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Forum : Le Fond de l'air est rouge

Sujet : Je soupçonne que c'est passablement partisan...


De Arca1943, le 12 juillet 2006 à 04:29

…mais je suis pourtant certain que ce documentaire sur la gauche (ou les gauches) en 1976 doit être très intéressant : Chris Marker, ce n'est pas n'importe quel documentariste. Et après tout, c'est un fait historique : à cette époque-là, en effet, le "fond de l'air" politique était bel et bien "rouge", et perçu comme tel aussi par des observateurs qui n'étaient pas de ce côté-là de la barrière. Il suffit de regarder le résultat des élections italiennes du 15 juin (sur lesquelles le film se termine, d'après le résumé que j'ai lu) : un tiers (34.4%) des Italiens a voté PCI. Ça alors ! Qui était donc ce fameux Enrico Berlinguer pour arriver à de pareils résultats? C'est une toute petite partie du film, si j'ai bien compris, mais je vais au moins lui voir la binette, au monsieur. Vu mes positions, l'homme me fait peur; mais le personnage est diablement intéressant. (En tout cas bien plus intéressant que Georges Marchais, si vous voulez le fond de ma pensée!) Aussi lui ai-je ouvert un dossier, auquel j'aimerais bien verser ce film. En attendant "Historic Compromise : The Movie"…

P.S. Évidemment, je parie que pour M. Marker, un Pierre Trudeau par exemple ne faisait pas partie de la gauche, car nullement d'inspiration marxiste. Mais je peux faire erreur. Nous verrons. Après tout, n'était-il pas copain avec Castro ?

P.S. 2: Évidemment aussi, je m'attends au pire, comme par exemple un passage sur la glorieuse révolution cambodgienne… ou le génial Mao… ou nos gentils camarades soviétiques… ou les trois à la fois. Je n'ai jamais dit que ce serait facile à regarder ! Juste que ce serait intéressant…


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De foldedol, le 28 octobre 2007 à 02:47

Tu as absolument raison… Le fond de l'air est rouge est un film partisan, au sens ou le réalisateur annonce clairement de quel côté de la barrière politique il se situe. Il ne prétend pas être "objectif" contrairement à ce que font les documentaristes de tous poils qui cachent leur prises de partie derrière un rideau de fumée pseudo scientifique et historique. De ce point de vue là il c'est sans doute une des œuvres politiques les plus honnêtes. Pour ma part, je l'ai vu en 1993 lors d'une nouvelles sortie à l'occasion du remontage voulu par le réalisateur (Chris Marker, immense cinéaste) et ça a été un choc. Nous n'étions qu'une dizaine dans la salle dont probablement 9 "vieux militants" en plus de moi mais nous sommes tous sortis de ces trois heures bouleversés.

En premier lieu parce que le film retrace effectivement une période durant laquelle les individus avaient la sensation que leur existence pouvait peser sur le cours des choses. Aussi le résultat politique social et historique de cette époque est-il vécu intimement comme un échec par nombre de ces militants.

Par ailleurs, c'est une histoire oubliée qui est ici exhumée. Qui se souvient aujourd'hui des massacres qui accompagnèrent l'organisation des JO de Mexico, qui se rappelle que la seule véritable guerre médiatisée de l'histoire fut la guerre du Viet-Nam à tel point que plus jamais un état major n'a rouvert le robinet à image sans un sévère contrôle, qui se souvient qu'on équipait alors les voitures des militaires français de grilles à la place des vitres pour éviter que les pierres jetée par la population des pays pauvres d'Afrique ou d'ailleurs ne les fassent exploser, et enfin, qui se souvient que l'ONU à soutenu le Cambodge des Khmer rouges dans sa lutte contre le Viet-nam et qui se souvient qu'un embryon réel de fraternité internationale à vu le jour à travers les combats de cette période, dans le but de…changer le monde ?

Pour finir, je ne me souviens pas que le film fasse l'apologie des régimes nationalistes qui ont pris le pouvoir parfois au nom du marxisme-léninisme (terme inventé en URSS durant les sombres les années 30)suite aux décolonisations et en Chine en 1949 (Au contraire, je me rappelle plutôt d'une véritable apologie de Salvador Allende qui était tout sauf un révolutionnaire enragé et est devenu une sorte d'icône de la gauche de gouvernement en France et dans le monde entier.

