film commence avec légèreté en suivant Marcello Mastroianni auprès de la jolie starlette Sylvia interprétée par Anita Ekberg. La scène de danse au milieu des ruines des thermes de Caracalla est entrainante, et puis bien-sûr celle de la fontaine de Trévi – où la belle apparaît telle une réincarnation de Vénus surgie des eaux – a fait rêver et fantasmer la planète. Pendant cette première demi-heure de film, ainsi que Marcello sous le charme de l’actrice, on s’amuse de la superficialité du milieu cinématographique plus qu’on ne le blâme.

Mais la suite met de plus en plus mal à l’aise, car entre les moments de débauche s’intercalent des scènes qui, l’une après l’autre, nous démontrent que si la jeunesse s’étourdit dans cette recherche insouciante et vaine des plaisirs, c’est aussi parce que ceux qui auraient dû donner, transmettre un autre sens à la vie ont failli : les grandes familles qui devraient donner l’exemple sont blasées (Anouk Aimée) ou dégénérées, la religion tourne au cirque (scène des enfants prétendant voir la Vierge et faisant tourner en bourrique les journalistes et photographes), les intellectuels ne trouvent plus de sens dans leur culture (cas du personnage interprété par Alain Cuny, dont l’intelligence et la sensibilité auraient dû être un phare mais qui, incapable d’affronter le monde, préfère se suicider après avoir tué ses enfants)…

Même les parents n’ont pas joué leur rôle : scène pathétique de Marcello heureux de retrouver via Veneto son père qui fut si absent pendant son enfance et de passer un moment avec lui… alors que celui-ci se contente d’utiliser son fils pour se faire conduire dans un night-club et y lever une fille (Magali Noël), puis, finalement impuissant à vivre son fantasme, retourne prestement dans sa province sans passer une heure de plus avec son fils malgré les suppliques de celui-ci.

De toutes ces abdications, incapacités à encadrer, transmettre, rayonner, conduire, donner du sens, découle la vie dissolue de la jeunesse. Constat amer extrêmement sombre de la crise d’une civilisation qui depuis n’a fait que s’accentuer, malgré l’humour et la démesure de Fellini, la musique de Nino Rota, le talent des acteurs et la beauté de Rome.

Comment ne pas faire un parallèle avec l’empire romain décadent du Satyricon ? Et avec la phrase finale de La chute de l’empire romain : « Les barbares ne seraient jamais venus à bout de Rome si Rome ne s’était elle-même trahie. » La célèbre scène dans la fontaine de Trévi n’a finalement été qu’un moment de grâce vite évanoui. La jolie blonde n’est qu’une starlette idiote et n’a pris l’apparence de Vénus que momentanément, illusoirement car l’innocence n’est plus. Comme les fresques romaines découvertes dans les souterrains en creusant les couloirs du métro dans Fellini Roma, à peine admirées, déjà effacées par la pollution du monde moderne…


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De Arca1943, le 24 avril 2015 à 22:54

«La dolce vita a été – et demeure pour beaucoup – mal compris. On a cru que Fellini avait par ce film fait l’apologie d’une vie de plaisir insouciant alors qu’à l’inverse, il fait au fil des séquences le constat – si ce n’est la critique – d’une décadence de tout un monde.»

Ce que vous dites est très juste. Et il y aurait pas mal d'autres exemples, la plupart moins illustres, de cette vieille confusion – confusion qui, dans certaines circonstances, peut devenir la mère de toutes les censures – la confusion entre montrer et prôner.

Celui qui fait confiance au spectateur, qui tient le spectateur pour libre et responsable, répugne à lui dire trop clairement ce qu'il faut penser de tout ça, à poser dans son film des jalons trop identifiables marquant sa désapprobation ou son approbation de ce qui est montré. Car ce serait faire savoir au spectateur qu'on ne lui fait pas confiance pour penser par lui-même. Ainsi Orange mécanique a été accusé de "faire l'apologie" de la violence ; mais généralement ces accusations viennent de gens qui voient de l'apologie partout, là où il n'y a (le plus souvent) que montrer, décrire, dépeindre. Certains ne supportent pas que le sens ultime à donner à une œuvre de fiction puisse reposer entre les mains du spectateur et non dans celles de telle autorité de tutelle, église, critique de cinéma, groupe militant, parti, etc.

Un des beaux cas de ce genre est celui des deux interprétations diamétralement opposées de la comédie satirique Au nom du peuple italien, un très fort Risi de 1971. Selon qu'on est soi-même de telle opinion (sur la nature humaine, sur la société, sur la politique, sur la justice, etc), alors on interprète un certain geste commis à la fin du film par le juge d'instruction (Tognazzi) dans un sens (apologie) ou dans le sens rigoureusement contraire (dénonciation). S'il y a place ainsi pour deux interprétations opposées à la toute fin du film, c'est que les auteurs se refusent à conclure à la place du spectateur, présumé libre et adulte citoyen d'une République : ils se contentent de nous raconter une histoire, et c'est à nous de nous débrouiller. J'ai même – immodestement – un nom pour ça : la liberté d'impression.


