La Question, c'est bien évidemment celle de la torture en Algérie. Mais c'est avant tout un livre qui a donné naissance à ce film, un livre écrit par Henri Alleg, journaliste communiste à Alger Républicain. L'histoire racontée dans ce film est son histoire.

Impossible aujourd'hui de voir ce film sans le remettre dans son contexte. 1977, la guerre en Algérie est terminée, mais le sujet reste encore tabou, tout comme la torture qui s'y est pratiquée. Faire un film sur le livre interdit de Alleg était osé, courageux, et il faut reconnaître à Laurent Heynneman toute la réussite de ce projet.

Cependant aujourd'hui, avec le recul, le film a pris un certain coup de vieux. Certes, le film est bien enlevé, avec un bon rythme et l'Alger décrite dans le film n'est pas sans évoquer une Paris elle aussi soumise à la terreur d'un autre temps, où l'occupant était alors nazi. Il ne faut évidemment pas s'en étonner : à méthodes similaires, réactions similaires. Seulement la dénonciation est un peu lourde, se faisant à travers des scènes un peu trop appuyées et pour développer finalement un message un peu trop simple.

Que manque-t-il au film pour passer l'épreuve du temps ? Une vision sans doute moins manichéenne de la situation. Ici, il y a les bons d'un côté, ceux qui défendent le pays (étrangement, absence d'arabes dans le film) et les méchants paras. Pas de réflexion de fond sur le "problème Algérien", pas de scènes d'attentat et de massacres organisés par le FLN qui auraient apporté un trouble et une interrogation sur la situation en la rendant plus complexe. Non, ici on reste dans la simplicité d'un discours de propagande.

Le choix du comédien principal se situe dans cette lignée. Jacques Denis, acteur de grand talent que l'on a vu dans de nombreux seconds rôles, accède ici enfin à un rôle principal. Il dégage une humanité, une gentillesse et une générosité comme peu de comédiens peuvent le faire. Il a le visage un peu rond, de grands yeux tristes et nul doute qu'on lui donnerait le bon dieu sans confession. Rien à redire de son jeu. C'est le choix fait par le réalisateur qui est critiquable. En choisissant un "visage d'ange", il accentue encore plus le manichéïsme de son film.

Laurent Heynneman signe ici son premier film. Il n'a pas encore 30 ans mais est déjà bourré d'efficacité. Ce manque de complexité est sans doute à mettre sur le compte de son enthousiasme, et sur le fait qu'il y a des moments dans les histoires des sociétés où l'on n'a pas la possibilité de penser la complexité, des moments où ce qui compte, c'est l'urgence de la dénonciation.

De ce point de vue là, par contre, le film est réussi et important pour notre Histoire.

Oui, vos réserves sont justes. Et il plane sur elles l'ombre d'un fameux article d'Albert Camus.

Ce qui est intéressant, c'est qu'on pourrait faire les mêmes remarques – sur la simplification excessive, le choix sélectif des faits, etc – au sujet de L'Honneur d'un capitaine, qui est l'expression du choix idéologique opposé.

Il s'agit de deux films "idéologisés", mais cinématographiquement estimables, qu'il vaudrait la peine de se taper l'un après l'autre : thèse, antithèse… quel film pourrait être la synthèse?

Arca1943