Enfin, recenser les évènements n'aurait pas de sens si on ne donnait pas au spectateur la sensation de partager un peu la douleur ou l'enthousiasme qui a pu les accompagner. C'est la une des plus grande réussite de ce film poétique, drôle et tragique : permettre de sentir dans sa chair un peu du souffle de cette période. C'est cela que je retiens et qui me fait oublier la plupart les divergences que je peux avoir aujourd'hui avec le propos du film.


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De Arca1943, le 28 octobre 2007 à 03:43

« Il ne prétend pas être "objectif" contrairement à ce que font les documentaristes de tous poils qui cachent leur prises de partie derrière un rideau de fumée pseudo scientifique et historique. »

Schématisons un tantinet : le péril du scientisme appliqué à l'historiographie – et aux humanités en général, rebaptisées "sciences" humaines (*) – a au moins deux visages : un de droite avec le positivisme, un de gauche avec le matérialisme dialectique.

Il est infiniment dommage que je n'aie pas sous la main "Mussolini diplomate", un petit livre très rare de Gaetano Salvemini, écrit en français et publié aux Cahiers verts en 1931. Dans l'avant-propos, cet historien de choc (militant antifasciste de la première heure et une figure de proue de la gauche anticommuniste) expose en termes certes polémiques, mais aussi succincts que clairs pourquoi l'histoire n'est pas une science et combien trompeuse est la prétention de certains historiens à l'objectivité scientifique.

Mais je dois immédiatement ajouter ceci : sachant (i.e. convaincu) que sa discipline n'était pas une science, Salvemini réagissait en mettant à son travail un sucroît de rigueur monacale. Or, on trouve si souvent de nos jours l'attitude contraire – parfois même explicite mais généralement implicite : puisque de toute façon "l'objectivité n'existe pas", vautrons-nous dans la partisanerie la plus crasse ! Hein, vu que de toute façon, il est impossible d'y échapper… ! Ça ne va pas non plus. Autrement dit, la voie de la raison en ce domaine est drôlement étroite, du genre mince corde raide : puisque d'une part, celui qui se croit objectif est plus souvent qu'autrement un naïf – ou un borné – susceptible causer dans l'historiographie de considérables dégats; mais d'autre part, celui qui "sait" que l'objectivité "n'existe pas" peut très bien lui aussi devenir, pour cette raison même, un danger ambulant !

Ce qui m'intéresse surtout dans ce film, c'est comme contrepoint, pour entendre l'histoire « from the horse's mouth », comme on dit – de l'intérieur, quoi. J'ai beau avoir un biais antimarxiste quand je regarde l'histoire de la gauche, il me faut bien sûr entendre, et plusieurs fois, cette même histoire racontée d'un point de vue communiste : sinon, c'est tricher.

(*) H. Arendt écrit souvent "sciences" politiques entre guillemets, L. Sciascia et G. Salvemini le font pour "sciences" sociales, B. Croce le fait pour "sociologie".


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De Littlecat, le 28 octobre 2007 à 07:58

Ce film m'intéresse. Bien que ne l'ayant jamais vu, je note 5/6 espérant sa sortie en DVD.


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De Impétueux, le 28 octobre 2007 à 19:23
Note du film : 2/6

Là, mon cher Arca, lorsque vous écrivez J'ai beau avoir un biais antimarxiste quand je regarde l'histoire de la gauche, il me faut bien sûr entendre, et plusieurs fois, cette même histoire racontée d'un point de vue communiste : sinon, c'est tricher, je ne vous suis pas.

Pour regarder L'Armée des ombres ou n'importe quel film traitant de la Résistance (la vraie ! pas celle dont se seraient bien affublées Bande à Baader, Brigades Rouges ou Action Directe !), pour regarder La bataille du Rail, avez-vous besoin de connaître et de regarder le point de vue des Allemands, des Nazis ?