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De Impétueux, le 21 septembre 2018 à 19:49
Note du film : 5/6

Après une nouvelle vision, qui doit être la quatrième ou la cinquième, je suis mieux entré dans le film, que j'avais un peu tendance à juger, jusqu'ici, surévalué et ronflant. Il est vrai que je n'ai pas pour Federico Fellini une attirance majeure, même si j'admets bien volontiers qu'il est un des cinéastes les plus importants du siècle dernier ; mais enfin il est, à mes yeux, comme Orson Welles : un grand bonhomme à qui je n'accroche pas vraiment. Infirmité de ma part, je veux bien, mais on ne se refait pas…

Il est pourtant bien extraordinaire qu'un film ait donné au langage courant une expression (La dolce vita) et un terme (paparazzi) qui se sont imposés sans que la référence soit davantage explicite ; signe, sans doute de l'impact qu'a eu le film lorsqu'il est sorti sur les écrans il y a près de soixante ans. Avait-on, jusqu'alors filmé avec autant d'acuité la maladie sociale de l'Occident, cette fatigue, cette abdication de la vitalité qui s'est depuis lors épandue avec une sorte de rage voluptueuse ? Je n'en suis pas certain et c'est un des grands mérites de Fellini que d'avoir perçu, en plein cœur de la prospérité et du miracle italiens les prémisses du dégoût de soi et de l'épuisement qui nous conduisent jusqu'à notre bel aujourd'hui, incertain et résigné.

Rome est, comme toujours, sublime de photogénie, à toute heure de la nuit, monde fatigué qui sait tout faire avec élégance comme le dit Maddalena (Anouk Aimée) à Marcello (Marcello Mastroianni), qu'il tourne en rond en quête d'exotisme, comme les intellectuels vains de la réception de Steiner (Alain Cuny) ou qu'il ne fasse que survivre dans le souvenir vide de la splendeur passée, comme les aristocrates de la réception où Nico emmène Marcello… Monde désormais sans aventures du confort matériel et de la fin des espérances. Le monde d'où se retire Steiner/Cuny en se tuant et en tuant ses enfants ; un peu comme dans Satyricon les patriciens qui voient surgir les Barbares qui ont franchi le limes. En fait tout ce qui montre l'aboulie, l'acédie, la fatigue, le désenchantement d'un monde épuisé touche fort et touche juste. Et pourtant il n'est pas si facile de montrer la vacuité.

Je crois avoir bien compris que c'est très volontairement que Fellini hache son regard sur la Rome de 1959 et fait éclater son film en petites parcelles à la continuité hasardeuse ; après tout, pourquoi pas ? On se fiche plutôt de ce que devient la volcanique Sylvia (Anita Ekberg) après qu'elle a pris son bain dans la fontaine de Trévi et qu'elle a été raccompagnée par Marcello à son hôtel où son compagnon, Robert (Lex Barker), ex-Tarzan, lui a sûrement fichu une peignée. Et on ne revient pas non plus sur l'hystérie des pauvres gens qui se raccrochent à une apparition de la Madone et aux petits voyants que leurs parents aimeraient bien exploiter (comme, dans La Poison, les commerçants du bourg avec une enfant particulièrement arriérée…). Marcello, où qu'il jette les yeux, où qu'il mette ses pas, ne peut que voir le ver dans le fruit et marcher au milieu des ruines d'une société qui fut forte et qui fut belle.

Je comprends, mais je n'accroche pas bien à cette structure hachée où les péripéties s'effacent au fur et à mesure que le film avance. Et puis Marcello lui-même n'a pas beaucoup de substance : le seul moment où on saisit un peu qui il est, c'est la rencontre avec son père (Annibale Ninchi) ; le seul moment où l'on perçoit qu'il a renoncé à beaucoup de ses espérances, c'est le bref échange qu'il a avec Steiner qui évoque son renoncement à ses ambitions littéraires. Il n'a pas, sinon, la moindre épaisseur.

En 2013 Paolo Sorrentino a réalisé La grande bellezza dont il faudrait être aveugle pour ne pas voir la parenté avec La dolce vita ; pour moi c'est le propre que Fellini a initié avec une sorte de brouillon ; j'admets bien volontiers mon iconoclastie. N'empêche que le personnage de Jep Gambardella (Toni Servillo) a bien plus d'épaisseur, de cohérence et d'amertume que Marcello et que son monde est plus encore déprimant. Mais il est vrai qu'un demi-siècle, et davantage, est passé par là.


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