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Sujet : Complexe


De dumbledore, le 28 juillet 2003 à 09:50
Note du film : 5/6

Le hasard[/film] est le film le plus complexe de Kieslowski aussi bien par sa structure que par les thèmes abordés. Le film commence sur plusieurs scènes au montage très serré, sans queue ni tête, des sortes de moments forts du passé du personnage principal, des flashes marquants et incompréhensibles dans le tout qu'il forme. Ensuite, on a trois versions de l'histoire, trois "possibles narratifs" : un jeune homme qui vient de perdre son père décide d'arrêter ses études de médecine et tente de prendre un train. Dans la première histoire, il prend le train de justesse et ce destin le conduit à entrer dans le Parti. Le même train raté, car arrêté par un policier, le conduit vers le destin du catholicisme et de la révolte. Pour la troisième version de l'histoire, c'est lui qui renonce de lui-même à prendre le train, (quand il voit celui-ci s'éloigner) et son destin le conduira à reprendre ses études.

Kieslowski étant d'un pessimisme redoutable, ces trois destins mèneront notre héros à la défaite de sa vie, trois défaites différentes. Le premier destin le mènera en effet à dénoncer les amis de sa maîtresse et se faire jeter par celle-ci. Il acceptera au bout du compte à assumer d'être le salaud qu'il est. Il est choisi pour partir en France pour un congrés communiste, mais une grêve empêchera le départ.

Le second destin l'amène à se faire baptiser pour adhérer à une opposition qui rappelle Solidarité. Une histoire amoureuse avec une jeune femme attirera sur lui les doutes de sa hiérarchie. Une rafle à laquelle il échappera par hasard lui donnera une réputation de traître. Lui qui devait partir à Paris pour réunir de la sympathie pour le mouvement sera condamné à quitter ce même mouvement.

Le troisième destin l'amène à reprendre ses études. Il ne souhaite alors ni s'engager dans le Parti, ni signer une pétition pour aider des étudiants qui luttent contre le parti. Il souhaite rester neutre, et réussit alors sa vie. Il se marie, a une vie "normale" et agréable. De ces trois destins, seul celui-ci lui permet de monter dans l'avion qui le conduira vers la France et peut-être un nouveau destin, seulement l'avion explose en plein vol.

Le pessimisme de Kieslowski est manifestement à l'oeuvre, décrivant l'homme moyen, qui évite toute forme de politique, comme étant le plus apte à approcher le bonheur, même s'il ne l'atteindra pas ! Finalement, pas de porte de sortie dans l'univers de Kieslowski.

Il est amusant de voir que les trois histoires reposent sur le même schéma, réunissant des figures similaires. Une figure d'un père de substitution__ que notre personnage dépassera à la fin de l'histoire. Dans la première histoire, il s'agit d'un vieux communiste qui est en disgrâce et dont Witek se séparera pour entrer totalement dans le parti. Dans la seconde histoire, il s'agit d'un prêtre en chaise roulante qui le baptisera et le fera entrer dans la Résistance. Witek finira par le fuir, refusant ses conseils. Dans la dernière histoire, le Doyen joue ce rôle en lui laissant tout à la fois la liberté de ses actes et le guidant une fois ses décisions prises. Devant sauver son fils, le Doyen laissera sa place à Witek pour aller donner ses cours à l'étranger. L'élève prend ainsi la place du maître.

Nous avons également une maîtresse qui a la particularité d'être connue de longue date avant de devenir la maîtresse de notre héros. C'est tout d'abord une amie d'enfance, ensuite, c'est la soeur d'un ami d'enfance, et pour finir il s'agit d'une étudiante, collègue d'étude.

On trouve également en commun l'enjeu, l'aboutissement de ces trois carrières. Dans la première histoire, c'est un congrès communiste, dans la seconde, des rencontres catholiques et dans la dernière des cours de médecine.

Encore une fois, la force de Kieslowski est d'élargir le film du sujet politique propre au pays à un film qui traite de l'Humain dans sa globalité. Ici : qu'est-ce qui nous détermine dans les choix que nous faisons dans notre vie ? Destin ? Hasard ? Le destin soumet chacun d'entre nous à une écriture de ce que nous allons vivre ("Tout est écrit"), de nos choix. Le hasard nous déresponsabilise autrement : la liberté est présente dans l'équation, mais nous ne l'utilisons pas comme il se devrait puisque notre vie est déterminée par nos "non-choix", par les hasards de la vie. Finalement, qu'est-ce qui est le pire pour l'Homme : vivre sans liberté mais rêver d'elle, ou bien vivre avec la liberté et ne pas s'en servir?