Je sais bien que Clint Eastwood vient – parait-il – de réaliser un film où il se met à la place des Japonais, mais ce genre de délicatesse, lorsqu'il n'est pas un film documentaire ou militant, me surprendra toujours…

Ce qui rend les nouilleries du type Le fond de l'air est rouge, ou les films de Marin Karmitz, Camarades ou Coup pour coup attachants, c'est leur délicieuse désuétude… comme La vie est à nous de Jean Renoir

N'empêche ! Que de bons esprits aient pu, depuis 1917 – et d'une façon frénétique entre 1968 et 1979 – réaliser des films à la gloire d'une des plus sanguinolentes utopies de l'histoire de l'Humanité me laisse un peu baba… Au fait, pourquoi 79 ? parce que les admirables et rassérénantes déportations des Khmers rouges commencent à faire un peu désordre… ; cela étant, on attend encore que nombre de leurs soutiens français fassent repentance… Et ça… bernique !


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De Arca1943, le 28 octobre 2007 à 20:04

Je vous vois déconcerté, cher Impétueux, mais je maintiens que pour serrer au plus près la vérité historique, il faut constamment faire la navette entre les points de vue les plus contrastés possible. Je ne travaille pas différemment dans mes études sur le fascisme : antifasciste convaincu, il me faut pourtant, à un point quelconque, lire des choses comme l'hallucinant journal de De Stefani (qui était fou au moment de l'écrire, selon moi, ce qui ne simplifie pas cette lecture !) ou encore l'ouvrage de… ah, zut, de qui ?… oui ! Zangrandi, "Le Long voyage à travers le fascisme". Je trouve dans ce genre de sources l'occasion d'une série de recoupements et de vérifications. C'est toujours la même histoire, mais racontée selon le maximum d'angles disponibles à l'intérieur de l'époque X. Comment voyaient-ils ça? me demandai-je tant au sujet des communistes que des fascistes. Que diable croyaient-ils être en train d'accomplir ? Pour appréhender efficacement la bête, il faut aller dedans (soigneusement encordé, tel un spéléologue). Mais pour ça, bien sûr, on n'est pas obligé de regarder Le Fond de l'air est rouge. Je ne doute pas que C'eravamo tanto amati, par exemple, soit bien plus divertissant; bien que ce chef-d'oeuvre du communiste Scola exerce son art sur tout plein de niveaux dont un seul est politique, on est là au coeur du même sujet, ça permet de se retremper dans ce qu'on appelle l'esprit de l'époque.


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De Impétueux, le 28 octobre 2007 à 20:44
Note du film : 2/6

Mais je nous crois là-dessus substantiellement d'accord : c'est bien pour quoi j'avais indiqué lorsqu'il n'est pas un film documentaire ou militant.

Un film militant, c'est accablant – ou rigolo, tout dépend de l'époque où on le regarde, et si l'on n'a pas soi-même été victime des militants susdits – ; un film historique, c'est autre chose et, vous avez raison, ça rend indispensable un certain effort d'empathie avec les protagonistes. Faute de mieux, je ne peux citer là-dessus qu'un seul titre : Mourir à Madrid, où, malgré un engagement clairement à gauche, les auteurs n'ont pas travesti de façon excessive l'esprit du Mouvement national…

Mais Le fond de l'air est rouge, comme les autres œuvres que je citais, est clairement un film militant…


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De Arca1943, le 28 octobre 2007 à 21:37

Ah bon. La source du malentendu est au fond sur la nature du film considéré, que je n'ai toujours pas vu. Je m'attendais à un documentaire très orienté, un peu comme La Spirale sur les événements chiliens (que parraina Marker, si je ne m'abuse) tandis que vous me parlez plutôt d'un film conçu carrément pour stimuler la ferveur des camarades en marche vers la Fin de l'Histoire. Hum. Peut-être le lâcherai-je au bout de quinze minutes ! Enfin, nous verrons…

En tout cas, parmi les films "de gauche", je m'en voudrais d'avoir raté, par exemple, L'Affiche rouge, film évidemment très, très orienté (communiste, évidemment) mais qui rappelle des faits historiques passionnants, essentiels, dont personne d'autre ne parle. Ou tenez, je parlais récemment sur le forum du film Les Cent pas, un film qui serait meilleur si les auteurs n'avaient la même orientation politique et n'appartenaient à la même génération que le tragique protagoniste, sauf que… qui d'autre aurait raconté cette histoire ?


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De Arca1943, le 23 avril 2008 à 00:11

Et il sort demain ! Maintenant que le fond de l'air n'est même plus rose – il a même parfois des petits tons vert-de-gris – j'y jetterais bien un oeil, histoire de rassasier ma curiosité.


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De Impétueux, le 13 août 2010 à 22:20
Note du film : 2/6

Chris Marker est l'auteur d'un des films les plus emmerdants et les plus surfaits de l'histoire du cinéma, La jetée où, en images fixes et sur un mode grandiloquent, il présente un futur improbable et anxiogène qui a, paraît-il, inspiré une autre ânerie imbittable, L'armée des 12 singes, appréciée d'adolescents boutonneux qui ont cru voir là une œuvre philosophique à la mesure de Platon.

Mais Chris Marker est aussi un de ces cinéastes germanopratins, chéris du Nouvel Observateur, des Inrockuptibles et de Télérama qui parviennent toujours à financer, fût-ce avec quelques bouts de ficelle, des brûlots anticapitalistes qui énervent les sens de guérilleros en peau de lapin et plongent dans une extase orgasmique des tas d'exaltés qui imaginent que la Révolution, qu'elle ait lieu à Hanoï, à Luanda, à La Havane, à Phnom-Penh, à Santiago ou à Alger, est beaucoup plus intéressante lorsqu'on la regarde confortablement assis à la terrasse des Deux magots.

Comment se fait-il que la médiocrité de ce type ait trouvé – et trouve encore – des financements pour filmer les petits blocs de haine gauchiste qu'il pond périodiquement ? Quatre cents spectateurs au fond d'une salle obscure du Quartier latin, ou une programmation nocturne sur Arte, dans une activité artistique aussi onéreuse que le cinéma, ça permet de vivre et de recommencer ad libitum de repasser sur la pellicule des nostalgies désespérées ?

Cela étant, j'ai pris un vif plaisir à regarder les deux DVD de cette édition presque luxueuse (emboîtage et livret) de toutes les coquecigrues possibles et imaginables d'une mythologie qui fait aujourd'hui moins florès, où elle est remplacée par les billevesées écologistes ; Rhodiaceta, Lip, l'autogestion, le syndicalisme, tout ça rend un son délicieusement désuet, et on ne peut que regarder avec une commisération pleine de sympathie tous ces jeunes gens niais qui, l'œil pleins d'éclairs et les mèches en bataille, expliquent Cuba, la Chine, le Socialisme, la lutte des Campesinos, le refus des compromissions avec la Démocratie bourgeoise et tout le bataclan. On retrouve des têtes-slogans connues, Ulrike Meinhof, Jan Pallach, Gilles Tautin, Pierre Overney….

Précisément, qui se souvient de ces noms-là ? Si je me suis bien amusé à regarder Le fond de l'air est rouge et les autres films de cette édition, c'est parce que, par mon âge et mes centres d'intérêt de l'époque, j'ai vécu intensément ces instants de révolte vaine, j'ai vu ces images en direct, j'ai entendu ces discours…. Mais, alors que Chris Marker est au degré zéro de l'écriture cinématographique, et se contente de coudre ensemble un patchwork de séquences brûlantes et naïves, qui peut bien trouver de l'agrément à ce fatras, qui ne l'a pas connu dans son jus ?…

Les films de fiction (comme celui de Romain Goupil, qui s'appelle Mourir à 30 ans) ou les coups de projecteur donnés sur un épisode de luttes (Coup pour coup, de Marin Karmitz) sont bien davantage éclairants…

Mais ce qui démonte le plus les sanglants enfantillages devant qui bée Chris Marker, c'est tout de même La terrasse, d'Ettore Scola ; au moins là, le désenchantement n'est pas pris au sérieux.

Enfin !


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