Alors entre Destin et Hasard, Kieslowski a évidemment choisi le terme le plus attristant : le Hasard.


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De Impétueux, le 4 mars 2022 à 19:05
Note du film : 4/6

Exercice de style habile, jeu intellectuel séduisant qui consiste à imaginer des orientations finales extrêmement différentes selon que, à la suite d'un hasard infime, la vie d'un personnage prend un tour inattendu. Voilà ce qu'est le film de Krzysztof Kieslowski qui m'a d'abord ennuyé, puis agacé mais qui a fini par m'intéresser grâce à une intelligence profonde des situations et au regard cohérent posé sur le déroulement des histoires. Et sans doute aussi à la méditation qu'il impose sur l'existence de chacun : si, certain jour de ma vie, j'avais tourné à droite plutôt qu'à gauche, ma vie en aurait-elle été transformée alors que je n'aurais pas, alors, croisé telle personne ou subi tel événement dont je vois bien que j'ai été transformé ?

Il doit exister beaucoup d'autres exemples de films à dérivations multiples (je ne trouve pas de meilleure expression) mais je n'ai guère en tête que le funambulesque et fort ennuyeux Smoking/No Smoking du bavard abscons Alain ResnaisPierre Arditi et Sabine Azéma vivaient, à partir de prémisses simples (fumer une cigarette ou faire le ménage dans la maison) des aventures emberlificotées, marqueteries ennuyeuses, chichiteuses, très vaines.

Le film se passe dans la terne Pologne. Il a été tourné en 1981, c'est-à-dire au moment où le peuple polonais commençait à secouer l'étouffoir communiste (naissance de Solidarnosc – Lech Walesa), étouffoir qui se défendait plutôt vigoureusement (accession au pouvoir du vigoureux général Wojciech Jaruzelski). Un des intérêts du film est précisément de montrer avec un éclairage froid, sombre, ennuyeux ce qui devait être la vie quotidienne du pays. Laideur des rues austères, des macadams dévastés, des vêtements minables. Le communisme dans toute sa splendeur.

Witek Dlugosz (Boguslaw Linda), issu de la classe moyenne supérieure, a engagé, à la forte demande de son père, des études de médecine qu'il n'a guère envie de poursuivre alors qu'il est déjà en quatrième année. Son père meurt. Pour une raison que je n'ai pas comprise (car le début du film est assez elliptique), après la dissection assez repoussante d'une vieille institutrice, il s'enfuit vers la gare de Lodz, où il habite, pour partir vers Varsovie.


Que se passe-t-il lorsqu'on est en retard dans une gare ? On parvient à attraper un train, on le rate en bousculant un employé, on le rate et on se résigne ? Rien de tout cela n'est invraisemblable. Et de tout cela surgissent des destinées diverses, extraordinairement différentes et, en même temps absolument évidentes selon que, dans le train, on fasse connaissance d'un responsable communiste et que, sous son influence, on pénètre des groupes de jeunes gens rebelles parmi qui on retrouve son amour de jeunesse Czuszka (Boguslawa Pawelec) que, par une sorte de constance de la catastrophe, on trahira.

Mais si, ratant le train, on s'accroche, en courant avec un employé avec qui on a déjà eu maille à partir ? Que la rugueuse milice s'en mêle ? Qu'elle vous passe à tabac, vous fasse ainsi découvrir l'arbitraire du Pouvoir et, par ricochet, la résistance sereine du peuple catholique, le courage tranquille de ceux qui entretiennent le feu de l'Église du Silence, comme on l'appelait alors ?

Et on peut aussi rater le train en ne courant pas assez vite et en évitant le choc avec l'employé. Et vivre alors une existence tranquille, sans hauts ni bas, mais appréciée par sa hiérarchie. Et pourtant, partant pour un Congrès médical international à la place d'un ponte dont le fils est suspecté, être dans l'avion qui explose ?

La vie est comme ça. Il en faut peu pour passer à travers des gouttes ou être fauché par un chauffard ivre.

C'est ce que pose Kieslowski ; comment lui donner tort ?


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